Loin de protéger les prostituées, une éventuelle criminalisation des clients risquerait au contraire de les exposer à encore plus de violences, craint l'organisme Stella, qui soutient les travailleuses du sexe depuis deux décennies.

Dans un jugement unanime, en décembre, la Cour suprême a invalidé trois articles de lois qui interdisent le proxénétisme, la sollicitation et la tenue d'une maison de débauche.

Le gouvernement conservateur présentera sous peu un nouveau projet de loi pour encadrer la prostitution au Canada. Plusieurs observateurs s'attendent à ce qu'il s'inspire du modèle suédois, qui criminalise les clients, mais pas les prostituées.

«Cela voudrait dire que l'avocat, le médecin, le policier, le juge, le politicien, le journaliste va cesser de venir me voir, dit Maya*. Ceux qui vont rester, ce sont ceux qui sortent de prison, et qui n'en ont plus rien à foutre d'avoir un dossier criminel. Je vais perdre tous les clients qui étaient un peu plus respectueux.»

Le modèle suédois est loin d'avoir fait ses preuves, ajoute Émilie Laliberté, ancienne directrice de Stella. «La police suédoise peine davantage à démanteler des réseaux de trafiquants, dit-elle. Dans le passé, les clients rapportaient des situations abusives, par exemple quand une fille ne semblait pas travailler de son plein gré. Mais depuis que les clients sont considérés comme des criminels, ils ne collaborent plus avec la police.»

Si Ottawa choisit effectivement cette voie, Maya prévoit abandonner le travail en agence, pas assez discret. «Je vais probablement devoir travailler seule, et me déplacer chez les clients. Ce sera plus risqué. Les filles auront moins de clients et seront obligées de repousser leurs limites, en acceptant par exemple des fellations sans condom, pour pouvoir continuer à payer leur loyer.»

* Nom fictif