La question du définancement de la police est cruciale. C’est un enjeu capital qui mérite toute notre attention. Et beaucoup de précaution.

Montréal n’échappe pas à ce mouvement. Il n’a pas le choix d’entrer dans cette réflexion collective qui touche aussi d’autres villes canadiennes comme Toronto, Ottawa, Calgary, Fredericton et Moncton.

Dans la métropole québécoise, cette opération prend toutefois son élan alors que Rosannie Filato, conseillère responsable de la sécurité publique, quitte le comité exécutif dans des circonstances nébuleuses.

Le choix de la personne qui lui succédera devrait être un indicateur de la façon dont l’administration Plante souhaite mener ce projet de transformation de l’écosystème de surveillance et d’aide sur le territoire urbain.

Quand l’administration Plante-Dorais a évoqué la possibilité de réduire le budget du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) l’été dernier, une crainte s’est installée dans la population. Certains groupes ont plutôt applaudi à tout rompre.

Rappelons que la Coalition pour le définancement de la police, formée d’une soixantaine d’organismes dont Hoodstock, Black Lives Matter Montréal et le Réseau de la communauté autochtone à Montréal, réclame rien de moins que le désarmement complet des policiers.

Ces groupes souhaitent aussi la décriminalisation de toutes les drogues et du travail du sexe. Quant au budget de 679 millions du SPVM, on voudrait qu’il soit réduit de 50 %. C’est beaucoup en même temps.

Avant de brandir toutes sortes de chiffres et d’exiger n’importe quoi, il y a un travail titanesque à faire. La mairesse le sait, et elle a compris que ce n’était peut-être pas le bon moment pour se lancer dans un tel débat alors que nous sommes encore en situation d’urgence. Et que nous nous apprêtons à entrer dans une campagne électorale.

Lors de la présentation de son dernier budget, non seulement l’administration Plante n’a pas réduit le budget du SPVM, mais elle l’a augmenté de 14,6 millions.

Avant d’aller plus loin, je crois qu’il serait de bon ton de cesser de parler de définancement de la police et de plutôt évoquer une redéfinition de son rôle, une fusion avec d’autres services, un refinancement d’organismes communautaires et une nouvelle façon d’intervenir dans la ville lors de situations critiques.

Car c’est de cela qu’il s’agit.

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La ville de Minneapolis traverse actuellement une tempête à la suite de la proposition de certains organismes de diminuer le budget accordé à la police municipale. Ce débat survient après un été chaud causé par la mort de l’Afro-Américain George Floyd à la suite d’une intervention policière violente.

Aux États-Unis, d’autres villes ont réduit le budget de leur service policier. C’est le cas de Los Angeles et de New York.

À chaque ville son défi. Pour le moment, on associe beaucoup les projets de transfert d’argent normalement alloué aux corps policiers à la question du racisme qui peut s’exprimer lors des interventions policières.

Mais cette redéfinition du rôle des forces de l’ordre et des ressources sociales ratisse beaucoup plus large. À Montréal, les besoins psychosociaux sont gigantesques.

Le crystal meth et le crack font des ravages. Combien de surdoses mortelles allons-nous endurer ? Combien de funérailles de gens dont le corps n’a pas été réclamé allons-nous commémorer ?

Des liens plus forts entre la police et le milieu social sont une priorité. Un transfert des budgets est à faire. Et une symbiose est à construire.

Au cours des dernières années, le SPVM a créé l’Équipe de soutien aux urgences psychosociales (ESUP). Regroupés en duos mixtes, des policiers et des intervenants sociaux patrouillent le territoire du SPVM et interviennent auprès des personnes en situation de crise.

Regroupés en duos mixtes, des policiers et des intervenants sociaux patrouillent dans le territoire du SPVM et interviennent auprès des personnes en situation de crise.

Mais voilà, pour ce qui est de l’ESUP, on parle de six policiers et de quatre intervenants sociaux. Aussi bien dire une goutte d’eau dans un océan. C’est par dizaines qu’il faut multiplier le nombre de ces équipes.

Procéder à un définancement trop rapidement serait une erreur. Nous connaîtrions les effets d’un déséquilibre dévastateur.

Il faut quand même rappeler que les policiers sont souvent appelés à jouer le rôle « d’intervenants sociaux » dans des situations d’urgence. Le SPVM répond annuellement à 33 000 appels pour venir en aide à des personnes en état de crise.

Retirer ce maillon sans solution de rechange pourrait être catastrophique.

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À la suite de ma chronique sur le campement de la rue Notre-Dame, j’ai reçu le témoignage d’un lecteur qui m’a décrit l’enfer qu’il vit dans un quartier du Centre-Sud, sans doute l’un des plus chauds de la métropole.

Marc-André Labelle habite dans le quadrilatère formé par les rues Moreau, Darling, Sainte-Catherine et Notre-Dame. Il a créé le groupe Vitalité Hochelaga. Sur sa page Facebook, il décrit l’affreux film qui se déroule devant lui tous les jours et toutes les nuits.

Vente de drogues, squatters, affrontements violents à coups de couteaux ou de bâtons, viols, prostitution… Ses voisins et lui en voient de toutes les couleurs.

Comme il fait souvent appel à la police, il a reçu des menaces de mort. Il dort maintenant avec un bâton de baseball à côté de lui.

Je lisais son récit et je repensais au mémoire de la Fraternité des policiers et policières de Montréal déposé en août dernier qui disait qu’une réduction du financement du SPVM provoquerait une « dégradation de la sécurité publique ».

La Fraternité rappelait que les effectifs étaient sensiblement restés les mêmes dans l’île de Montréal (autour de 4500 policiers et policières) depuis le début du siècle, alors que la population a augmenté de plus de 200 000 personnes.

Est-ce qu’une diminution du budget de la police mènerait directement à une augmentation de la criminalité ? Je ne suis pas certain de cela.

Mais il est aussi illusoire de penser qu’un transfert d’argent améliorera la situation de la criminalité comme par magie. Tout comme il est également naïf d’imaginer que les interpellations visant les personnes noires et autochtones cesseraient d’un coup.

Il est à souhaiter que les discussions qui mèneront vers cette incontournable transformation mettent de côté les guerres d’ego, le militantisme mal placé et les chasses gardées.