Comme chaque année, le système de santé et l'économie demeurent en 2018 les enjeux qui préoccupent le plus les Québécois. Aussi, bien que certains périls financiers personnels soient sous-estimés, la perception des risques de la population reflète de plus en plus la réalité plutôt que des impressions collectives trompeuses, souligne l'étude annuelle publiée aujourd'hui par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

Depuis la création du Baromètre CIRANO, en 2011, le système de santé reste immanquablement la principale source de préoccupation des Québécois, tant sur le plan personnel que collectif. Une grande majorité de la population, soit 79% des répondants, considère que l'engorgement dans les urgences constitue un risque très important pour la société. Fait à noter, on remarque un amoindrissement des inquiétudes en ce qui concerne l'accès aux services de santé. Bien que toujours élevée, la proportion de citoyens considérant cet enjeu comme risqué est passée de 77% en 2011 à 70% en 2018.

La peur des risques économiques perdure

Les Québécois sont toujours aussi préoccupés par les risques concernant leurs finances personnelles. Un peu plus de 40% de la population voit les risques économiques et financiers au sommet de ses inquiétudes. Toutefois, la crainte collective est en baisse ces dernières années. Les proportions de citoyens inquiets par rapport à une possible hausse du coût de la vie et de la solvabilité ou aux revenus de retraite sont en baisse. Seul un quart des Québécois perçoivent le chômage comme un risque élevé, soulève également le Baromètre CIRANO.

L'endettement augmente, la crainte diminue

Toujours du côté économique, on observe cependant un facteur inquiétant en ce qui concerne l'endettement des ménages, que seuls 57% des Québécois considèrent comme préoccupant, comparativement à 69% il y a cinq ans. Le problème : dans la réalité, le taux d'endettement ne cesse de croître au Québec depuis 2013.

«Les gens ne sont pas préoccupés par ça et peuvent avoir un comportement en conséquence, avoir l'impression qu'ils peuvent continuer de dépenser, ce qui pourrait causer une augmentation de cet endettement», note la chercheuse Nathalie de Marcellis-Warin.

De plus en plus proches de la réalité

Malgré une réaction «particulière» par rapport à l'endettement, les Québécois sont en général beaucoup plus au fait de la réalité, et leurs préoccupations en témoignent. «On voit que les gens sont plus proches de ce qui se passe réellement, par rapport à d'autres années», remarque la professeure.

Par exemple, le fait que les Québécois semblent quelque peu rassurés quant à l'accès aux services de santé correspond au fait que la proportion de la population dans la province inscrite auprès d'un médecin de famille est passée de 56% en 2011 à 70% cette année. Il s'agit d'un point positif, puisque les auteures mentionnent que la dissonance entre perception et réalité peut parfois engendrer de graves conséquences, en matière d'économie ou de santé notamment, et soulignent l'importance de communiquer les bons messages à la population et de faire circuler de vraies données.

Ouverture face à l'immigration

La situation actuelle de plein emploi soulève la problématique de la pénurie de main-d'oeuvre, à laquelle les Québécois semblent voir l'immigration comme une partie de la solution. «C'est intéressant de voir qu'il y a une ouverture face à l'immigration», observe Nathalie de Marcellis-Warin.

La professeure soulève cependant que certains groupes se montrent plus inquiets, soit les femmes, les personnes de 55 à 74 ans et les francophones. «Il s'agit d'une population qui est peut-être plus inquiète pour son emploi, [...] entre autres», explique Mme de Marcellis-Warin.

L'occupation et le niveau de scolarité influencent aussi grandement les perceptions à l'égard de l'immigration, précisent les recherches des deux chercheuses.

Corruption : le manque de confiance règne

Cette année, tout près de huit Québécois sur dix jugent que la corruption est un risque grand ou très grand pour le Québec, un chiffre stable depuis quelques années. «Récemment, il n'y a pas eu d'enjeux majeurs, comparativement aux premières années où l'on interrogeait les gens sur le sujet [à partir de 2013], le problème semble avoir diminué, mais la méfiance et l'inquiétude des gens ne diminuent presque pas», soulève avec étonnement Nathalie de Marcellis-Warin. 

Pour certains risques évalués, lorsque le sujet est central aux débats de société, l'inquiétude est très élevée, mais «diminue dans le temps», ce qui ne semble pas être le cas en ce qui concerne la méfiance face aux gouvernements. «Les Québécois n'ont pas encore l'impression qu'on a trouvé la solution.»

Les travaux préoccupent encore et toujours

Il semble que l'abondance de cônes orange sur les routes empêche les Québécois de voir objectivement l'état actuel réel des infrastructures de transport. Il s'agit de leur troisième principale source de préoccupation sur le plan collectif.

Pourtant, selon la coauteure de l'étude, la gestion des infrastructures routières s'améliore, mais plus de Québécois qu'en 2016 affirment ne pas avoir confiance en l'État pour gérer les infrastructures de transport (de 44% à 55%).

«C'est une question de perception collective : les gens voient beaucoup de travaux, il y a des entraves sur la route, donc la perception est que la situation ne s'améliore pas, mais plutôt qu'il y a un problème», suggère Mme de Marcellis-Warin.

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LE BAROMÈTRE CIRANO : MODE D'EMPLOI

Le Baromètre CIRANO, une recherche menée par les chercheuses Nathalie de Marcellis-Warin et Ingrid Peignier, est un outil permettant d'évaluer les enjeux sociaux prioritaires pour les Québécois.

Une quarantaine de sujets de société sont soumis à un millier de répondants, à qui on demande de déterminer les thèmes qu'ils estiment les plus préoccupants.

L'échantillon, représentatif de la société, fournit ainsi une idée «des attentes et des aspirations des citoyens face à différents enjeux», indique le CIRANO.