Une portière qui s'ouvre de façon inattendue devant eux, c'est le cauchemar de tous les cyclistes. En plus de causer des blessures parfois sérieuses, de tels accidents posent un autre problème pour les victimes: des policiers prétendent que le régime public ne les indemnise pas et ils refusent de fournir les informations permettant de faire une réclamation. Pourtant, la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) dédommage bel et bien les cyclistes blessés dans ces circonstances.

«J'ai parlé à trois policiers différents, au poste de quartier 20, au centre-ville, et ils m'ont tous répété que je ne pouvais pas faire de réclamation. Ils me disaient même que c'était moi la responsable de l'accident», raconte Martine Ashby, qui a été blessée lorsqu'un chauffeur de taxi a ouvert sa portière devant elle alors qu'elle revenait à vélo de son travail, un soir de juillet dernier.

La jeune femme a heurté la portière ouverte, a été projetée par-dessus et est tombée face contre terre. Une dent cassée, le visage ensanglanté, les vêtements déchirés, elle a été prise de convulsions pendant que des passants venaient à son secours. Elle a été transportée en ambulance aux urgences, souffrant d'un traumatisme crânien. Elle a passé une nuit à l'hôpital et n'a pas pu travailler pendant trois semaines, prise de migraines et de vertiges.

Comme elle n'avait pas d'assurance salaire, cette interruption de travail a représenté un manque à gagner important pour l'étudiante. Malgré les affirmations contraires des policiers, elle a fini par communiquer avec la SAAQ, où l'on a accepté sa demande. Sa facture d'ambulance, son casque et ses vêtements endommagés ainsi que ses trois semaines de salaire perdu lui ont été remboursés.

Mauvaises informations

De nombreux cyclistes blessés sur des portières se privent sans doute d'indemnités importantes s'ils se fient aux informations que donnent certains policiers. Parce que le cas de Martine Ashby n'est pas unique. Les adeptes du vélo urbain partagent leur frustration depuis longtemps au sujet du travail des agents dans les cas de dooring, comme ils appellent les collisions avec des portières.

«Ils ont tendance à blâmer la victime et ne font pas toujours de rapport,» dénonce Maxime Denoncourt, un cycliste qui a filmé un tel accident alors qu'il roulait sur une bande cyclable, il y a quelques semaines. «Ils ne comprennent pas que ces comportements peuvent mettre la vie des cyclistes en danger.»

«J'étais par terre, je saignais, mais les policiers ont d'abord regardé les dommages à la voiture avant de venir me voir», raconte Catherine Lavallée, qui a heurté une portière en septembre. «Ils m'ont dit qu'il n'y aurait pas de rapport d'accident et ne m'ont jamais parlé de réclamation possible à la SAAQ.»

Même chose pour Jocelyne Meilleur lorsqu'elle a été blessée à un genou il y a un mois. Au moment de l'accident et lors de ses nombreux appels au poste de quartier 38, sur le Plateau Mont-Royal, pour tenter d'obtenir les informations concernant le remboursement de sa facture d'ambulance, les policiers ont répété à l'étudiante en droit qu'elle n'avait aucun recours possible auprès de la SAAQ.

«Je ne comprends pas la confusion des policiers à ce sujet, affirme Suzanne Lareau, PDG de Vélo Québec et qui est intervenue dans ce dossier. Ça fait plusieurs années que des cyclistes nous appellent pour se plaindre.»

Nathalie Valois, agente au SPVM, reconnaît qu'il y a un problème. «Certains policiers ne sont pas au courant des règles dans les cas d'accidents avec des portières», dit-elle, ajoutant que tous les agents ont reçu des mises au point à ce sujet au printemps et à l'automne. Elle explique que la confusion vient du Code de la sécurité routière, qui définit un accident comme «un événement au cours duquel un préjudice est causé par un véhicule routier en mouvement». Comme le véhicule est stationné lorsque la portière s'ouvre devant un cycliste, les policiers estiment qu'il ne s'agit pas d'un accident. Or, ça n'empêche pas la SAAQ d'indemniser les victimes.

Le coroner s'en mêle

La semaine dernière, un rapport du Bureau du coroner indiquait qu'il fallait une réforme du Code de la sécurité routière pour imposer des sanctions plus sévères aux automobilistes fautifs. Le rapport se penchait sur la mort de trois cyclistes l'été dernier, dont deux causées par des portières.

Les cyclistes réclament depuis longtemps une campagne de sensibilisation des automobilistes à l'importance de s'assurer que la voie est libre avant d'ouvrir leur portière. Actuellement, un automobiliste fautif est passible d'une amende de 30$ en vertu du Code de la sécurité routière. Mais les policiers refusent souvent de l'imposer, même quand un cycliste est blessé. «Le conducteur n'a pas eu de contravention parce que la policière disait que l'accident lui avait fait prendre conscience du danger», dénonce Jocelyne Meilleur.

Le ministre des Transports, Sylvain Gaudreault, a formé il y a quelques mois un comité qui se penche sur les dispositions du Code de la sécurité routière touchant les cyclistes. Vélo Québec déplore cependant de ne pas avoir été invité à y participer.