« À un moment donné, il faut faire preuve de résilience et tourner la page. Continuer à contribuer, apprendre de nouvelles choses, c’est important pour moi », dit Philippe Pichet.

Cela fait cinq mois et demi que l’ancien chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), emporté par le tourbillon d’un scandale des affaires internes, d’une guerre de clans et de l’affaire Lagacé, le 6 décembre 2017 – il se souvient très bien de la date –, occupe le poste de directeur général de la petite ville minière de 2500 habitants, à la frontière du Labrador. 

Anciennement à la tête d’une organisation de 7000 employés et dont le budget atteignait plus de 600 millions de dollars, le fonctionnaire numéro 1 de Fermont, où il n’avait jamais mis les pieds auparavant, dirige maintenant une soixantaine d’employés, permanents et temporaires, et gère un budget annuel de 17 millions.

Les épineux dossiers du profilage racial, des relations de travail avec la puissante Fraternité, de la convention collective des policiers et de la loi 15 sur la réforme des régimes de retraite sont du passé.

Aujourd’hui, ce qui occupe Philippe Pichet, c’est le nouveau tracé de la route provinciale 389, qui relie Fermont au Labrador, les contestations de taxes par une ancienne mine de fer, la construction de logements en vue de l’expansion d’une autre entreprise minière et la diversification de l’économie locale, en développant le tourisme, notamment.

PHOTO FOURNIE PAR PHILIPPE PICHET

Les mordus de motoneige sont comblés à Fermont, assure Philippe Pichet.

Il a donc troqué les rencontres avec les chefs d’autres corps de police contre des réunions avec des représentants des ministères des Transports et du Tourisme.

« À Fermont, on a de la neige avant tout le monde. Il y a des mordus de motoneige. Pourquoi ne pas les attirer ici ? Dernièrement, le gouvernement a annoncé des rabais sur des vols à condition qu’on passe au moins deux nuits dans le coin. Il faut profiter de programmes gouvernementaux. Il y a des sentiers pédestres, les barrages hydroélectriques, des territoires immenses, la route qui va du Labrador jusqu’à Blanc-Sablon, de la chasse, de la pêche », énumère avec entrain l’ancien chef de police.

Fermont, ce n’est pas une ville dortoir. Il y a énormément de loisirs et de sports.

Philippe Pichet

« Écouter le silence »

Son enthousiasme pour sa ville adoptive est sincère, assure-t-il. Et il jure ne pas s’être laissé aller à la mélancolie. 

« La meilleure façon d’être mélancolique, c’est de ne pas être occupé. C’est dépaysant ici. J’apprends à écouter le silence. Je fais énormément de lecture pour m’approprier tous les dossiers. Oui, j’aime ça. D’ailleurs, avant de venir ici, il faut y avoir pensé comme il faut », dit-il.

Fermont est à 1220 km (environ 16 heures) de Montréal, où Philippe Pichet n’est retourné qu’une seule fois depuis qu’il est là-bas, durant le temps des Fêtes.

Depuis le début de février, il a fait - 20 °C en moyenne, selon Environnement Canada. Mais la température peut atteindre - 50 °C avec ce fameux vent du nord, qui a forcé la ville à se protéger derrière son célèbre complexe résidentiel, commercial et de services, de 1,3 km de long, appelé le « mur-écran ».

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Vue générale de la ville de Fermont avec, au loin, son « mur-écran » distinctif

Philippe Pichet est arrivé à Fermont le 29 août et, un mois plus tard, le 4 octobre, la première neige est tombée.

En moyenne, Fermont reçoit 429 cm de neige par hiver. Cette année toutefois, l’hiver est clément puisqu’en date du 13 février, 165 cm étaient tombés (160 cm à Montréal), alors que la moyenne pour cette date est de 275 cm.

Philippe Pichet dit avoir été bien accueilli à Fermont, où quelques personnes l’ont reconnu et où il a suscité quelques questions, sans plus. 

« À Fermont, on n’a pas les mêmes ressources qu’ailleurs, on s’arrange », dit l’ancien chef de police. 

« Ce qui me manque le plus, c’est la diversité des choses », ajoute-t-il.

La petite ville, qui compte également une population flottante d’environ 1000 travailleurs miniers qui se relaient toutes les deux semaines, possède notamment une épicerie, un bar, une brasserie, un restaurant et un casse-croûte.

S’il veut plus de diversité, la fin de semaine, Philippe Pichet fait 26 km sur la route 389 jusqu’en « ville », à Labrador City, municipalité de 7200 habitants, où il y a au moins trois épiceries, plus de restaurants et un Walmart.

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La route 389, qui mène à Fermont

Habitué de l’aréna

Pour remplir ses temps libres, l’ancien numéro 1 du SPVM s’est remis à « fréquenter l’aréna », et assiste aux parties du Blizzard de Fermont, équipe de hockey locale au nom approprié.

En revanche, il n’a pas encore eu l’occasion d’aller au cinéma du vendredi soir à l’Auditorium Alain Frappier, salle de 479 places appartenant à la commission scolaire, ou d’assister au spectacle d’un artiste québécois que le froid n’effraie pas, comme Mariana Mazza, il y a quelques semaines. 

Le soir, après sa journée de travail, dans la chaleur de son foyer, bien affalé dans le sofa du salon de sa maison jumelée louée – et située au nord du mur –, il regarde les nouvelles et des séries de fiction à la télévision. 

Il a évidemment vu La faille, qu’il s’est enfilée au complet durant les vacances de Noël, et dont le sujet est une enquête de meurtre qui se déroule dans la petite ville minière de la Côte-Nord. 

« Les images extérieures sont phénoménales. On peut sentir à travers la télé qu’il fait très froid. Par contre, lorsque je voyais des images qui n’étaient pas tournées ici, j’étais un peu déçu. Mais globalement, j’ai bien aimé la série », dit-il.

Philippe Pichet n’a pas encore vu d’aurore boréale. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas essayé. Presque tous les soirs, après son arrivée, il a scruté l’horizon, en vain. La seule nuit où la lumière du ciel a dansé, il est demeuré devant son téléviseur et a tout manqué du spectacle.

L’ex-chef du SPVM n’est pas un chasseur, mais souhaite faire de la pêche l’été prochain. Il n’a pas encore fait de la motoneige, mais veut un jour en enfourcher une.

PHOTO FOURNIE PAR PHILIPPE PICHET

Pour faire son jogging, Philippe Pichet enfile des couches multiples.

Deux ou trois fois, les fins de semaine, il court « un 5 km », bien au chaud sous de multiples pelures, son lainage, ses lunettes de ski et son masque de moto.

C’est un rituel, tous les matins, il lit La Presse+ et les quotidiens de Montréal. Il continue de s’intéresser à tout ce qui concerne le SPVM. 

Je suis ça d’un œil et d’une oreille intéressés. C’est sûr, j’y ai travaillé durant 27 ans, et c’est une organisation qui me tient à cœur.

Philippe Pichet, parlant du SPVM 

Philippe Pichet dit aujourd’hui que, si c’était à refaire, il referait certaines choses différemment, sans dire lesquelles. 

« Malgré tout ce qu’on peut dire, c’est toute une expérience de gestion que j’ai vécue, et je ne regrette pas ça. Face à l’adversité, j’en suis sorti grandi », croit Philippe Pichet. 

Ancienne vie

Il est encore un employé du SPVM – il lui reste un an et demi – et est en prêt de service à la Ville de Fermont. C’est la Ville de Montréal qui paie son salaire, et Fermont rembourse la métropole. 

« On a tous hâte de savoir ce qu’il va advenir des enquêtes de l’équipe mixte sur les affaires internes du SPVM », dit-il au sujet des dossiers d’anciens collègues qui reposent depuis des mois sur le bureau d’un procureur.

C’est le seul commentaire qu’il fera sur son ancienne vie, du moins pour le moment. Les questions de La Presse le rendent hésitant et mal à l’aise. La situation au SPVM, qui s’est stabilisée après son départ, la suspension de celui qui lui a succédé, Martin Prud’homme, un retour éventuel en politique de son ancien patron, Denis Coderre, l’enquête du BEI sur les fuites journalistes et même le projet Immersion de la police de Longueuil, il ne veut parler de rien de tout cela. 

Philippe Pichet ne sait pas si son emploi de directeur général à Fermont est une porte ouverte sur la possibilité d’occuper le même poste dans une autre ville, près de Montréal, un jour. Il dit ne pas savoir non plus s’il restera à Fermont une fois que son prêt de service sera terminé, dans un an et demi. 

« Est-ce qu’à 50 ans je veux prendre ma retraite ? La réponse est non. Mais là, je suis en train de faire quelque chose que j’aime beaucoup et je me concentre là-dessus », conclut-il. 

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.