Le PDG de la Société générale de financement (SGF), Pierre Shedleur, se rend au Forum économique mondial de Davos cette semaine avec la crainte d'assister à une augmentation du protectionnisme de la part des décideurs politiques, les Américains en particulier.

Le sommet annuel, qui réunira dans les Alpes suisses le gratin du monde des affaires et de la politique, permettra de constater si les gouvernements d'autres pays envisagent des mesures protectionnistes même si, sur la place publique, ils disent ne pas vouloir y recourir, estime M. Shedleur.

«La question du protectionnisme, malgré tous les beaux discours officiels, je ne sais pas comment ça va virer. Ces élus-là ont de la pression de leurs syndicats et de leur population. Ils ont leurs propres problèmes sociaux à gérer. Alors c'est normal, tu commences à penser à toi. Mais on sait que le protectionnisme n'est pas la solution.»

Discussions en coulisses

Dans les coulisses du Sommet, lors de discussions en privé, «il y a moins de retenue» de la part des représentants gouvernementaux, souligne le patron de la SGF. Ils donnent un bon indice de leurs intentions. «On va voir si le protectionnisme revient plus vite qu'on pense», note-t-il.

La SGF aura les représentants américains à l'oeil. Car jusqu'ici, le nouveau président Barack Obama envoie des «signaux contradictoires», observe M. Shedleur.

En campagne électorale, M. Obama a dit avoir l'intention de réformer l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et de mettre en place des mesures protectionnistes. Son parti est d'ailleurs traversé par un important courant protectionniste depuis le début de la crise économique.

Or, en décembre, Barack Obama a nommé Ron Kirk comme représentant pour le Commerce, l'équivalent du ministre du Commerce international. L'ancien maire de Dallas, âgé de 54 ans, est considéré comme un partisan du libre-échange. «Il sait qu'il n'y a aucune contradiction entre défendre le libre-échange et les travailleurs américains», a affirmé M. Obama en présentant Ron Kirk aux médias. Les deux hommes ne seront pas à Davos. Le président américain a délégué l'un de ses conseillers, Lawrence Summers, directeur du Conseil économique national.

Pierre Shedleur ne s'attend pas à un protectionnisme tous azimuts de la part de l'administration Obama. Mais les Américains pourraient être tentés de protéger leur économie contre la concurrence étrangère dans certains secteurs précis, comme ils l'ont fait dans le cas du bois d'oeuvre, souligne-t-il.

Malgré tout, le PDG de la SGF croit que plusieurs États comme le Québec plaideront contre le recours au protectionnisme lors du Forum de Davos. «On sait qu'en 1929, ç'a contribué à accélérer le problème», dit-il.

Pierre Shedleur reste «aux aguets», prêt à ajuster la stratégie de la SGF au cas où un parfum de protectionnisme émanerait des Alpes suisses. Cette éventualité annoncerait des temps durs pour le Québec, dont l'économie repose à 50% sur les marchés d'exportation. Et environ les deux tiers des produits exportés prennent le chemin des États-Unis.

Stocks d'aluminium

L'autre préoccupation de la SGF concerne l'aluminium. Pierre Shedleur tentera de connaître les intentions des Chinois pour les prochains mois. Il craint la perspective d'un dumping. «Si la Chine continue à produire l'aluminium, à l'emmagasiner comme elle le fait à l'heure actuelle, ça veut dire que ça va prendre plus de temps avant que le prix remonte. Les Chinois n'ont pas arrêté leurs fourneaux et ils augmentent leurs stocks pour protéger les emplois. Mais s'ils font ça trop longtemps, ça va amener des problèmes mondiaux, un débalancement de l'offre et de la demande. Ça va faire chuter les prix et ça va faire fermer des usines. Parce qu'ils pourraient très bien vendre en bas du coût de production. Et les autres pays qui n'ont pas embarqué dans cette dynamique-là pourraient se retrouver dans l'obligation de fermer des installations», explique M. Shedleur.

La semaine dernière, Rio Tinto Alcan a annoncé la fermeture de l'aluminerie de Beauharnois et une baisse de la production dans une usine du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Quelque 300 personnes perdront leur emploi. «Il faudra probablement d'autres réductions de production», a indiqué la nouvelle présidente et chef de la direction de Rio Tinto Alcan, Jacynthe Côté.

Sur le thème «Façonner le monde de l'après-crise», plus de 2500 décideurs politiques et économiques participeront au Forum de Davos, qui se tient du 28 janvier au 1er février. La SGF sera représentée par Pierre Shedleur et le vice-président Christian Lessard, ancien directeur des communications au cabinet de Jean Charest. Le premier ministre se rendra également à Davos en compagnie du ministre du Développement économique, Raymond Bachand.