Préparez-vous à vous découvrir un demi-frère caché : une pléthore de secrets de famille risquent d'éclater, à partir de samedi, alors que des centaines de milliers de Québécois adoptés auront accès à l'identité de leurs parents biologiques.

Une loi provinciale adoptée il y a un an jour pour jour et qui entre en vigueur samedi matin empêchera ces adultes d'emporter leur secret dans la tombe.

« Vous ne pouvez pas savoir comment je compte les jours, les heures, pour ne pas dire les secondes. J'ai attendu ça toute ma vie », lance Diane Poitras au bout du fil. La femme de 69 ans qui habite la rive sud de Québec a été adoptée à la naissance. Elle cherche depuis des années à savoir d'où elle vient.

Il y a 25 ans, Mme Poitras a tenté de contacter sa mère biologique à travers les services sociaux, mais la vieille dame a refusé que son identité lui soit révélée : sa famille n'avait pas été informée de son passé. Mme Poitras a simplement appris qu'elle était d'origine polonaise. Maintenant que la femme s'est éteinte, plus rien ne devrait empêcher la transmission de son nom à sa fille biologique.

Jusqu'à maintenant, seuls les parents qui avaient exprimé de leur vivant la volonté de reconnecter avec leur enfant placé en adoption voyaient leur identité révélée. 

Avec l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, les noms de tous les parents aujourd'hui morts qui ont mis leur enfant en adoption seront dévoilés à leur enfant biologique.

Les parents biologiques toujours vivants qui veulent demeurer dans l'ombre ont 12 mois à partir de maintenant pour s'inscrire dans un registre afin que le secret soit conservé. Sinon, leur nom sera disponible. Dans tous les cas, leur mort ouvrira les livres.

« ON A GAGNÉ UNE BATAILLE »

Carole Binette est née à la crèche de la Miséricorde, sur l'actuel boulevard René-Lévesque à Montréal, en 1955. Selon les informations qu'elle a pu récolter à gauche et à droite, sa mère biologique n'aurait pu obtenir les 10 $ nécessaires pour récupérer l'enfant au bout d'un mois d'hébergement par les religieuses et la petite Carole aurait alors été donnée en adoption.

« Ce n'est qu'en 2012 que j'ai appris qu'elle était décédée à l'âge de 80 ans » une dizaine d'années plus tôt à Montréal, explique Mme Binette. Comme elle n'avait pu être retrouvée et consultée de son vivant, son identité demeurait scellée.

« Mon dossier était fermé, je n'avais plus rien à faire. Jusqu'à la loi 113. » 

- Carole Binette 

Jusqu'à samedi. « C'est une journée vraiment spéciale », ajoute la Longueuilloise, la voix troublée par l'émotion.

L'adoption de cette loi est le résultat d'un long travail de pression de la part du Mouvement retrouvailles du Québec, qui tente depuis longtemps de convaincre les élus de permettre aux adoptés de connaître leurs origines et - éventuellement - de renouer des liens.

« On a gagné une bataille, pas la guerre. Mais on a gagné une bataille », se réjouit Caroline Fortin, présidente de l'organisme.

La militante pour les droits des personnes adoptées s'attend à des chamboulements dans plusieurs familles, mais se fait rassurante quant aux possibilités d'éclatement de familles. Mme Fortin évalue à plus d'un million le nombre total de Québécois qui pourraient être touchés d'une façon ou d'une autre, notamment des adultes qui ignoraient le passé caché de l'un de leurs parents - et l'existence d'un demi-frère ou d'une demi-soeur.

« C'est certain que c'est toujours un choc d'apprendre que notre mère a dû confier un enfant à l'adoption dans le passé, mais pour les cas qu'on a vus, majoritairement ça va quand même bien », a-t-elle dit. Mme Fortin suggère aux personnes adoptées qui apprennent l'identité de leur famille biologique de faire une approche en douceur, de ne pas s'imposer et de contacter son organisme pour des conseils.

ÉQUIPE DE HUIT PERSONNES

Du côté des autorités de la santé, on se prépare à répondre à la vague de demandes qui pourrait affluer dès lundi matin.

« Une équipe de huit intervenants a été mise en place par le ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS] et sera disponible à partir du 18 juin 2018, par l'intermédiaire d'une ligne sans frais au 1 888 441-7889 », affirme la porte-parole Catherine Latendresse dans un courriel. Cette équipe aura pour tâche de « fournir de l'information et répondre aux questions relatives aux situations d'adoption québécoise, enregistrer les refus et les retraits de refus à la divulgation des renseignements relatifs à l'identité et au contact [et] répondre aux demandes relatives à l'identité primaire, à l'identité de parents et d'adoptés décédés ainsi que les demandes relatives à la divulgation de l'identité qui pourront être révélées à la suite du 18 juin 2019 », ajoute Mme Latendresse.

Diane Poitras promet d'envoyer sa demande le plus rapidement possible - et par courrier express - afin d'être en haut de la pile des demandes à traiter. Comme Mme Fortin et Mme Binette, elle souhaite que le traitement des dossiers se fasse le plus rapidement possible. L'État refuse de s'avancer quant à un délai de réponse.

« J'ai peur que ce soit une question de mois, dit-elle. C'est un grand chapitre. La porte s'ouvre. J'ai énormément de choses à découvrir. »