Le débit et le courant des rivières et du fleuve Saint-Laurent sont particulièrement puissants au Québec cette année, la faute à un niveau d’eau anormalement haut. Cette puissance rend les cours d’eau nettement plus dangereux et ne serait pas étrangère au bilan des noyades, étonnamment élevé compte tenu de l’arrivée tardive du beau temps.

Le corps d’un homme dans la trentaine est recherché depuis vendredi dans les eaux de la rivière Batiscan, à Notre-Dame-de-Montauban. Le 22 juin, un homme de 23 ans qui se baignait dans la rivière Jacques-Cartier, à Pont-Rouge, a été emporté par les remous. Le 16 juin, un homme de 19 ans s’est noyé dans la rivière Malbaie, à Clermont. Le 7 juin, à Saint-Côme, une adolescente de 14 ans a été trouvée inanimée dans la rivière L’Assomption. Le 4 mai, une fillette de 4 ans a été emportée par le courant d’un ruisseau à Macamic, en Abitibi-Témiscamingue, après avoir été poussée à l’eau.

Depuis le début de l’année, 28 personnes ont sombré dans les eaux du Québec, recense la Société de sauvetage – 29, si l’on compte le trentenaire toujours recherché en Mauricie. C’est six de plus que l’an dernier à pareille date. Comment l’expliquer, d’autant plus que la météo propice à la baignade a mis un temps fou à arriver ? Le débit de l’eau. Particulièrement vigoureux cette année, le courant rend les rivières encore plus traîtresses qu’elles le sont déjà.

« Le jeune homme qui s’est noyé dans la Jacques-Cartier, par exemple, semblait habitué à ce plan d’eau. Mais ce qu’on dénote, c’est que, cette année, les courants sont beaucoup plus importants. Et la particularité d’une rivière, c’est que, des fois, on la regarde à la surface, et elle paraît calme. Mais sous la surface, le débit est hyper important », soulève Raynald Hawkins, directeur général de la Société de sauvetage du Québec.

« Je comprends très bien que les gens soient attirés par la rivière, mais si elle n’a pas été aménagée pour la baignade, elle ne devrait servir qu’aux sports nautiques. Et en portant un gilet de sauvetage », rappelle M. Hawkins.

Danger, plage fermée

Méfiance accrue dans les rivières, donc, mais aussi dans certaines portions du fleuve Saint-Laurent. À Salaberry-de-Valleyfield, la situation était à ce point particulière cette année que la Ville a sérieusement songé à fermer sa plage du parc régional des Îles-de-Saint-Timothée pour toute la saison à cause de la dangerosité des courants dans l’anse du bassin de Saint-Timothée.

« Il y a trop de courant, présentement. Depuis un mois, on travaille à mettre en place des mesures pour ouvrir quand même la plage », expliquait à la fin de juin Claudia Meloche, coordonnatrice des évènements et du parc régional à la Ville de Salaberry-de-Valleyfield, en entrevue avec La Presse.

La plage a ouvert en fin de semaine, avec trois semaines de retard. La zone de baignade est limitée aux secteurs sans courant ; les sauveteurs ont été formés pour intervenir à partir d’une embarcation nautique au besoin ; deux postes de surveillance ont été ajoutés ; une zone tampon au-delà de la zone de baignade a été délimitée ; des panneaux d’information ont été installés ; et la Ville évalue la force du courant tous les jours. Ainsi, « le risque repose uniquement sur les baigneurs délinquants qui sortiraient de la zone de baignade en sous-estimant la force du courant », évoque la Ville.

« Le problème n’est pas dans la zone de baignade, mais du côté des téméraires qui ne la respectent pas. Les gens ne comprennent pas le danger », observe Mme Meloche, qui a même vu des familles aller dans l’eau avec leurs enfants alors que la baignade était interdite et qu’une dizaine d’affiches géantes sur la plage signalaient le danger du courant. 

Résister à la tentation

Près de la moitié des noyades au Québec (41 %) se produisent en rivière. Le directeur général de la Société de sauvetage rappelle qu’elles sont imprévisibles et qu’il serait bien malavisé de prétendre « connaître par cœur » un cours d’eau.

« Les rivières changent constamment, surtout par rapport à l’année précédente. Mais même d’une fin de semaine à l’autre, une rivière peut avoir changé. Des fois, le débit fait en sorte que des embâcles se déplacent, et ceux-ci créent des vortex qui nous aspirent vers le fond », affirme Raynald Hawkins.

Il donne aussi en exemple la rivière Rouge, dans les Laurentides, dont le fond est composé de sables mouvants qui aspirent quiconque y pose les pieds, selon le même principe que sur la terre ferme. De quoi faire paniquer même les meilleurs nageurs.

« On sait que des entreprises de rafting permettent à des gens de se baigner à certains endroits, mais elles leur demandent de garder leur veste de sauvetage », remarque M. Hawkins, qui déconseille tout de même la baignade en rivière.

Statistiquement, le pire est encore à venir. La semaine la plus meurtrière de l’année dans les plans d’eau du Québec est historiquement la troisième de juillet. M. Hawkins aimerait bien faire mentir les statistiques et que les drames déjà trop nombreux sensibilisent la population au risque réel des forces de la nature.