Il est vrai que, depuis quelque temps, Montréal s’est francisé. Enfin, francisé est une manière de parler. Depuis la modification du Règlement sur la langue du commerce et des affaires obligeant les marques de commerce (ayant une langue autre que le français) à offrir une présence « suffisante » du français, on a vu apparaître sur plusieurs enseignes des génériques, des descriptifs ou des slogans dans la langue de Molière.

Vous voulez des exemples ? Toys “R” Us : jouets, Second Cup : café et cie, Canada Goose : depuis 1957, Café Starbucks, Moores : vêtements pour hommes, Foot Locker : magasin de sport, Entrepôts Costco, Winners Modes, etc.

Ces marques ont eu trois ans pour se conformer au règlement. La date butoir était le 24 novembre dernier. Si une forme de « francisation » s’est opérée, reste que plusieurs marques ignorent ou contournent ce règlement, comme le démontre ma collègue Marie-Eve Fournier dans son reportage.

Il faut donc offrir des fleurs aux dizaines de marques de commerce et aux entreprises qui acceptent maintenant de respecter ce règlement issu de la Charte de la langue française. Mais on peut lancer des pots à celles qui n’ont rien fait.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

« Le problème avec ce règlement, on s’en rendra peut-être compte au cours des prochaines années, c’est la nébulosité qui entoure son caractère », écrit notre chroniqueur. 

Le problème avec ce règlement, on s’en rendra peut-être compte au cours des prochaines années, c’est la nébulosité qui entoure son caractère. Il faut se lever de bonne heure pour comprendre ses tenants et aboutissants, voir son véritable pouvoir et connaître les outils qui permettraient de punir les récalcitrants.

Vendredi dernier, je suis allé rencontrer deux porte-parole (Julie Létourneau, directrice des communications, et Fabien Villielm, directeur de la performance et du soutien opérationnel) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), l’organisme chargé d’appliquer le règlement. Ces deux personnes m’ont gentiment reçu en compagnie de ma collègue Marie-Eve.

Ou bien Marie-Eve et moi sommes deux cruches finies, ou bien nos interlocuteurs ont voulu faire preuve d’une extrême prudence pour nous dire ce que ce règlement vient changer, mais j’ai rarement eu recours à ce point à la technique de la sous-question.

« Coudon, craignez-vous un affichage-gate ? », ai-je fini par leur demander, au bord de l’exaspération. Il est clair qu’à l’OQLF, on ne veut pas créer de vagues et se retrouver avec un lot de critiques de la part de ceux qui trouvent que la charte québécoise va trop loin.

Quant aux marques et aux entreprises, elles exigent la confidentialité dans les échanges qu’elles ont avec l’OQLF. Elles ne veulent surtout risquer de se mettre certains consommateurs québécois à dos. Car si on a le droit de s’imaginer que ces marques ont à cœur la belle langue française, on peut aussi comprendre qu’elles ont surtout une grande affection pour notre portefeuille.

L’OQLF tient à préciser qu’il obtient une excellente collaboration de la part des marques de commerce et des entreprises (qui ont surtout rechigné en 2016 lors de l’adoption du règlement). En fait, c’est une infime minorité de cas difficiles (toutes catégories confondues) qui se retrouvent devant le Directeur des poursuites criminelles et pénales.

« Ça sera maintenant très facile d’identifier les fautifs, ai-je lancé naïvement aux gens de l’OQLF. Si l’enseigne est entièrement en anglais ou dans une autre langue que le français, ça devrait attirer l’attention ou ouvrir des portes sur des plaintes, non ? » Eh lalère ! Quel panier de crabes avais-je ouvert ! « C’est du cas par cas », m’a-t-on répété.

Est-il question d’une marque de commerce ou d’une entreprise ? S’agit-il du nom d’une personne ? D’une combinaison artificielle ? D’un logo (comme Apple) ? D’un nom en anglais avec un apostrophe suivi d’un s ? Est-ce que ce nom en anglais est un anglicisme accepté en français ? Est-ce que « hamburger » ou « dumpling », sont des descriptifs acceptés ? Est-ce qu’un franchisé doit s’en remettre au règlement ou se conformer aux directives de la marque ?

Je ne voudrais pas être à la place des inspecteurs et des conseillers de l’OQLF (ils sont entre 60 et 70), encore moins des juges qui auront à évaluer les dossiers des récalcitrants. « C’est compliqué, hein ? », nous a dit à un moment Julie Létourneau.

Entre le 1er avril 2018 et le 31 mars 2019, l’OQLF a reçu 2800 plaintes. De ce nombre, 24 % ont été inscrites dans la catégorie « langue de l’affichage public et commercial ». Ce chiffre risque d’exploser au cours des prochaines années.

Imaginez un peu le résultat : il existe maintenant un règlement qui dit clairement que le français doit avoir une présence « prédominante » pour les entreprises et une présence « suffisante » pour les marques de commerce. Parmi toutes les enseignes, il sera facile d’identifier celles qui offrent une place au français et celles qui n’en offrent pas.

De nombreux citoyens seront sans doute plus facilement tentés de porter plainte auprès de l’OQLF. Il faudra toutefois laisser à d’autres le soin de regarder ces dossiers au « cas par cas ».

Il est vrai que le paysage commercial a changé au cours des derniers mois à Montréal. Il suffit de lever les yeux pour s’en rendre compte. Toutefois, la question que je me posais en faisant l’inventaire de ces appendices linguistiques c’est : qu’est-ce que ça change au fond ?

Certains trouveront qu’ajouter « jouets » ou « vêtements » sous une marque anglophone ou étrangère n’apporte strictement rien de nouveau. Je ne fais pas partie de ceux-là. Quand on observe la somme de tout cela, cela fait une différence. Quand je parle de somme, je pense à tout le reste.

Car à quoi ça sert d’avoir une enseigne qui emprunte des mots de ma langue si, une fois rendu à l’intérieur du commerce, on me sert en anglais, si tous les employés discutent en anglais entre eux ou si la musique qu’on m’impose provient d’une radio anglophone ?

Ce règlement est important. Il est censé venir clarifier les choses. Il est censé venir à la rescousse de la langue française. Il est censé servir de rempart à notre identité culturelle.

J’espère qu’au bout du compte, nous n’en perdrons pas notre latin.