L'inscription d'une première firme de génie-conseil au registre des lobbyistes en 10 ans laisse «mal à l'aise» le commissaire au lobbyisme. Celui-ci estime que l'adhésion de 40 employés de Dessau, dont plusieurs anciens fonctionnaires et un ex-maire, «ne respecte pas l'esprit de la loi».

Le commissaire au lobbyisme, François Casgrain, a longtemps déploré l'absence des firmes de génie-conseil du registre des lobbyistes. «Aucune des 18 plus grandes firmes de génie-conseil n'a, depuis 2002, inscrit de lobbyiste d'entreprise au registre, ce qui ne peut manquer de surprendre», a-t-il écrit dans son rapport annuel 2009-2010.

Le «lobby» du commissaire auprès des firmes semble avoir porté ses fruits puisque Dessau est devenue cette semaine la première du secteur à se plier à la loi. L'entreprise dit avoir été convaincue après avoir participé à une série de formations organisées en 2011 par l'Association des ingénieurs-conseils. «L'éthique a beaucoup évolué et on veut se conformer», a indiqué Katia Reyburn, directrice des communications de Dessau. Celle-ci précise que la démarche vise autant à protéger les employés que les clients qui se trouvaient «en zone grise».

Cette toute première inscription n'a pas entièrement satisfait le commissaire au lobbyisme qui la juge «trop générale». Dans sa fiche, Dessau rapporte faire des «représentations auprès de municipalités dans le but d'obtenir des contrats de services professionnels d'études préparatoires de gré à gré ou sur invitation, dans le domaine des infrastructures et de l'environnement». Cette inscription, qui couvre toute l'année 2011 et s'étend jusqu'à la fin du mois d'avril 2013, vise des centaines de villes, MRC et offices municipaux d'habitation.

«Le mandat est trop général. En combinant ça à la durée du mandat et au nombre de municipalités inscrites, on n'est pas à l'aise. Ça n'atteint pas les objectifs de la loi», a indiqué Louise-Andrée Moisan, porte-parole du commissaire. Celle-ci rappelle que «l'objectif de la loi est de permettre au public de savoir qui cherche à influencer les décisions publiques. Mais là, on n'a pas de détails sur l'objet de leurs communications, on ne sait pas de quels projets il s'agit.»

Les responsables du registre ont joint l'entreprise pour qu'elle détaille les contrats qu'elle souhaite décrocher. «Ce n'est pas un processus simple, on a mis des mois à le faire, alors c'est sûr qu'on va continuer à s'adapter», a assuré Katia Reyburn.

Firmes devant les tribunaux

Au Québec, toute entreprise cherchant à influencer les élus doit s'inscrire au registre des lobbyistes, sous peine d'amendes pouvant aller jusqu'à 25 000$. Dessau est la seule entreprise de génie-conseil à s'être inscrite, deux autres étant actuellement devant les tribunaux pour contester des constats lancés par le Commissaire.

Une enquête menée en 2009 avait permis de constater 84 manquements à la loi par la firme BPR auprès de la Ville de Rivière-du-Loup. L'entreprise conteste devant les tribunaux les 16 constats d'infraction reçus. Trois de ses employés ont également été interdits de lobbyisme.

En juin dernier, BPR avait publié un communiqué de presse pour annoncer qu'elle s'inscrirait au registre pour le bien de ses clients, précisant: «En matière d'éthique et de lobbyisme, nous ne souhaitons pas que des procédures administratives nuisent à notre clientèle et les mettent dans l'embarras.» Vérification faite, l'entreprise, qui n'a pas rappelé La Presse, ne s'est toujours pas inscrite.

Une autre firme de génie a été épinglée par le bureau du commissaire au cours des dernières années. La firme SM International conteste elle aussi ses sept constats.

Du secteur public aux firmes de génie

Sept des quarante employés de Dessau inscrits au registre des lobbyistes ont fait carrière dans le secteur public. Claude Asselin a été pendant 17 ans directeur général de la Ville de Laval, jusqu'à sa retraite en 2006. Après son départ, il a été nommé vice-président chez Dessau où il est actuellement membre du conseil consultatif et président du conseil d'administration d'une filiale spécialisée en urbanisme, Plania. Pierre Goyer, ancien directeur de cabinet du maire de l'arrondissement de Ville-Marie, à Montréal, en 2003 et 2004, travaille également chez Plania.

Ancien sous-ministre adjoint au ministère des Transports du Québec, Jean-Louis Loranger s'est joint à Dessau après sa retraite en 2008. Celui-ci était responsable de la direction générale de Québec et de l'Est depuis 2006. La firme de génie-conseil compte également dans ses rangs Jean-François Lapointe, maire de 1995 à 2005 de la ville de Lac-Delage, au nord de Québec. Il est vice-président développement régional. Francis Boivin a été chef de division au service de génie de la Ville de Blainville de 2006 à 2009; Bruno Crispin, directeur des travaux publics de la Ville de Bellefeuille de 2000 à 2002; et Albert Daoust, directeur général de la Régie intermunicipale du canal Soulanges de 2000 à 2009.

Le rapport de l'Unité anticollusion, rendu public à l'automne, s'est inquiété de l'embauche d'anciens élus et fonctionnaires par les firmes de génie-conseil. «On peut dès lors craindre que la décision d'accorder des mandats en sous-traitance, voire la politique même du ministère [des Transports] à cet égard, puissent être influencées par la présence d'ex-collègues retraités au sein des firmes de génie-conseil ou par la perspective d'y mener une seconde carrière.»