Un ancien attaché politique et ex-candidat aux élections fédérales, Michel-Éric Castonguay, a pris part à des événements militaires vêtu d'un uniforme de major bardé de médailles alors qu'il n'avait jamais servi au sein des Forces armées canadiennes.

M. Castonguay était jusqu'à tout récemment attaché politique de Raymond Bernier, député libéral provincial de Montmorency. Il a aussi été candidat aux élections fédérales de 2011 sous la bannière conservatrice. Pendant la campagne électorale, il s'était présenté comme un vétéran de la guerre d'Afghanistan.

«Nous ne sommes pas en mesure de confirmer que cet individu a servi comme membre des Forces armées canadiennes», a dit le porte-parole des Forces, Daniel Lebouthillier. Les militaires «sont très fiers de porter l'uniforme, un droit qu'ils ont acquis par leur travail acharné et leurs sacrifices au service de notre pays. Tout usage non autorisé de l'uniforme militaire peut faire l'objet d'une enquête menée par les autorités civiles», a-t-il prévenu.

Des photos de M. Castonguay en uniforme, arborant un grade de major ainsi que de nombreux insignes et médailles, ont été diffusées le 9 décembre sur la page Facebook «Stolen Valour Canada», qui s'est donné pour mission de démasquer les gens qui se font passer pour des militaires.

L'une de ces photos a été prise en juillet 2013 à Valcartier, à l'occasion de la commémoration de la tragédie du 30 juillet 1974, lorsqu'une grenade avait explosé accidentellement dans une baraque, tuant six cadets de la base militaire.

«Un peu anormal»

André Raymond était commandant du Centre d'entraînement des cadets de Valcartier en juillet 2013. Il se souvient d'avoir aperçu Michel-Éric Castonguay, en uniforme, jouer de la cornemuse lors de la commémoration. «Nous, on n'avait pas invité le bonhomme et on ne savait pas d'où il sortait», a-t-il confié.

M. Raymond ne s'est pas adressé à M. Castonguay, présumant qu'il avait été invité par un survivant de la tragédie. «Par la suite, je l'ai vu du coin de l'oeil qui s'en allait tout seul. C'était un peu anormal.» Plus tard ce jour-là, un de ses sous-officiers l'a prévenu qu'ils avaient eu affaire à un imposteur.

M. Castonguay refuse de faire des commentaires. «Ces gens-là ont décidé de se faire justice eux-mêmes, ils ne se sont pas identifiés», dit-il à propos de la page Facebook Stolen Valour Canada. Depuis la publication sur le réseau social, il se dit victime d'intimidation de la part de nombreux internautes en colère. «J'ai été obligé de fermer mon compte Facebook.»

Les administrateurs de Stolen Valour Canada ont ignoré hier les demandes d'entrevue de La Presse.

Attaché politique

M. Castonguay était attaché politique du député libéral Raymond Bernier jusqu'en octobre. Il a quitté son poste pour un nouvel emploi. M. Bernier admet que les Forces armées l'ont informé de l'imposture de son ex-employé dès le mois d'août 2014. Dans une lettre officielle adressée au député, un représentant de l'armée a prévenu que si M. Castonguay faisait une nouvelle apparition publique en uniforme, il ferait face à des poursuites judiciaires.

Le député a décidé de laisser une chance à son attaché politique. «C'était un père de deux enfants, très compétent dans son travail auprès des citoyens du comté.»

M. Bernier a toutefois exigé que M. Castonguay retourne immédiatement son uniforme et ses décorations à l'armée. 

«J'ai même demandé à un attaché politique de l'accompagner. Je lui ai également défendu de participer à toute activité militaire, directe ou indirecte.»

Ce n'était pas la première fois que M. Castonguay portait un uniforme en public. Le 2 novembre 2008, il avait joué de la cornemuse devant 450 personnes lors d'une messe célébrée pour les vétérans à la basilique-cathédrale de Québec. Il avait alors été décrit comme un major dans ADSUM, le journal de l'armée.

Se faire passer pour un militaire constitue une infraction criminelle au Canada. En novembre 2014, Franck Gervais s'était présenté comme un ancien combattant et avait accordé une interview télévisée lors des cérémonies du jour du Souvenir, à Ottawa; il avait ensuite été condamné à 50 heures de travaux communautaires.

Recruté par les conservateurs

Raymond Bernier fait valoir qu'avant son embauche, M. Castonguay avait fait l'objet, comme tout employé politique, d'une enquête de la Sûreté du Québec. À l'époque, les policiers n'avaient pas relevé le moindre problème à son égard.

Le Parti conservateur du Canada n'a rien décelé non plus lorsqu'il a recruté M. Castonguay pour porter ses couleurs aux élections de 2011, dans la circonscription de Montmorency-Charlevoix-Haute-Côte-Nord. Le candidat prétendait alors être titulaire d'un doctorat en médecine vétérinaire de l'Université de Glasgow, en Écosse.

M. Castonguay affirme désormais n'avoir jamais rien dit de tel. «Je n'ai pas de diplôme de médecine vétérinaire. J'ai travaillé sur une ferme.»

Pendant la campagne électorale, plusieurs médias l'ont présenté comme un vétéran de guerre. La Presse l'a décrit comme un «jeune militaire blessé en Afghanistan». Selon Stolen Valour Canada, il a porté la Médaille du sacrifice, attribuée à un soldat mort ou blessé dans des circonstances honorables.

Christian Paradis, ancien lieutenant du Parti conservateur au Québec, a recruté M. Castonguay lors de la campagne de 2011. Il se dit «stupéfait» et «choqué» d'apprendre que l'ex-candidat ait pu inventer de tels faits d'armes. «Comme lieutenant politique, on faisait du repérage», explique-t-il, mais c'est le parti qui était chargé d'étudier la valeur des candidatures. «Ultimement, c'est le chef qui avalise le candidat.»

Professeur au Collège militaire royal du Canada, Éric Ouellet n'a pu s'empêcher de rire en voyant les photos diffusées sur Facebook. Sur l'une d'elles, M. Castonguay arbore cinq médailles. «C'est impossible, dit-il. Une personne qui a autant de médailles a 20, 25 ans de services dans les Forces armées.»

Sur les photos, M. Castonguay porte non seulement des ailes de parachutiste, mais aussi une épinglette généralement attribuée à des officiers de très haut rang pour services rendus. «Les gens qu'il a dupés ne doivent pas avoir posé beaucoup de questions», conclut M. Ouellet.