Qui aurait dit qu’un paddock de Formule 1 allait un jour recevoir un prix d’architecture ? C’est pourtant ce qui arrive à celui du circuit Gilles-Villeneuve, inauguré l’été dernier. Ce projet, lancé sous l’administration Coderre, a reçu il y a quelques semaines la plus grande récompense de l’Ordre des architectes du Québec.
J’ai décidé de revenir sur ces prix d’excellence en architecture remis chaque année, car leur attribution est passée totalement inaperçue, le 5 juin dernier. Cette nouvelle fait partie de celles qui ont été glissées sous le tapis par la pandémie.
Donc, l’Espace Paddock, réalisé par les architectes FABG et érigé sur le site du circuit Gilles-Villeneuve du parc Jean-Drapeau, a reçu le Grand Prix d’excellence 2020. Le projet, qui s’inscrit dans l’opération de transformation du circuit (dont les coûts sont passés de 32 à 76 millions de dollars), a aussi obtenu la mention Innovation.
« Le jury a eu plusieurs discussions au sujet de cette candidature, m’a confié Jacques White, architecte et coordonnateur du jury depuis de nombreuses années. Il faut dire que le projet possède de nombreuses qualités environnementales, mais qu’il sert une fonction qui ne l’est pas du tout. Le jury a surtout vu dans ce projet une volonté d’améliorer le cadre global, soit celui du parc Jean-Drapeau. Il a aussi vu le génie et l’ingénierie de ce concept monté très rapidement. »
Parmi les 73 dossiers reçus, 15 projets réalisés ont été récompensés. Le jury était présidé par l’architecte française Dominique Jakob (Agence Jakob + MacFarlane) et était composé des architectes Dominique St-Gelais (St-Gelais Montminy & Associés architectes) et Jean-Maxime Labrecque.
Chaque année, l’Ordre des architectes invite un outsider à faire partie du jury. Mon collègue François Cardinal a joué ce rôle en 2013. Cette année, il s’agissait de la comédienne Anne-Marie Cadieux qui, aux dires des autres membres, a eu un regard aguerri et inspiré sur les projets proposés.
Dans la catégorie « bâtiments culturels », le prix est allé au Diamant, le lieu qui accueille, entre autres, le créateur Robert Lepage et son équipe. Cette conception audacieuse est signée par Coarchitecture, in situ atelier d’architecture et Jacques Plante Architectes. Voilà un choix qui doit faire rager les animateurs de certaines radios de Québec qui ont tant critiqué ce projet.
Le projet du Diamant symbolise bien le défi auquel les architectes doivent de plus en plus faire face, soit celui de marier le passé et le présent.
On est passé d’une période d’intégration à une autre dite de qualification. On tente aujourd’hui de créer un tout avec des parties qui sont une accumulation de différentes périodes.
Jacques White, architecte
Le prix de la catégorie « bâtiments institutionnels publics » a été décerné au Complexe sportif de Saint-Laurent, réalisé par Saucier + Perrotte Architectes en consortium avec HCMA. Voilà un projet qui montre que le sport peut être accompagné d’autre chose que de la sueur. « C’est une bonne cuvée, car elle est équilibrée, dit Jacques White, qui est également directeur de l’École d’architecture de l’Université Laval. On a trouvé des projets très intéressants dans presque tous les domaines. Ça témoigne d’une vigueur autant du secteur public que du privé, une sorte d’ambition à améliorer les choses au Québec. »
Un prix a retenu mon attention et c’est celui qui a été remis à la fromagerie Au Gré des Champs, de Saint-Jean-sur-Richelieu. L’entreprise a fait appel à la SHED architecture pour la conception de son… étable. Oui, vous avez bien lu, les vaches qui donnent quotidiennement leur lait pour la fabrication des fromages vivent maintenant dans un environnement architectural.
Ce projet de la catégorie « bâtiments commerciaux et industriels » est une démonstration éloquente de l’importance de l’architecture dans nos vies. On la retrouve aujourd’hui dans des sphères étonnantes. Le projet de l’abbaye Val Notre-Dame de Saint-Jean-de-Matha, réalisé par Pierre Thibault, est un autre bon exemple de cela.
« Des gens qui investissent de leur plein gré dans l’architecture, c’est quelque chose qu’on voit plus en Europe, ajoute Jacques White. Mais je crois que les Québécois sont en train de comprendre que l’architecture n’est pas quelque chose d’élitiste qui se limite aux apparences. On n’a pas besoin de dépenser beaucoup d’argent pour changer le monde. »
En effet, l’architecture s’est enfin débarrassée de cette aura de snobisme qu’elle traînait avec elle. Une nouvelle génération de créateurs travaille avec des pionniers et cela donne des résultats solides et de leur époque.
Oui, la beauté est au rendez-vous. Mais ces projets reposent de plus en plus sur des assises, des motifs valables et une façon de vivre qui nous ressemble.
« Les projets qui se sont démarqués cette année ont en commun une adéquation entre ce que sont les buts du projet et la solution apportée, ajoute en conclusion Jacques White. Par rapport au reste du monde, on est des experts là-dedans. Les Québécois savent faire beaucoup avec peu. Cette cuvée en est la démonstration. » De la beauté ! De la beauté !
De la beauté ! Dieu que nous en avons besoin en ce moment ! J’espère que ces prix vous inciteront à découvrir ces splendides réalisations. Et à lever les yeux lorsque vous marcherez. Vous n’en serez que plus heureux.
Quant aux vaches de la fromagerie Au Gré des Champs, ne soyez pas surpris qu’elles donnent maintenant un lait plus riche et plus onctueux.