Déneiger votre rue coûte-t-il plus ou moins cher que dans la ville voisine ? Votre municipalité gère-t-elle efficacement la collecte des déchets ? La décision du gouvernement Couillard de ne plus obliger les municipalités à rendre publiques certaines informations empêche désormais de le savoir. Faute de données comparables, HEC Montréal a dû abandonner la publication de son palmarès des municipalités.

DES INDICATEURS DEVENUS FACULTATIFS

Dans la foulée des discussions pour augmenter l'autonomie des municipalités, le gouvernement a annoncé il y a un an un « allègement du fardeau administratif » imposé aux villes. Parmi les changements, Québec a aboli l'obligation de colliger les indicateurs de gestion, qui permettaient au Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal d'établir son palmarès annuel. Les administrations municipales sont toujours obligées de diffuser leurs états financiers, mais les changements ne les forcent plus à rendre publiques les données sur la longueur des rues à entretenir, les volumes d'eau à traiter ou la quantité de déchets à ramasser. Or, c'est en rapportant la facture des services sur ces « volumes » que les chercheurs arrivaient à comparer la facture des services entre différentes villes.

« PAS DE CULTURE DE LA TRANSPARENCE »

Pour contourner cet obstacle, les chercheurs de HEC Montréal ont écrit en janvier à chacune des 1100 municipalités du Québec pour tenter malgré tout d'obtenir les informations nécessaires à la publication de leur palmarès. Après quatre mois d'attente, un peu moins d'une administration sur cinq (19,2 %) a répondu. Trop peu pour maintenir le palmarès. « Ce n'est pas un sondage qu'on fait », résume le directeur du Centre, Robert Gagné. Plusieurs villes ont refusé de transmettre les données, indiquant qu'il était trop fastidieux de les compiler. « Prétendre que collecter ces informations représente un fardeau démesuré, c'est de la foutaise. Une administration ne peut pas prétendre qu'elle ne connaît pas la longueur des rues à déneiger ou le volume d'eau qu'elle doit traiter à son usine d'eau », dit Robert Gagné. Le chercheur tire un triste constat de cet épisode : « Il n'y a pas de grosse culture de la transparence. Et le gouvernement est complice. »

CITOYENS ET PETITES VILLES PERDANTS

S'il est déçu, Robert Gagné admet ne pas être surpris. « Je me doutais que ça s'en venait. J'ai toujours senti les municipalités frileuses d'avoir à se comparer et à se faire remettre en question. » Pour les chercheurs, les citoyens et les petites municipalités sortent perdants de la disparition du palmarès. « Ça donnait de l'information aux citoyens pour qu'ils puissent se faire une idée de la gestion de leur ville et pour qu'ils arrivent mieux préparés quand ils veulent questionner leurs élus », dit Robert Gagné. Avec un personnel limité, les petites municipalités pouvaient aussi s'en servir pour vérifier si elles obtenaient de bons prix de leurs fournisseurs. « Les petites municipalités n'ont pas les ressources pour faire des analyses, de l'étalonnage. »

DIFFICILE DE COMPARER, DIT L'UMQ

L'Union des municipalités du Québec (UMQ) estime que le gouvernement a bien fait d'abolir les indicateurs de gestion, puisque ceux-ci étaient imparfaits. Depuis leur mise en place, il y a une douzaine d'années, « les 17 indicateurs n'ont pas atteint leurs objectifs », affirme un porte-parole de l'organisation, Alexandre Cusson, maire de Drummondville. Il dit être arrivé à ce constat même si sa ville finissait année après année en tête de liste du palmarès de HEC. « Les données étaient indicatives, mais pas toujours fiables. Il y avait différentes façons de calculer les choses », explique-t-il. Alexandre Cusson estime également que le fait de comparer toutes les villes était un exercice périlleux. « Comment une ville comme Montréal peut-elle se comparer à Drummondville ? Montréal, il n'y a pas d'autre ville dans sa catégorie. »

MOINS DE TRANSPARENCE, DÉNONCE LE SCFP

La disparition des données indigne le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui estime que les citoyens en sortent perdants. « Ce qui nous déçoit, c'est qu'on ne travaille pas pour avoir plus de transparence, mais pour en avoir moins », déplore Pierre-Guy Sylvestre, économiste au SCFP. Celui-ci utilisait couramment ces indicateurs lors de négociations pour tenter de démontrer que le fait de recourir au privé ne coûte pas moins cher aux villes que de faire appel aux cols blancs et bleus, comme l'avancent plusieurs élus. Reconnaissant que les indicateurs étaient loin d'être parfaits, M. Sylvestre estime qu'ils auraient dû être améliorés, pas abandonnés. « En sciences, en statistiques, on peut toujours améliorer les indicateurs, mais les faire disparaître, c'est la pire chose pour les citoyens », dit-il.

DONNÉES OUVERTES, UNE « INSULTE »

Au ministère des Affaires municipales, on indique que la majorité des informations sont toujours disponibles, puisque les états financiers des villes sont toujours compilés et se trouvent sur le site des données ouvertes du gouvernement. Mais pour trouver une information, les citoyens devront s'armer de patience, prévient Robert Gagné, qui compare l'exercice au fait de chercher une aiguille dans une botte de foin. Les données des 1100 villes ont été amalgamées dans un fichier comptant très exactement 4129 colonnes : bref, il contient 4,5 millions de données. « Je suis un gars de données - ça fait 10 ans que je fais cela - et j'ai eu de la misère à me retrouver », dit Jonathan Deslauriers, directeur adjoint du Centre. « C'est presque une insulte pour les citoyens. C'est du mépris que d'appeler cela des données ouvertes », dit Robert Gagné.

RETOUR EN ARRIÈRE SOUHAITÉ

Le directeur du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal espère voir le gouvernement revenir sur sa décision d'abolir les indicateurs de gestion. « Je pense qu'il y a moyen de revenir en arrière. Personne ne gagne à avoir moins d'information », estime Robert Gagné. Les villes n'ont pas entièrement abandonné l'idée de se comparer. Montréal s'est joint depuis deux ans au Réseau canadien de l'étalonnage, qui permet aux principales villes du Canada de comparer le coût de leurs services. Au Québec, le maire de Drummondville précise que le caucus des cités régionales de l'UMQ discute de solutions pour continuer à évaluer les meilleures pratiques. « On garde la porte ouverte », assure Alexandre Cusson.

Photo Robert Skinner, Archives La Presse

Le palmarès de HEC Montréal permettait de comparer le coût des services, comme la collecte des déchets, entre différentes municipalités.