Un conseiller municipal lavallois du parti du maire Marc Demers est visé par une enquête de la Commission municipale du Québec (CMQ) pour de possibles manquements éthiques, a appris La Presse. Selon le Bureau d'intégrité et d'éthique de Laval (BIEL), Vasilios Karidogiannis a suggéré publiquement qu'il utiliserait son « statut de politicien » pour « influencer les décisions » de la Régie des alcools en faveur d'un restaurant montréalais soupçonné d'attirer des clients liés au crime organisé.

Le BIEL, qui relève du Service de police de Laval, reproche à Vasilios Karidogiannis d'avoir enfreint trois articles du Code d'éthique et de déontologie des élus de la Ville de Laval en publiant un court message sur la page Facebook du restaurant Buonanotte, le 1er août 2015. L'élu lavallois proposait alors son aide à Massimo Lecas, le copropriétaire du restaurant du boulevard Saint-Laurent, convoqué pour la quatrième fois en 15 ans par la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ).

« S'il y a quoi que ce soit que nous pouvons faire pour t'aider avec la Régie des alcools, dis-le-nous ! »

« Dis à la Régie que je suis un politicien et que ma femme et moi sommes les fondateurs d'un organisme de charité qui a récolté 250 000 $ en cinq ans pour l'Hôpital de Montréal pour enfants. »

« Tout ce que nous pouvons faire pour t'appuyer, nous le ferons ! », a écrit en anglais le conseiller municipal du district L'Abord-à-Plouffe. Vasilios Karidogiannis n'est finalement jamais intervenu auprès de la Régie.

Plainte officielle

Sonia Baudelot, candidate indépendante battue par M. Karidogiannis aux dernières élections, a ensuite déposé une plainte officielle au BIEL à la fin du mois d'août. Le 4 février dernier, le chien de garde de l'éthique à Laval a transmis le dossier au Bureau du commissaire aux plaintes du ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire (MAMOT) afin que la Commission municipale du Québec procède à une enquête. Par ailleurs, deux jours plus tôt, M. Karidogiannis avait été nommé au conseil d'administration de la Société de transport de Laval par le conseil municipal.

« M. Karidogiannis aurait abusé de sa fonction lorsqu'il témoigne explicitement son intention d'utiliser son statut de "politicien" pour influencer les décisions de la Régie [...]. Il aurait outrepassé ses responsabilités au sein de l'administration municipale de la Ville de Laval en agissant de manière irresponsable de son statut d'élu », peut-on lire dans le document obtenu par la Loi sur l'accès à l'information, signé par Benoît Paquette, directeur adjoint du Service de police de Laval.

Un mois plus tard, le commissaire aux plaintes du MAMOT Richard Villeneuve a transmis le dossier de M. Karidogiannis à la CMQ pour « enquête en vertu de l'article 22 de la Loi sur l'éthique et la déontologie en matière municipale », indique une lettre du 11 mars dernier, obtenue par La Presse.

Un procureur indépendant mandaté par la Commission analysait toujours le dossier la semaine dernière, selon une porte-parole de la CMQ. Si la Commission conclut que l'élu lavallois a enfreint son code d'éthique, il pourrait recevoir une réprimande ou être suspendu pour une période maximale de 90 jours.

«Toute la confiance de ses collègues»

Le cabinet du maire Demers défend bec et ongles l'intégrité de Vasilios Karidogiannis, membre du Mouvement lavallois, le parti politique du maire. « M. Karidogiannis a offert son soutien moral à un ami qui éprouvait des ennuis. Il l'a fait sans exercer aucune intervention ou tenter d'influencer quiconque. Ses propos sur Facebook laissaient place à interprétation et son adversaire politique en a traduit le pire sens possible pour l'embarrasser et pour lui nuire. M. Karidogiannis a toute la confiance de ses collègues, c'est un conseiller municipal dévoué et son intégrité ne fait aucun doute dans notre esprit », a déclaré François Brochu, porte-parole du maire de Laval. M. Karidogiannis a refusé de nous accorder une entrevue.

Michel Trottier, le chef intérimaire de Parti Laval, la principale force d'opposition au conseil municipal, considère que le message de Vasilios Karidogiannis « écorche la confiance du public » envers les élus. « Ça m'inquiète, parce que ça veut peut-être vouloir dire autre chose qu'un simple message Facebook. Ça va peut-être au-delà du simple "je vais t'aider mon ami" », lance-t-il. Le chef du nouveau parti, formé en mars dernier, suggère au maire Demers de « regarder dans sa cour, puisque tout n'est pas blanc comme neige au Mouvement lavallois ».

Le BIEL a été créé en 2014 par le maire Marc Demers, un ancien policier lavallois, pour s'attaquer à la « collusion, la malversation et l'ingérence politique à des fins partisanes, et à tout comportement répréhensible dans l'administration et la gestion des fonds publics ». Il est géré par le Service de police de Laval de façon indépendante.

- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

Bagarres et crime organisé

Le restaurant Buonanotte était soupçonné par la Régie des alcools d'avoir accueilli à de nombreuses reprises des membres de gangs de rue et des hommes liés au crime organisé de 2008 à janvier 2015. Au cours des dernières années, une dizaine de bagarres entre clients ont éclaté au Buonanotte, dont une en 2011 impliquant une vingtaine de personnes. Deux jours avant l'audience, les propriétaires du restaurant se sont entendus avec le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pour interdire l'accès aux clients avec des antécédents judiciaires repérés par les enquêteurs. Le permis d'alcool de l'établissement avait également été suspendu pendant 40 jours. Le restaurant s'était engagé auprès du SPVM à respecter une série de mesures sévères de sécurité et de transparence.