Pendant que les policiers multiplient les opérations pour détecter les conducteurs sous l'effet du cannabis autour de Montréal, un entrepreneur flairant la bonne affaire tente de commercialiser un produit « miracle » censé berner les agents évaluateurs. La Presse a testé le produit, qui fait bien sourire les policiers.

La promesse

Vendu 26 $ la petite fiole de 30 ml lors de l'Expo cannabis de Montréal en octobre dernier, le produit K-Toxin Cleaner promet d'éliminer toute trace de THC dans la bouche et sur la langue des consommateurs de cannabis jusqu'à une heure après son utilisation. « Avec ça, tu n'es pas détectable par la police quand tu conduis », assure sans détour le président de K-Labs, Vincent Jardin, qui dit avoir conçu le liquide au goût de menthe avec de l'extrait de neem, « un bactéricide et fongicide complètement naturel qui détruit le THC dans la bouche ».

Le test 

Pour en avoir le coeur net, nous avons testé l'efficacité du produit en demandant à un consommateur régulier de cannabis de nous fournir un échantillon de salive quelques minutes après avoir fumé un joint, puis un second échantillon 10 minutes après avoir utilisé le K-Toxin Cleaner en suivant les instructions du fabricant à la lettre. Les deux échantillons de salive ont été vérifiés au moyen du test Cannabis Verdict, d'Alco Prévention Canada, vendu une vingtaine de dollars en ligne. Les deux tests ont détecté une présence de THC supérieure à 20 ng/ml de salive. Verdict : le K-Toxin Cleaner ne fonctionne pas. Vincent Jardin n'a pas répondu à nos courriels et le numéro de téléphone affiché sur sa carte professionnelle a été désactivé depuis l'Expo cannabis.

La réalité sur le terrain

Sur le terrain, les agents de l'escouade BRAVES (Barrages routiers, alcool au volant et évaluation de stupéfiants), une unité spécialisée du Service de police de la Ville de Montréal créée le 17 octobre dernier, font peu de cas d'un produit comme le K-Toxin Cleaner. La quinzaine de policiers de l'escouade n'utilisent aucun appareil pour détecter la présence de cannabis dans la salive, même si le ministère fédéral de la Justice a homologué une de ces machines, le Dräger DrugTest 5000, en août dernier. « Ce n'est pas parce qu'on n'a pas la machine qu'on n'arrive pas à déceler les conducteurs sous l'influence du cannabis. Les médias ont fait beaucoup état de cette machine, mais c'est un peu un gadget », affirme le lieutenant Bryan Cunningham, responsable de l'unité.

Recherche de doutes raisonnables

Les agents se basent plutôt sur une épreuve de coordination des mouvements pour détecter toute conduite sous l'effet de la drogue. Lors d'une opération tenue jeudi dans la nuit aux abords du pont Victoria, c'est grâce à cette approche que les agents de l'escouade BRAVES ont arrêté un homme qui semblait conduire sous l'effet du cannabis. « Les policiers ont vite décelé une forte odeur de marijuana dans l'auto et quand ils ont questionné le conducteur, il leur a dit qu'il était parti de Montréal-Nord pour aller conduire un ami sur la rue Notre-Dame, alors qu'il se trouvait pratiquement sur le pont Victoria, ce qui est un peu bizarre. Ça constituait pour eux un motif suffisant pour aller plus loin. Il suffit d'un petit doute pour pouvoir procéder à une évaluation plus poussée », a expliqué le lieutenant Cunningham.

Épreuve de coordination des mouvements

Avant d'être mis en état d'arrestation, le conducteur suspect a été emmené au chaud dans une pièce fermée, dans un bâtiment situé tout près du pont, où une policière lui a fait passer une épreuve de coordination des mouvements. « On leur donne les conditions idéales pour réussir l'examen, sinon ça risque de leur donner matière à contester en cour », explique le lieutenant. Une fois dans la pièce, la policière lui a demandé de suivre du regard un point en mouvement. « Sous l'influence de la drogue, les yeux ont tendance à bouger de façon saccadée. C'est l'un des nombreux signes qui sont reconnus et acceptés par les tribunaux pour démontrer la conduite sous influence », précise le lieutenant.

Agents évaluateurs de drogues

Si le conducteur échoue à ce premier test, il est emmené au poste de police, où un agent évaluateur accrédité procède à un examen encore plus approfondi en 12 étapes, qui peut durer environ une heure. « On vérifie les yeux, les pupilles, l'équilibre, la perception du temps, la pression artérielle, le pouls, le tonus musculaire et d'éventuelles traces d'injection », explique l'agent évaluateur Sylvain Forgues, du Service de police de l'agglomération de Longueuil, qui a participé à l'opération de jeudi. « Ça nous permet de compléter les motifs justifiant l'arrestation et de déterminer quelle catégorie de drogue le suspect a consommée. Ultimement, ça nous permet de demander un échantillon d'urine, qu'on fera analyser pour trouver des traces de drogue. »

Une technique qui a fait ses preuves

Cette approche a jusqu'à maintenant fait ses preuves, tant au Canada qu'aux États-Unis. Les agents évaluateurs qui entrent en jeu au poste de police ont suivi une formation de 14 jours sur la détection des drogues, alors que les agents sur le terrain ont suivi un cours de trois jours. BRAVES affirme avoir épinglé quatre conducteurs sous l'effet de la drogue depuis sa création, en plus d'avoir arrêté une quinzaine de conducteurs pour facultés affaiblies par l'alcool. « Notre mandat est d'être très présents sur le terrain, de jour comme de soir. On veut passer le message que la conduite sous l'effet du cannabis et de toute autre drogue est illégale. » Lors de l'opération de jeudi, les policiers ont contrôlé 175 conducteurs, dont trois qui ont affiché un taux d'alcoolémie supérieur à 0,08 et un qui était vraisemblablement sous l'effet du cannabis.

Photo Martin Tremblay, La Presse

Test du produit K-Toxin Cleaner avec un consommateur régulier de cannabis

Photo Martin Tremblay, La Presse

Le produit K-Toxin Cleaner