Lorsqu’elle observe ce qui se passe aux États-Unis, Michèle Audette, ex-commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées au pays, ne peut s’empêcher de ressentir une certaine amertume : un tel soulèvement populaire ne surviendra pas chez nous pour dénoncer le racisme que vivent les autochtones. Le racisme systémique existe au Québec et François Legault doit le reconnaître, croit-elle. Entrevue.

Q. Que réveillent chez vous les manifestations antiracistes aux États-Unis ?

R. Pour des gens, ça peut être vu comme un événement isolé. Mais quand tu commences à les rassembler, tu réalises que ce sont des événements récurrents. Quand je vois toute cette mobilisation-là autour de la communauté noire, je me dis : tant mieux ! Même si c’est frustrant que ce soit encore autour d’une tragédie. Mais [la nuit du mercredi à jeudi], une femme autochtone a été abattue par des policiers à Edmundston. Est-ce qu’on va avoir la même mobilisation ? Est-ce qu’il va y avoir une mobilisation artistique, politique, sociale et culturelle autour de ce décès-là ? Non, on ne l’aura pas. Je marche à côté de mes frères et sœurs de la communauté noire, mais je sais qu’on n’aura pas le même traitement. C’est ça qui me fait de la peine, qui me choque*.

Q. Et pourquoi n’assisterait-on pas à une pareille mobilisation ?

R. Nous sommes, pour la plupart, des familles qui ne parlent pas, qui sont habituées à ça. C’est un avantage aussi pour les gouvernements parce qu’il n’y a pas de pression populaire. […] À cause de notre nombre, du fait que nous ne soyons pas non plus massivement présents dans les grandes villes. Notre dernier pensionnat date de 1996, alors tout ça émerge encore. […] Et que dire de la Loi sur les Indiens ? Moi [elle cite son numéro de bande], j’ai encore 17 ans pour Ottawa. Et quand je vais en ville, je me fais dire : « Retourne dans ta réserve, il est là, ton service. » Alors, le système nous a mis à part, sous tutelle.

Q. Justement, parlons du système. François Legault affirme qu’il n’y a pas de racisme systémique au Québec. Êtes-vous de cet avis ? Et devrait-il le reconnaître ?

R. Oui, il y en a [du racisme systémique], et d’ailleurs, j’aimerais ça, prendre une tasse de thé avec M. Legault, qu’on échange. […] Le reconnaître, c’est déjà permettre à la personne touchée d’avancer dans son processus de guérison. La confiance revient, se construit. Après, on peut collaborer plus facilement. Reconnaître, c’est un geste noble et je sais que M. Legault est capable de le faire, il l’a fait avec les étudiants internationaux [dans le dossier du PEQ]. Je suis certaine que s’il le faisait, il y aurait des gens qui salueraient son geste tant chez les autochtones que chez les non-autochtones.

Q. Pourtant, le rapport Viens parle de « discrimination systémique » et l’enquête fédérale est aussi très sévère envers le Québec, non ?

R. Je pense que comme politicien, M. Legault va donner une réponse comme : « On ne fait pas de politiques pour vous discriminer », ou : « Oui, il y a des gens racistes. » Je peux aussi lui répondre qu’il y a des racistes chez les autochtones. Là, on parle d’un système, pas d’individus. De la façon dont on donne vie à ces politiques, dont on les évalue, dont on les améliore parce qu’on avait des biais. […] Parfois, on ne pense pas mal faire, mais on ne fait pas les choses correctement à cause d’une culture qui est ancrée, des biais qui sont perpétués.

Q. Que dites-vous à vos enfants au sujet du racisme ?

R. Je prépare surtout mes jumelles de 13 ans [Michèle Audette a cinq enfants]. Je les prépare depuis qu’elles sont petites. Je les prépare à se nourrir de fierté, à garder la tête haute parce qu’il va y avoir des gens qui vont essayer de les attaquer. Et c’est déjà commencé, elles se sont déjà fait dire : « T’es juste une maudite Indienne ! » Je les supplie de ne pas répondre par la violence, mais, oui, elles le vivent déjà, le racisme.

* Les questions et réponses ont été éditées pour faciliter la lecture.

Trois rapports accablants en 2019

Juin

Le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées au Canada conclut à un « génocide planifié ». Le rapport complémentaire sur le Québec affirme que les femmes autochtones vivent dans « l’indifférence et le mépris ».

Septembre

Le rapport de la commission Viens conclut que les autochtones sont victimes de « discrimination systémique » dans les services publics québécois.

Octobre

Un rapport indépendant conclut que les autochtones ont « quatre à cinq fois plus de chances » d’être interpellés par les policiers du SPVM que la population générale.