Confusion chez les donateurs, interrogations sur la formation des intervenants auprès des personnes en détresse : les pratiques de SOS Suicide Jeunesse, un organisme indépendant, inquiètent le Regroupement des 28 centres de prévention du suicide. Québec a aussi des réserves, mais se dit impuissant à intervenir.

En entrevue à La Presse, la présidente du Regroupement, Lynda Poirier, se demande qui travaille chez SOS Suicide Jeunesse et qui a formé les intervenants qui répondent aux personnes en détresse sur sa ligne d'intervention téléphonique. « C'est nébuleux, lance-t-elle. On ne sait pas ce qu'ils font et qui ils sont. »

Elle ajoute que SOS Suicide Jeunesse fait aussi « beaucoup de sollicitation » auprès de donateurs. « Comme nous avons en commun le mot "suicide", des gens nous appellent parfois pour nous dire qu'ils nous ont donné de l'argent. Or, leurs dons ont été versés à SOS Suicide Jeunesse », affirme Lynda Poirier. Les 28 centres de prévention du suicide de son regroupement répondent aux appels de détresse sur la ligne d'intervention téléphonique gouvernementale 1 866 APPELLE.

Le réseau de la santé juge de son côté que la formation donnée chez SOS Suicide Jeunesse n'est pas conforme « aux bonnes pratiques », mais se dit impuissant à intervenir.

Ces bonnes pratiques « visent notamment à sensibiliser à l'importance de faire davantage reposer les interventions sur des résultats de recherche probants et des standards de la ligne 1 866 APPELLE, plus spécifiquement sur le plan de la qualité », a indiqué par écrit le ministère de la Santé et des Services sociaux à La Presse.

« Pour toute intervention, et particulièrement lorsqu'il est question de suicide, il faut s'assurer que les services offerts à la population n'entraînent pas d'effets négatifs, souligne encore le Ministère. Malgré toutes les bonnes intentions, une intervention inadéquate peut avoir des conséquences dramatiques. »

Le Ministère note cependant que SOS Suicide Jeunesse, ne recevant pas de financement public, n'a pas à lui rendre de comptes : « Dans ce contexte, il devient difficile d'imposer des orientations ou des standards de qualité, d'autant plus quand les services sont offerts par des individus non rémunérés ou qui n'appartiennent à aucun ordre professionnel. »

SOS Suicide Jeunesse réplique

La coordonnatrice bénévole de SOS Suicide Jeunesse, Danielle Gauthier, nie encourager la confusion. Elle clame aussi que la formation qu'elle donne elle-même à ses bénévoles est de qualité. Elle explique avoir été formée par une psychothérapeute il y a une vingtaine d'années. 

Mme Gauthier, qui affirme avoir longtemps travaillé dans les coulisses du « showbusiness », reconnaît ne pas avoir de formation en psychologie. Elle se décrit toutefois comme une personne très « psychologue », à qui les gens aiment se confier.

Elle ne s'étonne pas de la méfiance des centres de prévention du suicide envers son organisme. Au début des années 2000, SOS Suicide Jeunesse a d'ailleurs déposé une mise en demeure contre l'un de ces centres, estimant qu'il leur faisait une mauvaise réputation.

« Même dans le bain »

Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, les centres de prévention du suicide répondent aux appels de détresse sur la ligne 1 866 APPELLE. Des 28 centres de prévention du suicide au Québec, la grande majorité embauche des intervenants qui ont une formation en relation d'aide. Mais tous ceux qui répondent à la ligne d'intervention - qu'ils soient rémunérés ou bénévoles - ont suivi la formation reconnue par le ministère de la Santé.

Les centres de prévention du suicide offrent leur formation aux professionnels du réseau public et aux organismes communautaires qui la demandent. Les bénévoles de SOS Suicide Jeunesse ne l'ont pas suivie, explique à La Presse Danielle Gauthier, invoquant des raisons « budgétaires », car cette formation n'est pas gratuite.

SOS Suicide Jeunesse, qui existe depuis 1997, est établi à Québec et exploite sa propre ligne d'intervention, le 1 800 595-5580, offerte partout au Québec. Indépendante du 1 866 APPELLE, elle reçoit selon sa coordonnatrice jusqu'à 3600 appels par année. Comparativement à 51 600 appels en moyenne annuellement au 1 866 APPELLE. Le site de SOS Suicide Jeunesse est également inscrit dans une liste des organismes qui viennent en aide à la population sur le site internet du ministère de la Famille.

Lorsqu'une personne appelle à la ligne de SOS Suicide Jeunesse, un téléphoniste répond et passe l'appel au bénévole de garde. Mme Gauthier affirme qu'elle répond elle aussi tous les jours et même souvent le soir aux appels de détresse, en plus d'être responsable de la formation et de la supervision des intervenants et de l'administration. « Toutes les lignes [peuvent être] transférées sur mon cellulaire. Je suis disponible, peu importe ce que je fais, même dans le bain ! »

Elle alimente également la page Facebook de l'organisme, où elle partage aussi des pensées positives et publie des événements comme « Rallumez votre étoile - conférence [sur] la puissance du pouvoir créatif ».

Mme Gauthier critique à son tour les services sur la ligne 1 866 APPELLE des centres du Regroupement. « Les gens qui nous contactent nous disent parfois qu'on leur a dit d'aller prendre un bon bain, de se coucher et que c'était pour passer. [...] Une personne m'a déjà dit qu'on lui avait demandé de rappeler le lendemain », dit-elle.

Lynda Poirier rejette vivement cette allégation. « Ça ne fait vraiment pas partie des pratiques que nous avons. Et on ne dit pas à quelqu'un d'aller prendre un bain... », s'indigne-t-elle.

Site dépassé ?

Mme Poirier reproche enfin à SOS Suicide Jeunesse de diffuser des informations dépassées sur son site internet. « Ça ne reflète pas l'état actuel des connaissances que nous avons en prévention du suicide au Québec, affirme-t-elle. [...] Il y a 20 ans, [ce qu'ils écrivent], c'est ce qu'on pensait. »

« C'est sûr qu'on va simplifier [l'information] pour arriver à ce que les gens [qui] détectent de la souffrance prennent le téléphone, nous appellent et qu'on soit en mesure de poser les questions pour voir ce qui en est, réplique Danielle Gauthier. Si on commence à tout élaborer, [...] c'est dangereux de faire ça. »

Finances en montagnes russes

Les centres de prévention du suicide sont des organismes sans but lucratif présents dans toute la province. En plus de solliciter des dons, ils reçoivent un financement de base de Québec. En 2017-2018, cette somme représentait 11,3 millions. SOS Suicide Jeunesse est aussi un organisme sans but lucratif, mais il ne compte que sur les dons du public. Des personnalités publiques ont participé à des spectacles-bénéfices au profit de SOS Suicide Jeunesse, qui a connu une année exceptionnelle en 2015 en engrangeant 151 000 $. L'automne dernier, SOS Suicide Jeunesse a récolté 7400 $ en tenant un événement à Saint-Jérôme avec Philippe Bond, entre autres. L'équipe de gérance de l'humoriste a expliqué à La Presse que le spectacle avait été organisé par un jeune de la région. Mais les dons ont grandement varié au fil des ans. L'organisme déclare avoir reçu 12 000 $ en 2016, 46 000 $ en 2017 et près de 11 000 $ en 2018. Des variations qui s'expliquent, selon sa coordonnatrice, par le départ de trois des quatre bénévoles (ils ont trouvé des emplois).

À la demande de La Presse, elle a fourni les états financiers de l'organisme. On y apprend que les recettes servent en partie à rembourser la location de son appartement, qui s'élevait à 12 000 $ en 2018. Elle fait valoir que c'est de là qu'elle répond à la ligne d'intervention et s'occupe de l'administration. Le ménage de l'appartement lui est aussi remboursé.