(Montréal) Un Montréalais de 15 ans deviendra jeudi le plus jeune auteur principal d’un article jamais publié par le New England Journal of Medicine, qui est possiblement le journal médical le plus prestigieux de la planète.

Dans l’article Infections Associated with Resterilized Pacemakers and Defibrillators, Thomas F. Khairy et ses collègues démontrent que le risque d’infection lors de l’implantation de stimulateurs cardiaques et de défibrillateurs est similaire, qu’il s’agisse d’appareils restérilisés ou d’appareils neufs.

Cet article découle d’un stage que le jeune homme a effectué à l’Institut de cardiologie de Montréal, qui depuis 1983 envoie des appareils désinfectés, stérilisés et reprogrammés vers des pays en voie de développement.

La Presse canadienne a discuté avec lui en primeur quelques heures avant la publication de son article.

Qu’est-ce qui fait qu’à 15 ans on se retrouve comme auteur principal d’une étude dans le New England Journal of Medicine ?

Quand j’ai commencé ce projet au printemps de 2017 (à l’âge de 12 ans, NDLR), publier dans le New England (Journal of Medicine) n’était pas mon objectif. J’étais tellement impressionné par le travail de Marie-Andrée Lupien, la technicienne en électrophysiologie ! Depuis plus de dix ans, elle prenait des «pacemakers» réutilisés que des centres funéraires lui envoyaient, puis elle les nettoyait et elle les envoyait gratuitement vers des pays où on ne peut pas en acheter de nouveaux. Je me suis officiellement inscrit à un stage de recherche et je cherchais un projet sur lequel travailler, mais j’étais vraiment particulièrement attiré par ce projet humanitaire. Marie-Andrée Lupien m’a pris sous son aile. Je lui ai demandé par curiosité combien de vies elle a sauvées. Quand elle m’a dit qu’elle n’avait pas de données, je me suis mis à sa place et je me suis dit que j’aimerais tellement savoir ! Alors j’ai fait un peu de recherche pour savoir quel est le taux d’infection pour des «pacemakers» des défibrillateurs restérilisés, et j’ai trouvé qu’il n’y avait aucune donnée là-dessus. On a mis une équipe ensemble à l’Institut de cardiologie et trois ans plus tard on est rendus ici.

Comment as-tu ramassé les données qui ont mené à la publication de cet article ?

On envoyait les «pacemakers» quatre centres différents, et eux en retour ils envoyaient des données concernant chaque patient chez qui ils implantaient un «pacemaker». Il fallait prendre toutes les données des différents centres et créer une immense base de données, et puis pour chaque patient voir s’ils ont eu une infection ou pas. Je pense que ça a pris six ou sept mois.

Tu y travaillais le soir ou la fin de semaine ?

J’étais en secondaire 3 au Loyola High School et à ce moment-là on avait notre foire de sciences, alors j’ai utilisé ce projet-là. Ça m’a donné beaucoup plus de temps pour travailler dessus, et heureusement !

Ton père est cardiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal. As-tu toujours eu l’intention de suivre dans ses traces ?

C’est mon père qui m’a présenté à l’équipe et à Marie-Andrée, et au projet humanitaire. J’ai toujours voulu devenir médecin spécialisé, mais je ne sais pas encore dans quelle spécialisation. C’est certain qu’après toutes ces années je pense bien me diriger en cardiologie, mais je vais commencer par me rendre (en médecine) et ensuite on verra ce qui se présente à moi. Mais les sciences et les mathématiques sont vraiment les sujets qui m’intéressent le plus (à l’école).

En quoi es-tu différent des autres adolescents de 15 ans ?

J’ai sauté une année en maternelle et donc là je termine mon secondaire 5. Je suis habitué de devoir agir plus vieux que je ne le suis en réalité. J’ai trois frères plus jeunes à la maison qui en font assez (des jeux vidéo), alors j’ai trouvé autre chose à aimer et à faire. Il y a simplement d’autres choses qui m’intéressent plus.

Quelle sera ta réaction jeudi quand tu verras ton nom comme premier auteur dans le New England Journal of Medicine ?

Je serai évidemment très fier parce que ça m’a pris plusieurs années pour me rendre là. Mais je serai surtout content de voir le nom de Marie-Andrée (Lupien). Moi, je l’ai dit, je travaille là-dessus depuis 2017, mais elle, ça fait plusieurs années. Pour elle, c’est autant et même plus (une réussite) que pour moi. Mon intention n’a jamais été de publier. C’était plutôt le potentiel de sauver des milliers de vies. Je n’étais pas motivé par la gloire.

Quel sera l’impact, selon toi, de la publication de cette étude ?

Les médecins qui vont la lire vont savoir que dorénavant des données montrent que c’est sécuritaire de réutiliser des « pacemakers» et des défibrillateurs. L’objectif maintenant est d’avoir plus de centres comme l’Institut de cardiologie de Montréal qui commencent à restériliser des «pacemakers» et des défibrillateurs pour les envoyer (à l’étranger). Depuis 1983, l’Institut a sauvé près de 2000 vies. Alors, imaginez combien de vies pourraient être sauvées si plus de centres commençaient à faire la même chose. La question devient, est-ce qu’on jette l’appareil ou si on sauve une vie ? Je pense que la réponse est facile.

Les propos de M. Khairy ont été abrégés à des fins de précision et de concision.