L'ancien président de la FTQ Fernand Daoust avait sans doute autre chose en tête, la semaine dernière, que de faire une petite baignade dans son sous-sol. Lors du passage de La Presse, jeudi dernier, un demi-mètre d'eau brune avait envahi sa maison du quartier Ahuntsic. Sous une affiche de René Lévesque miraculeusement épargnée, on y voyait flotter des livres par dizaines, un aspirateur et une poubelle de plastique.

L'idée, de toute façon, n'aurait pas été très avisée. Une analyse de cette eau, effectuée par des scientifiques à la demande de La Presse, montre que la contamination par les coliformes fécaux y atteint le seuil nécessaire pour déclencher la fermeture des plages et des piscines.

«Ce n'est pas atroce, on est juste au-dessus du seuil, mais néanmoins dans une zone à risque d'avoir des diarrhées, des otites ou des irritations sur la peau si on entre en contact avec l'eau», dit Sébastien Sauvé, spécialiste en chimie environnementale à l'Université de Montréal.

Le sous-sol de M. Daoust est l'un des quatre endroits où La Presse a prélevé des échantillons d'eau, jeudi dernier, pour en vérifier la qualité. C'est le seul qui a montré un problème de contamination. Notre analyse laisse toutefois croire que plusieurs citoyens ont pris certains risques pour leur santé en pataugeant dans l'eau ayant envahi leur maison ou leur quartier.

«Si on a trouvé un échantillon à risque sur quatre échantillons pris un peu au hasard, c'est sûr qu'on en trouverait d'autres si on faisait un gros échantillonnage», commente le professeur Sauvé, qui a accepté de faire effectuer les analyses dans son laboratoire.

Qualité variable

M. Sauvé souligne qu'outre les coliformes fécaux, l'eau contaminée peut aussi véhiculer une panoplie de virus. Ces contaminants viennent évidemment des égouts qui ont refoulé et des fosses septiques inondées qui ont débordé. Encore une fois, M. Sauvé souligne que les niveaux détectés n'ont rien d'alarmant, mais il soupçonne la qualité de l'eau dans les zones inondées de varier beaucoup selon l'endroit.

«On est en contexte d'inondation. Il y a énormément d'eau, et la grande majorité de cette eau est propre a priori, car elle provient de la fonte des neiges et de la pluie. Oui, il y a de l'eau d'égout, mais elle sera généralement très diluée», précise le spécialiste.

«Là où il va y avoir des risques, c'est localement. Dans un sous-sol où il y a eu directement un refoulement d'égout, par exemple, la situation va être très différente.»

Selon lui, les gens victimes de contamination sanitaire pourront régler leur problème, une fois l'eau évacuée, en lavant leurs biens avec de simples produits désinfectants. L'autre problème majeur qui risque de se présenter à moyen terme est celui des moisissures et des champignons. Hier, l'Association des microbiologistes du Québec a cependant mis en garde les propriétaires de maison de se méfier des faux diagnostics de moisissures faits par des entrepreneurs cupides et de faire affaire avec des spécialistes reconnus.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Lors du passage de La Presse, jeudi dernier, un demi-mètre d'eau brune avait envahi la maison de l'ancien président de la FTQ Fernand Daoust, dans le quartier Ahuntsic.

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LE CAFÉ QUI TRAHIT

Pour mesurer la qualité de l'eau, les chercheurs avec qui nous avons travaillé ont étudié neuf substances distinctes, dont la principale peut paraître surprenante. Il s'agit... de la caféine. La caféine n'est évidemment pas dangereuse en soi. Mais puisqu'elle peut provenir uniquement de l'urine d'un être humain qui a bu du café, elle s'avère un indicateur parfait pour traquer le contenu des égouts.

«Il y a un lien très bien établi entre les rejets sanitaires et la caféine», résume M. Sauvé. Les coliformes fécaux, au contraire, peuvent provenir de plusieurs autres sources, notamment des animaux de compagnie et des bernaches qui pullulent actuellement dans les zones inondées.

UNE PREUVE POUR LES ASSURANCES?

Contrairement aux commerces et aux copropriétés, les maisons unifamiliales ne sont généralement pas assurées contre les inondations. Il est cependant possible que certains propriétaires aient fait ajouter une clause à leur police d'assurance, appelée «avenant», pour les protéger contre les refoulements d'égout.

Ces citoyens qui détecteraient des traces de rejets sanitaires dans leur sous-sol pourraient-ils invoquer le refoulement d'égout et convaincre leur assureur de payer pour les dommages? «C'est une sacrée belle question», s'exclame Jean-Guy Bergeron, professeur émérite à l'Université de Sherbrooke. Réflexion faite, le spécialiste du droit des assurances estime qu'une telle réclamation ne serait pas facile à justifier.

«Il faudrait montrer qu'une part substantielle des dommages a été causée par le refoulement d'égout plutôt que par l'inondation, dit l'expert. Si 200 000 gallons d'eau ont entouré la maison, ça me semble difficile.»

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Outre les coliformes fécaux, l'eau contaminée peut véhiculer une panoplie de virus, souligne Sébastien Sauvé.

NOS LIEUX D'ÉCHANTILLONNAGE

Ahuntsic

• Caféine (en nanogrammes par litre) : 483 ng/L

• (seuil pour interdire la baignade) : 400 ng/L

• Noréthindrone : 479 ng/L

Le destin a parfois un curieux sens de l'ironie. En tentant de sauver quelques objets du sous-sol inondé de son père, le célèbre syndicaliste Fernand Daoust, Josée Daoust a retrouvé une photo encore dans son emballage. Une photo qui montre cette même maison de la rue Cousineau entourée d'eau et prise pendant les inondations de...1974.

Mme Daoust ne s'est pas montrée étonnée lorsqu'on lui a annoncé que l'eau contre laquelle elle a lutté dépassait le seuil acceptable pour une baignade sécuritaire.

« Presque en face de la maison, le drain de la Ville a cédé. Des voisins m'ont dit que c'est sorti brun, avec des déchets », raconte-t-elle. La concentration détectée dans l'eau du sous-sol (483 ng/L) est légèrement supérieure au seuil pour autoriser la baignade (400 ng/L), mais bien inférieure à ce qu'on retrouve dans les eaux d'égout (de 5000 à 8000 ng/L). En comparaison, après l'épisode du « Flushgate », en 2015, La Presse avait détecté une concentration de 760 ng/L sur un terrain situé sur les berges du fleuve Saint-Laurent.

Fait intriguant, l'échantillon provenant de la résidence de M. Daoust contenait aussi une concentration extrêmement élevée de noréthindrone, une hormone qui peut notamment provenir de la pilule anticonceptionnelle ou de traitements contre la ménopause. Or, rien de tout cela ne se trouvait chez M. Daoust.

« C'est anormalement élevé. Quand on voit des concentrations de 10 ou 20 ng/L, c'est déjà beaucoup », commente le professeur Sébastien Sauvé. Selon lui, il est possible que cette hormone se soit accumulée au fond des égouts et ait remonté lors du refoulement pour se retrouver chez M. Daoust.

Île Bigras

• Caféine : 21 ng/L

Panneau électrique submergé, sous-sol inondé presque jusqu'au plafond, terrassement emporté par les flots : de l'eau, Eddy Girard en a vu beaucoup trop au cours des derniers jours. Il s'attendait au pire lorsque La Presse s'est présentée à son domicile de l'île Bigras, à Laval, pour prendre des échantillons d'eau. Sa fosse septique, formée de quatre bassins de décantation, avait débordé.

« Tu vas trouver des souvenirs d'ADN de plusieurs personnes là-dedans », avait-il prédit. Il raconte que plusieurs de ses amis venus aider ont contracté des infections aux mains. Dans nos échantillons, pourtant, le taux de caféine est près de 20 fois sous le seuil nécessaire pour interdire la baignade - sans doute un signe que la dilution provoquée par la rivière des Prairies sortie de ses gonds a fait son effet.

Parc de la Rive-Boisée, Pierrefonds

• Caféine : 141 ng/L

Le terrain de soccer est transformé en vaste lac dans lequel flottent les bernaches, et les jeux pour enfants ont l'air d'un complexe de glissades d'eau. Dans le parc de la Rive-Boisée, à Pierrefonds, nous avons mesuré une concentration de caféine de 141 nanogrammes par litre.

« Ce n'est pas aussi propre qu'une rivière, on ne parle pas d'un cours d'eau cristallin. Il y a un peu de contamination, mais on n'est pas à un seuil qui interdirait la baignade. Il n'y a donc pas de soucis », commente le professeur Sébastien Sauvé.

Vaudreuil-sur-le-Lac

• Caféine : 50 mg/L

Dans le sous-sol de Richard Bédard, la pompe fonctionne en continu. « Aussitôt que je l'éteins, l'eau monte comme ça », dit-il en levant la main. De son balcon, on semble se trouver en plein dans le lac des Deux-Montagnes. Sa terrasse a été emportée par les flots, son cabanon est à moitié submergé et les mangeoires d'oiseaux pendent au-dessus de l'eau. L'homme est condamné à rester à la maison pour s'assurer du fonctionnement de la pompe. Deux bernaches, qu'il a baptisées Jack et Daisy, lui tiennent compagnie.

Une rare bonne nouvelle pour lui : selon nos analyses faites directement dans l'eau qu'il évacue, les contaminants s'y trouvent en faible concentration.