Jusqu’à hier matin, le temps nécessaire pour envoyer un courriel depuis Pakuashipi, un village à l’ouest de Blanc-Sablon, se calculait en minutes. Et regarder une vidéo en ligne était hors de question. Au prix d’investissements de plusieurs millions, voilà que la Basse-Côte-Nord a enfin accès à l’internet haute vitesse et au signal cellulaire. Mais dans l’est de la province, nombreux sont ceux qui attendent encore une connexion digne de ce nom. Un dossier de Fanny Lévesque et de Simon-Olivier Lorange

« C’était attendu comme une fête »

La chanson It’s Only Rock’n’Roll, des Rolling Stones, joue à plein volume. Dans la petite classe de Gilles Sauvageau, dans la communauté innue de Pakuashipi sur la Basse-Côte-Nord, on apprend l’anglais par l’entremise de grands classiques.

Maissa et Mika ont 12 et 13 ans. Elles ont déjà entendu les airs du groupe mythique, mais n’ont jamais vu le visage de Mick Jagger. Enfin, c’était avant vendredi.

Le village autochtone de quelque 240 âmes, accessible uniquement par bateau ou par avion, vient tout juste d’être branché au tout nouveau réseau haute vitesse de Telus. Et même si Pakuashipi se situe à 550 km au nord-est de Sept-Îles – et à 1300 km de Montréal –, vendredi, ses habitants se sentaient tout à coup plus proches du reste du monde.

Le projecteur diffuse sur l’écran installé devant la dizaine de pupitres des images du célèbre chanteur se déhanchant. La poignée d’élèves pouffent de rire, amusées. Ce n’est pas une journée comme les autres. L’ambiance est fébrile.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le professeur Gilles Sauvageau avec deux de ses élèves, Maissa et Mika

« Ici, c’était attendu comme une fête », illustre M. Sauvageau, enseignant et directeur adjoint de l’école de la communauté, qui accueille 68 élèves du primaire à la deuxième secondaire.

« Leur montrer des endroits dans le monde, visiter des musées virtuellement… Ça coûte cher, sortir d’ici. Aller visiter le Louvre ? Eh bien, on va être capables avec l’internet. »

« Un jour historique »

Québec et Ottawa ont allongé 11 millions chacun, et Telus a déboursé 1,2 million pour la mise en œuvre de cet ambitieux projet d’infrastructure numérique – le plus important au nord du 49e parallèle, estime l’entreprise – qui donnera accès à l’internet haute vitesse et à la téléphonie mobile aux 4700 résidants de la Basse-Côte-Nord.

C’est qu’en plus de Pakuashipi, les villages de Saint-Augustin, de Vieux-Fort et de Middle Bay, entre autres, ont été branchés. Blanc-Sablon, à l’extrême est du Québec, le sera d’ici les prochaines semaines. Et d’ici 2021, ce sont toutes les communautés entre La Tabatière et Kegaska, à l’est de Natashquan, qui pourront jouir du service.

« C’est fini le temps des signaux de fumée », a lancé à la blague le préfet de la MRC Le Golfe-du-Saint-Laurent, Randy Jones, lors des célébrations soulignant l’arrivée des services.

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Denis Mestenapéo, chef du conseil innu de Pakuashipi

Nous attendions ce jour avec impatience. C’est un jour historique pour la communauté.

Denis Mestenapéo, chef du conseil innu de Pakuashipi

Dans la salle, de nombreux Innus de la communauté, venus assister à l’annonce, tenaient bien en main leur téléphone cellulaire, filmaient et prenaient des images. Il y a quelques jours à peine, il leur aurait été impossible d’appeler un proche avec leur appareil. « J’ai téléphoné à ma femme ce matin. Ce qui se passe est formidable », s’est exclamé M. Jones.

Le bruit des sonneries a d’ailleurs interrompu les discours protocolaires à quelques occasions. « J’aime ça, entendre vos téléphones qui sonnent. C’est signe que ça marche », a taquiné le président du groupe Telus, François Gratton, qui avait fait le voyage jusqu’à la Basse-Côte-Nord pour donner le coup d’envoi au déploiement du service.

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François Gratton, président du groupe Telus

Ce qu’a réussi à déployer Telus est 40 fois plus rapide que ne le permettaient certains points de connexion par satellite (équivalant à 5 mégabits/seconde). À l’école de Pakuashipi, par exemple, envoyer un simple courriel pouvait nécessiter d’interminables minutes. Télécharger un film pouvait prendre jusqu’à quatre heures.

Il était par ailleurs interdit aux professeurs d’utiliser YouTube pour éviter d’engorger et de paralyser l’ancien réseau. La nouvelle vitesse sera fixée, pour le départ, à 25 mégabits par seconde dans les foyers. Sur les appareils mobiles, l’expérience sera néanmoins aussi rapide que dans les grands centres urbains.

Le réseau est même prêt à accueillir la fameuse technologie 5G – la cinquième génération des communications sans fil – lorsqu’elle sera autorisée par Ottawa.

« Un monde qui s’ouvre »

À l’instar du milieu scolaire, c’est une quasi-révolution qui s’opère dans le domaine de la santé à Pakuashipi comme ailleurs sur le territoire. « C’est un nouveau monde qui s’ouvre à nous », n’hésite pas à dire la directrice du dispensaire de la communauté, Nicole Driscoll. « Lent, ce n’est même pas le mot pour qualifier le service internet jusqu’ici. »

Autour d’un poste de travail, les paroles de Nicolas Bouffard, de Christiane Théberge et de Claudette Gagnon s’enfilent. Le quotidien des trois infirmiers vient littéralement d’être transformé.

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De gauche à droite : Christiane Théberge, Claudette Gagnon et Nicolas Bouffard, infirmiers

Avant, ils ne pouvaient communiquer entre eux que par radio-récepteur. Une radio qu’ils transportaient avec eux, en tout temps, s’ils étaient de garde.

Quand une tempête frappait, il n’était pas rare non plus qu’ils doivent sortir du centre de santé pour utiliser un téléphone satellite. À Pakuashipi, ce sont les infirmiers qui montent la garde. Le médecin ne visite les installations que 18 fois par année. Maintenant, ils pourront en un clic avoir accès aux conseils d’un spécialiste.

« Nous sommes les yeux du médecin, souligne Claudette Gagnon. Il va pouvoir voir ce que l’on voit et nous donner ses indications », ajoute-t-elle.

Ce sera bénéfique pour la télémédecine, l’apprentissage et même pour toute la gestion des dossiers médicaux.

Nicole Driscoll, directrice du dispensaire de la communauté

C’est en tout 16 établissements publics qui seront branchés directement à la fibre optique sur le vaste territoire de la Basse-Côte-Nord. L’arrivée de l’internet haute vitesse est aussi vue comme un moteur pour le développement économique de cette région isolée, qui n’est toujours pas, faut-il le rappeler, reliée au reste du Québec par une route.

Trois technologies

C’est un mariage de trois technologies qui permet à Telus d’offrir un service internet à haut débit ainsi que du réseau cellulaire, sur ces 400 km de littoral nordique. De la fibre optique a été installée sur environ 200 km aux extrémités de la Basse-Côte-Nord, soit entre Natashquan et Kegaska et entre Blanc-Sablon et Vieux-Fort.

« Entre les deux [tronçons], nous avons installé une série d’antennes micro-ondes capables d’envoyer du signal jusqu’à 75 km autour », a expliqué M. Gratton, en entrevue avec La Presse. « À partir de ces antennes-là, on se rend jusque dans les communautés avec le réseau sans fil LTE évolué, comme dans les centres urbains. »

La technologie installée dans les antennes micro-ondes a été testée pendant des mois jusqu’au Texas, aux États-Unis, avant d’être acheminée par bateau de Rimouski jusqu’en Basse-Côte-Nord.

Bâtir une tour, c’est une chose dans un centre urbain, mais le faire sur la Basse-Côte-Nord, c’en est une autre.

François Gratton, président du groupe Telus

Tout l’équipement de Telus a été transporté par bateau (le Bella Desgagnés assure une desserte maritime du Bas-Saint-Laurent vers les communautés) et par hélicoptère. Sur le terrain, on déplaçait le matériel en véhicule tout-terrain, notamment. Il faut comprendre que la route 138, principal lien routier de la Côte-Nord, s’arrête à Kegaska, tout juste après Natashquan.

Et la facture ?

Pour le service internet à haut débit, les familles de la Basse-Côte-Nord paieront environ 60 $ par mois pour avoir accès à 150 gigabits (GB). À titre de comparaison, un foyer qui disposait d’un service par satellite pouvait payer le double du prix. Par ailleurs, Telus participe au programme fédéral Familles branchées, qui offre aux ménages moins nantis l’accès à des forfaits internet haute vitesse pour 10 $ par mois.

L’arrivée de l’internet et de service cellulaire dans une communauté peut aussi entraîner son lot de problèmes, allant de l’intimidation à la dépendance aux jeux en ligne. Dans cette optique, Telus offrira aux communautés comme Pakuashipi des ressources en ligne et des ateliers pour favoriser une utilisation « équilibrée et sécuritaire » du web.

À l’école, notamment, les téléphones cellulaires sont déjà interdits en classe. Mais on prévoit également suivre de près les élèves et les sensibiliser à la cyberintimidation.

Îles-de-la-Madeleine : Au pays de « l’internet à pédales »

« Des fois, ça irait plus vite d’envoyer une clé USB par la poste… »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Les deux fournisseurs internet locaux aux Îles-de-la-Madeleine, Télébec (propriété de Bell) et Déry Télécom, proposent des forfaits de 5 à 12 Mb/s.

Au bout du fil, Marinel Leblanc ricane. Mais elle ne la trouve pas drôle pour autant. Pour L’île imagin’air, société de production audiovisuelle des Îles-de-la-Madeleine, l’accès à un service internet rapide et fiable n’est pas un caprice. Il est vital.

Or, pour obtenir une connexion à la hauteur de ses besoins, autant en téléchargement qu’en téléversement (upload), la petite entreprise, où Mme Leblanc est adjointe à la direction, doit débourser des sommes considérables. Il y a deux ans, elle a d’abord payé plus de 2000 $ pour se raccorder au réseau de fibre optique qui traverse les Îles par la route principale, en plus des frais d’activation. Par chance, les bureaux se trouvaient près d’un point de raccordement ; d’autres entrepreneurs, plus éloignés, ont reçu des estimations qui se chiffraient plutôt dans les dizaines de milliers de dollars.

En outre, l’entreprise doit chaque mois débourser 500 $ pour un service atteignant une vitesse de 30 mégabits par seconde (Mb/s), tant en téléchargement qu’en téléversement. Cela représente « une Cadillac pour les Îles », avoue Mme Leblanc, « mais n’importe qui qui a un chalet [sur le continent] a plus que ça pour regarder Netflix », ironise-t-elle. Elle estime qu’elle paierait une fraction de cette somme pour un service plus performant si elle était établie à Québec ou à Montréal.

En effet, dans la métropole, il est possible d’avoir accès à une vitesse 50 à 100 Mb/s pour une soixantaine de dollars par mois, selon les fournisseurs.

« C’est un peu absurde », résume Marinel Leblanc.

L’exemple de L’île imagin’air en est un parmi tant d’autres aux Îles, où les citoyens, entreprises et services publics attendent depuis des années un véritable accès à l’internet haute vitesse.

Pour l’heure, les deux fournisseurs locaux, Télébec (propriété de Bell) et Déry Télécom, y proposent des forfaits de 5 à 12 Mb/s. Selon les témoignages recueillis dans le cadre de ce reportage, il n’est pas rare que la vitesse de téléchargement effective, en période de grande demande, oscille plutôt entre 1 et 3 Mb/s. À titre comparatif, le magazine Protégez-vous évaluait l’été dernier que le service Netflix, en résolution standard, demande un minimum de 2 Mb/s.

La solution ?

En théorie, les Madelinots verraient enfin la lumière au bout du tunnel. Déry Télécom doit raccorder tous les immeubles de l’archipel au réseau de fibre optique d’ici l’été 2020. Mais quel prix ses clients devront-ils payer ? C’est moins clair.

Le dossier est complexe. Les Îles sont alimentées par deux immenses câbles sous-marins qui les relient à la Gaspésie. Ces câbles sont la propriété du Réseau intégré de communications électroniques des Îles-de-la-Madeleine (RICEIM), un organisme à but non lucratif, mais la fibre optique qu’ils transportent est exploitée par Télébec, en vertu d’un contrat de 20 ans qui arrivera à échéance en 2024.

À l’arrivée de la fibre optique il y a une quinzaine d’années, les résidants des Îles se voyaient à l’avant de la parade, avec un potentiel d’internet à grande vitesse virtuellement illimité. Mais le réseau de distribution vers les maisons, en fils de cuivre, n’a tout simplement pas ce qu’il faut pour desservir décemment les Madelinots.

C’est un peu comme l’alimentation en eau d’une maison : si le réseau d’aqueduc fournit l’eau dans un tuyau de deux pouces mais que la tuyauterie de la maison fait un quart de pouce, vous n’en aurez pas plus que ça.

Claude Cyr, président du RICEIM

Las de la situation, le RICEIM a lancé en décembre 2017 un appel d’offres pour brancher le réseau de fibre optique à toutes les adresses des Îles. C’est Télébec qui l’a décroché, avec un projet de 13 millions de dollars assorti d’un engagement à proposer des forfaits au même prix qu’ailleurs au Québec.

Quelques mois plus tard, le ministère de l’Économie annonçait le programme Québec branché, destiné à offrir l’accès à l’internet haute vitesse partout dans la province. Un nouvel appel d’offres a donc été lancé aux Îles, cette fois par Québec. Bell a soumis le même projet, mais s’est fait coiffer par Déry Télécom, qui a remporté la mise avec un projet trois fois moins cher, à 4 millions. On promettait alors une vitesse de téléchargement de 30 Mb/s, sous la norme minimale du CRTC fixée à 50 Mb/s pour une connexion à haut débit.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que la nouvelle a été reçue froidement. « On apporte une solution d’hier pour les besoins d’aujourd’hui et demain », déplore Joël Arseneau, député péquiste des Îles-de-la-Madeleine à l’Assemblée nationale. Celui-ci s’étonne encore que Québec ait choisi le plan de Déry plutôt que celui de Bell qui, bien que plus cher, prévoyait un investissement par foyer inférieur à celui de projets similaires ailleurs au Québec.

Selon M. Arseneau, la survie d’entreprises du coin est carrément menacée faute d’un réseau plus performant. Les concessionnaires automobiles, par exemple, ont besoin d’un service à très haut débit pour programmer les équipements électroniques des véhicules.

Malgré cette situation, qualifiée de « honteuse » par le RICEIM dans une sortie publique en septembre dernier, le milieu s’est finalement rallié. « Ce n’est pas parfait, mais c’est au moins une amélioration », concède Claude Cyr.

Négociations

Des discussions ont mené à une entente signée en décembre 2018, dans laquelle Déry a tout de même bonifié son offre à 50 Mb/s, norme minimale du CRTC, et avancé une livraison pour août 2020. Les travaux sont déjà amorcés et l’échéancier serait respecté, entend-on.

Toutefois, la tarification reste toujours à déterminer. Québec a mandaté Déry pour négocier avec Télébec un prix abordable pour l’accès à la fibre optique qui se solderait par une grille tarifaire abordable.

PHOTO JEANNOT LÉVESQUE, ARCHIVES LE QUOTIDIEN

Nathalie Gagnon, directrice des communications et du marketing chez Déry

Or, les négociations sont au point mort depuis juin dernier, après deux rondes infructueuses, confirme Nathalie Gagnon, directrice des communications et du marketing chez Déry. « On s’est assis avec notre compétiteur pour trouver une solution, mais ça n’a pas fonctionné », dit-elle.

Dans un courriel, Caroline Audet, porte-parole de Bell, nous a écrit que Télébec avait « négocié de bonne foi avec [Déry] pour l’accès qu’ils demandent et [allait] continuer de le faire ».

« Cependant, ajoute-t-elle, nous ne sommes pas responsables des conditions d’accès, de la tarification ou des autres conditions que Déry a peut-être promises au gouvernement lorsqu’il a proposé de fournir des services internet aux Îles-de-la-Madeleine. »

« Bell aussi a des frais énormes, ce n’est pas évident, reconnaît Mme Gagnon. Mais je ne pense pas que ce soit le rôle de l’entreprise privée de subventionner l’accès à l’internet. Si le gouvernement veut l’équité, il devra trouver une solution. »

La solution la plus évidente serait que Québec éponge une partie de la note, sans quoi l’équité de prix sera sérieusement compromise. En entrevue avec La Presse la semaine dernière, le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a affirmé qu’il annoncerait bientôt « une mise à jour » dans ce dossier « qui va très bien », sans toutefois s’avancer davantage.

Malgré le projet en cours, les Îles continuent d’évaluer leurs options. Une portion de la fibre optique inutilisée – ou fibre noire – présente dans les câbles sous-marins pourrait éventuellement être exploitée par un compétiteur du gestionnaire actuel Télébec, ce qui pourrait avoir une influence sur les prix aux consommateurs. Mais il s’agit là d’un projet qui ne se concrétisera vraisemblablement pas à court ou moyen terme.

Faute d’une solution optimale, les Madelinots attendent donc l’été avec impatience afin de tourner la page le plus vite possible, comme le dit leur député, sur leur service d’« internet à pédales ».

Quand un castor paralyse Sept-Îles

Si la Basse-Côte-Nord célèbre son grand branchement, ce n’est pas encore toute la Côte-Nord qui peut compter sur un service internet et une couverture cellulaire sans faille. Et c’est aussi le cas de secteurs dans l’est de la province.

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La Côte-Nord réclame une meilleure couverture cellulaire sur son territoire. De grands tronçons de la route 138, entre Baie-Comeau et Sept-Îles, sont dépourvus de service, tout comme à l’est de Sept-Îles vers Natashquan, ce qui pose des enjeux liés à la sécurité.

La faute au castor

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Réjean Porlier, maire de Sept-Îles

La ville de Sept-Îles a été coupée du reste du monde deux fois en deux mois, il y a quelques semaines à peine, en raison de ruptures de la fibre optique. Le 19 octobre, Sept-Îles et tout l’est de la Côte-Nord ont été privés pendant de longues heures de réseau cellulaire et d’internet parce qu’un câble avait été sectionné lors d’un accident survenu sur la route 138. En août, c’était un castor qui avait fait tomber un arbre sur un câble de fibre optique, ce qui avait entraîné des problèmes similaires. « C’est totalement ridicule », lance le maire de Sept-Îles, Réjean Porlier. « Ce genre de situations a des impacts sur tout, les entreprises, les banques… Qui n’a pas besoin d’aller aujourd’hui, dans son travail, sur le réseau pour consulter des choses ? », déplore-t-il. Le maire explique avoir eu des discussions avec Ottawa pour obtenir une « redondance du système », qui offrirait une protection en cas de rupture. Il dit avoir bon espoir d’obtenir une réponse favorable du prochain gouvernement. La solution passerait par l’installation d’un câble de fibre optique sous-marin de la Gaspésie vers la Côte-Nord et coûterait de 12 à 15 millions.

40 essais pour appeler le 911

La Côte-Nord réclame une meilleure couverture cellulaire sur son territoire. De grands tronçons de la route 138, entre Baie-Comeau et Sept-Îles, sont dépourvus de service, tout comme à l’est de Sept-Îles vers Natashquan, ce qui pose des enjeux liés à la sécurité. En juillet, une automobiliste de Natashquan a croisé la route d’une touriste qui se trouvait en choc anaphylactique. Elle a dû composer le 911 jusqu’à 40 fois pour avoir la ligne, ont rapporté des médias locaux. La dame a été sauvée in extremis. Toujours en Minganie, l’île d’Anticosti est quant à elle totalement privée de service cellulaire. « Il y a des hot spots d’où on appelle sur l’île, où tu peux capter le signal [de la Gaspésie], mais il faut que tu le trouves », explique la maire de l’île, John Pineault. Il déplore que l’absence de couverture cellulaire nuise à l’industrie du tourisme, moteur économique de l’île d’Anticosti.

Absence de signal quasi fatale

La faiblesse du réseau cellulaire a bien failli coûter la vie à deux motocyclistes l’été dernier à Sainte-Paule, dans le Bas-Saint-Laurent. Un bon Samaritain s’est arrêté pour leur venir en aide après qu’ils eurent happé un orignal. Mais faute de signal convenable, l’homme a dû parcourir 3 km pour appeler les autorités. Grièvement blessées, les victimes s’en sont tirées, mais cet événement a souligné à gros traits combien le signal était déficient dans la région. Depuis, la situation s’est améliorée, constate Denis Santerre, maire de Baie-des-Sables et préfet de la MRC de La Matanie, mais cette histoire « ne sera pas la dernière, tant que tout [le réseau] ne sera pas en place ». Pascal Bérubé, chef intérimaire du Parti québécois et député de Matane–Matapédia, espère que la volonté exprimée par le gouvernement caquiste de connecter toutes les régions se concrétisera. « La seule façon de valider le sérieux de [sa] démarche, c’est quand on va utiliser le service et qu’il va fonctionner. »

Mieux en Gaspésie

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Roch Audet, maire de Bonaventure

« C’est peu connu, mais on est très bien connectés en Gaspésie ! », s’exclame Roch Audet. Le maire de Bonaventure est également président du Réseau collectif de communications électroniques, organisation chargée d’assurer les services de télécommunication dans la péninsule. Au milieu des années 2000, l’organisme a créé son propre réseau pour connecter les commissions scolaires, écoles et campus collégiaux de la région. Puis des ententes ont été conclues avec des fournisseurs, dont Telus, pour l’implantation unilatérale de la fibre optique. D’ici deux ans, toutes les maisons seront connectées, « même celles au bout des rangs », assure M. Audet. En revanche, pour le signal cellulaire, « il reste du travail », souligne-t-il, ajoutant que plusieurs villages attendent toujours un meilleur service.

Objectif 2022

La CAQ a promis en campagne électorale d’injecter 400 millions afin que toutes les régions de la province aient accès à l’internet haute vitesse dès son premier mandat, soit d’ici 2022. Le Devoir écrivait l’année dernière que l’investissement nécessaire pourrait être plus élevé que prévu et l’échéancier quelque peu reporté. Les acteurs régionaux semblent néanmoins optimistes quant aux intentions du gouvernement Legault dans ce dossier. Le mois dernier, le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon a annoncé une enveloppe de 100 millions à l’intention spécifiquement des régions qui n’étaient pas admissibles au programme Québec branché du gouvernement Couillard. L’appel de projets est toujours en cours pour ce nouveau programme, baptisé « Régions branchées ». La CAQ s’était aussi engagée à fournir un signal cellulaire dans toute la province, mais aucune annonce n’a encore été faite en ce sens.

Des millions d’Ottawa

Ottawa, par l’entremise de son programme Brancher pour innover, a promis d’investir 500 millions d’ici 2021 pour fournir des services internet haute vitesse à quelque 300 collectivités rurales et éloignées du Canada. Au Québec, environ 75 projets, qui en sont à différents stades d’avancement, ont satisfait aux critères pour obtenir des fonds. Le projet de la Basse-Côte-Nord a notamment pu compter sur une enveloppe de 11,05 millions. Le programme fédéral permet de financer une infrastructure dite « de base » pour brancher des établissements comme les écoles et les hôpitaux. Il permet aussi de payer l’infrastructure « du dernier kilomètre » reliant le réseau aux entreprises et aux foyers. Le CRTC dispose aussi du Fonds pour la large bande qui vise à améliorer les services d’accès internet et les services de sans-fil mobiles, grâce à une enveloppe de 750 millions sur cinq ans. L’organisme vient d’ailleurs tout juste de lancer son second appel de propositions. Les projets retenus seront annoncés en 2020.

Un souhait des municipalités

Cette énième promesse de connecter toutes les régions à l’internet haute vitesse sera-t-elle la bonne ? Jacques Demers, président de la Fédération québécoise des municipalités, avoue se faire poser souvent la question. « On n’en est plus là ; c’est tout simplement rendu essentiel », dit-il. Dans l’attente de l’enveloppe du CRTC à Ottawa, la Fédération exprime un seul souhait : que les fonds dégagés par le fédéral soient distribués par le gouvernement du Québec afin que les MRC « puissent passer par une seule porte » et n’aient pas à faire des demandes de subvention parallèles. « Mettez tout ensemble, demande M. Demers. Je ne vois pas comment on peut couvrir tout le Québec d’ici 2022 si on commence à s’accrocher les pieds. »