Le lanceur d’alerte Louis Robert a échoué à convaincre ses confrères du bien-fondé des réformes qu’il voulait entreprendre au sein de sa profession. Il a mordu la poussière, jeudi soir, dans l’élection à la présidence de l’Ordre des agronomes du Québec. C’est le président sortant Michel Duval qui a été réélu.

Le taux de participation, à 64,1 %, était particulièrement élevé.

Louis Robert avait fait de la notion de conflit d’intérêts le thème central de sa campagne à la présidence de l’Ordre. Il proposait que les agronomes qui vendent des pesticides ne soient pas les mêmes qui autorisent les producteurs agricoles à en faire l’usage.

Dans un communiqué, M. Robert a fait savoir qu’il n’était « pas amer ». « Je me console en me disant que les enjeux ont été soulevés et seront débattus à l’Ordre. Ils ne seront pas oubliés pour autant. Espérons qu’ils seront réglés dans un proche avenir », a-t-il laissé savoir. Il a refusé d’en dire plus au téléphone en soirée.

Il y a environ 3000 agronomes au Québec. Seulement 15 % occupent des postes au sein des diverses fonctions publiques. Les autres sont notamment à l’emploi d’entreprises privées, de coopératives, d’institutions financières, de groupes de producteurs ou d’OBNL.

En mars 2018, Québec a resserré le Code de gestion des pesticides afin de mieux encadrer l’épandage de cinq pesticides considérés comme étant à plus haut risque.   Désormais, avant de pouvoir avoir recours à l’atrazine, au chlorpyrifos et à trois types de néonicotinoïdes, ce fameux pesticide « tueur d’abeilles », les agriculteurs doivent obtenir une « prescription » de la part d’un agronome.  

Or, sur le terrain, ce sont souvent les agronomes à l’emploi des fournisseurs de pesticides qui remplissent ces prescriptions, légalement requises pour acheter et appliquer un pesticide. Une situation qui place ces agronomes en situation de conflit d’intérêts même s’ils sont bien intentionnés, estime Louis Robert.

Selon une étude de l’Ordre des agronomes, 80 % des entreprises qui vendent des pesticides rémunèrent leurs agronomes avec des primes, des bonis ou des commissions, en plus de leur salaire. Cette « rémunération variable » représente de 1,5 % à 30 % de la rémunération totale de ces agronomes. Cette pratique contrevient à leur code de déontologie.

Cette façon de faire était sévèrement remise en cause par M. Robert, tandis que le président sortant Michel Duval avait promis de s’y attaquer.

Rappel des faits

L’affaire Louis Robert a fait couler beaucoup d’encre cette année. Fonctionnaire au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) durant 32 ans, il a été congédié le 24 janvier après une enquête administrative au cours de laquelle il a admis être à la source d’un reportage de Radio-Canada.

Il s’était tourné vers les médias après avoir tenté de dénoncer une situation de crise dans un centre de recherche financé par les fonds publics auprès de son employeur, sans succès.

Louis Robert a transmis au journaliste Thomas Gerbet un document confidentiel faisait état d’une situation de crise au Centre de recherche sur les grains (CEROM), une corporation à but non lucratif financée à 68 % par le MAPAQ. À l’époque, 15 des 35 employés du centre, dont 7 chercheurs, venaient de démissionner.  

Le document raconte que des scientifiques ont subi des tentatives d’intimidation de la part de quelques membres du conseil d’administration et de son ancien président, Christian Overbeek, « dans la diffusion et l’interprétation des résultats de projets de recherche ».  

Le geste de Louis Robert a causé bien des remous. Hier encore, le député de Québec solidaire Vincent Marissal a déposé un projet de loi pour protéger les lanceurs d’alerte, tant du secteur public que privé, citant notamment le cas de M. Robert.

— Avec la collaboration de Janie Gosselin