Des séries télé comme Unité 9 et Orange is the New Black se sont intéressées à la vie des femmes en prison. Mais derrière le filtre de la fiction, comment la vie « en dedans » se passe-t-elle réellement ? Dans cette série de chroniques, la détenue Viviane Runo* lève le voile sur le quotidien des femmes au pénitencier de Joliette.

On dit de 2020 que c’est l’année du changement. De ce côté de la clôture, cette idée s’est enflammée comme une traînée de poudre en soulevant un vent d’espoir.

La plupart d’entre nous espéraient que ce vent de changement s’adressait à chacune de nous. Pas besoin de prendre des résolutions que, de toute façon, nous ne tenons que rarement. L’année du changement réaliserait nos désirs, secrets ou non. Nous percevions déjà notre liberté, notre réconciliation avec nos proches, la suppression de quelques années d’incarcération lors de notre révision judiciaire ou la réussite de notre thérapie avec l’abandon final de notre dépendance. L’année du changement avait ce goût magique.

Coup de poing

Le mois de janvier était à peine entamé qu’un nouveau drame venait ébranler le Québec. Encore une fois, une femme est tuée... une mère de famille de six enfants. C’est la consternation parmi les écorchées que nous sommes. Derrière les masques de désabusées que nous nous sommes façonnés, nos cœurs pleuraient la fin tragique de cette femme, dont le conjoint est accusé de meurtre. Et ses enfants, désormais orphelins, qui seront abandonnés aux tourbillons des services sociaux. Il faut dire que plus de 90 % des femmes incarcérées ont été victimes de violences de toutes sortes. Le drame social, ça nous connaît.

L’uppercut

Février n’est toujours pas en vue et les conversations tournent encore autour du drame familial qu’une nouvelle tragédie vient bouleverser le pays. Une jeune femme de 22 ans est poignardée, un ex-détenu qui venait d’obtenir sa remise en liberté est accusé du meurtre.

L’onde de choc a une portée atomique.

Tout comme vous, la communauté carcérale féminine s’est indignée devant ce nouveau malheur. De plus, plusieurs d’entre nous se sont senties interpellées par la situation de la jeune travailleuse du sexe. On s’est rappelé la dangerosité de ce gagne-pain hors du commun. J’ajoute qu’environ 85 % des détenues ont, à un moment ou un autre de leur vie, œuvré dans ce domaine.

Et puis, comme la majorité des citoyens, nous avons cherché le coupable. Qui avait failli à sa tâche ? Le service correctionnel qui a permis à ce meurtrier de fréquenter les salons de massages ? La Commission des libérations conditionnelles qui n’a pas su bien former ses nouveaux commissaires ? Qui aurait dû savoir que ce « prisonnier modèle » en milieu encadré ne pouvait retenir ses pulsions une fois en liberté ?

Une chose est sûre, un suivi psychologique était indispensable pour cet individu et nous ne comprenons pas pourquoi il aurait été interrompu. C’est pourtant une démarche usuelle pour bien des délinquants ! Malheureusement, nous ne pouvons répondre à toutes ces questions. Surtout qu’il est rarissime qu’un individu échappe à la vigilance des autorités carcérales.

Chaque délinquant sexuel, chaque délinquant aux prises avec de la violence est soumis à des examens psychologiques rigoureux durant toute la durée de sa peine. Aucun manquement n’est toléré.

L’épée de Damoclès pour les sentences-vies est la réintégration de l’unité de garde en milieu fermé : le « maximum », si vous préférez. Et croyez-moi, c’est un enfer déjà visité.

Le K.-O.

Alors, après un premier tourbillon de sympathie suivi d’une phase de questionnement et de révolte vient la bourrasque qui perturbera et inquiétera la faune carcérale.

Ce vent d’indignation du public refroidira tous les professionnels s’activant de près ou de loin avec les délinquants : qu’on parle des commissaires, des agents de libération conditionnelle ou des hauts gradés du Service correctionnel du Canada. Même les juges auront leurs frissons.

Chaque cas médiatisé apporte son lot de déboires pour les détenus tentant de se reprendre en main. Il sera plus difficile d’obtenir des permissions de sortie, les conditions de libération seront augmentées et les modalités d’emprisonnement se resserreront de façon significative. Puis, du côté de la cour, les peines imposées seront plus lourdes.

En attendant que tout ce beau monde trouve comment colmater la faille, il serait bon de se questionner sur la manière de faire diminuer les violences faites aux femmes et aux enfants. Perpétuons-nous l’idéologie machiste que l’on traîne depuis le fond des âges… ? Moi Tarzan, toi Jane. A-t-on réussi à mettre fin à la phallocratie qui justifie la domination des hommes sur les femmes ? Notre société est-elle parvenue à réduire la distinction entre les sexes ?

D’après une nouvelle publicité, on en est encore à faire comprendre aux nouvelles générations que non, c’est NON !

Finalement, plus ça change, plus c’est pareil. Tous, nous sommes humains… et rien n’est plus imparfait.

* Nom fictif, pour préserver son anonymat