Avez-vous déjà tenté d’imaginer Montréal sans la présence des hivers rigoureux que nous avons ? La ville serait tout autre, c’est sûr. Elle serait plus reluisante, plus séduisante.

Alors que l’hiver tire à sa fin (du moins on le souhaite), je me suis amusé à calculer les coûts liés à l’hiver dans la métropole. Pour cela, j’ai obtenu la collaboration de plusieurs services de la Ville de Montréal. Jean-François Parenteau, responsable des services aux citoyens, de l’approvisionnement et de l’environnement au Comité exécutif de la Ville de Montréal, a servi de leader dans tout cela.

Commençons avec la plus grosse dépense : le déneigement. Depuis l’explosion des coûts connue après 2015 (le montant était alors de 146 millions), la somme consacrée à cette tâche oscille maintenant autour de 200 millions. Si les prévisions des administrateurs sont justes, la Ville de Montréal devrait dépenser en 2020 près de 190 millions pour déneiger ses rues et ses artères. Cela comprend les fameuses opérations d’enlèvement de la neige.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

« Et maintenant, la question à un million : que pourrions-nous faire avec les centaines de millions de dollars que nous engloutissons chaque année dans ce satané hiver ? » se demande notre chroniqueur.

L’achat de sel, d’abrasif et de carburant représente une dépense importante pour la Ville de Montréal. Cette année, nous devrions débourser la rondelette somme de 24 millions pour nous munir de ces éléments indispensables.

Aux préparatifs de l’hiver, il faut ajouter la mise en place des installations qui permettent aux personnes à mobilité réduire de se déplacer. Les frais liés à la politique d’accessibilité universelle coûtent chaque année 190 000 $.

Quand arrive l’automne, il faut préparer la ville pour la saison hivernale. Cette opération coûte 8,3 millions. Et quand arrive le printemps, il faut alors tout nettoyer et remettre la ville au diapason de la belle saison. Cela coûte 23,9 millions. Ça comprend l’entretien de l’équipement et tout ce qui touche l’aménagement paysager.

Vous me direz que toutes les villes doivent voir à l’entretien des parcs, fleurir leurs quartiers et veiller à la bonne marche de leur équipement. Mais il reste que les tâches que nous devons accomplir pour « redémarrer » notre ville quand arrive le mois d’avril sont colossales.

Même si la Ville de Montréal fait affaire avec diverses entreprises du privé qui fournissent leur équipement, elle dispose d’un important parc de véhicules. Le budget alloué à l’achat de cet équipement est de 28 millions sur 5 ans. On estime à 2,5 millions par année le montant rattaché uniquement à l’hiver.

Qui dit hiver, dit imprévus. Et qui dit imprévus, dit heures supplémentaires. En saison hivernale, les coûts liés aux heures supplémentaires sont d’environ 800 000 $.

Les rues de Montréal sont dans un état critique. On s’en rend compte depuis quelques jours alors qu’une période de redoux nous a pris par surprise. La réparation des fameux nids-de-poule coûte chaque année 4 millions aux citoyens montréalais.

Des chaussées et des trottoirs mal déneigés ou déglacés causent parfois des chutes et des accidents. Cela peut mener à des réclamations. Ce montant s’est élevé à 5790 $ en 2019 (pour un total de 5 réclamations).

En ce qui a trait aux bris des conduites, on m’a expliqué qu’il était difficile de relier cela à l’hiver. Si une conduite brise, ce n’est pas en raison du gel, mais en raison de la vétusté, pense-t-on à la Ville de Montréal.

Aussi, à toutes les sommes énumérées, il faut ajouter celles de la réparation et du remplacement du mobilier urbain abîmé par les aléas de l’hiver, sommes absorbées par les arrondissements.

Si on fait le total de tous ces coûts, on arrive au montant faramineux de 254 millions de dollars. Sur un budget de 6,17 milliards, il s’agit donc de dépenses non négligeables.

Bien sûr, vous vous demandez combien coûtent l’entretien et la réfection des rues de Montréal, lesquelles ont la vie dure à cause de l’hiver. Dans son plus récent exercice financier, l’administration Plante a consacré 5,2 % de son budget au réseau routier. Cela représente environ 320 millions.

À la Ville de Montréal, on me dit qu’on ne s’attarde pas à démêler les causes qui sont à l’origine de la réfection des rues et des artères. En d’autres mots, on met dans le même panier le froid, les périodes de gel et de dégel, les passages des véhicules, la vétusté, les travaux souterrains et d’autres facteurs pour expliquer l’état des chaussées et leurs besoins.

Alain Dubuc, qui a publié en 2016 un ouvrage sur les coûts reliés à l’hiver (Maudit hiver), s’est buté au même obstacle. « Pour des raisons que j’ai du mal à m’expliquer, personne n’ose s’aventurer sur ce terrain. »

L’économiste et chroniqueur a eu l’idée de ce livre car il en avait marre de ces comparaisons injustes que l’on ne cesse de faire entre Montréal et d’autres villes internationales qui ne connaissent pas les mêmes réalités climatiques que nous.

« On oublie trop souvent que nous avons une double vie. On paye pour du chauffage et de la climatisation, on paye pour des vêtements d’été et des vêtements d’hiver, etc. Cela fait partie de notre réalité », dit Dubuc tout en précisant qu’aux dépenses publiques s’ajoutent celles du secteur privé et celles que l’on doit assumer personnellement.

Et maintenant, la question à un million : que pourrions-nous faire avec les centaines de millions de dollars que nous engloutissons chaque année dans ce satané hiver ?

On peut évidemment imaginer des rues plus lisses, des trottoirs moins crevassés et gondolés, des pistes cyclables plus nombreuses, des parcs mieux entretenus, un mobilier urbain plus étincelant. On peut aussi imaginer des projets urbains plus nombreux, des bâtiments du patrimoine davantage rénovés, des initiatives commerciales mieux appuyées.

Montréal n’est pas parfait. Aucune ville est parfaite. La nôtre a toutefois la particularité de nous faire croire, lorsqu’arrive le printemps, que l’hiver ne reviendra plus jamais. Et cela marche à tout coup.

En attendant la belle saison, préparons-nous à la grande corvée du mois d’avril. Elle nourrit l’espoir. Et cette faculté de nourrir l’espoir, c’est notre spécialité. Aucune autre ville du monde ne peut nous enlever ça.