Lorsqu'elle voit des enfants se présenter à son comptoir avec des cannettes de boisson énergisante, Amélie Giroux est consternée par le choix de ses petits clients. Mais c'est surtout le fait qu'elle ne peut pas refuser de leur vendre ces boissons pleines de sucre, de caféine et d'ingrédients médicinaux naturels qui la heurte.

Cette jeune employée d'une station-service de Saint-Jérôme a décidé qu'il fallait passer à l'action. Elle a écrit au ministère de la Santé pour lui demander de réglementer la vente des boissons énergisantes et de les interdire aux enfants.

Elle n'est pas seule de cet avis. Gale West a été surprise lorsqu'elle a reçu une lettre de l'école que fréquente sa fille pour l'avertir que des élèves achètent des boissons énergisantes à l'heure du lunch, à l'insu des parents.

L'école en question est fréquentée par des enfants de 10 à 14 ans. "Les jeunes vont dîner et s'endorment l'après-midi en classe, explique cette professeure au département d'économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l'Université Laval. Mais c'est normal de s'endormir après le dîner!"

En plus, s'ils ont des activités parascolaires en fin de journée, ils prendront une deuxième boisson pour se donner un petit regain d'énergie, dit-elle. S'il y a une fête plus tard, et hop! une troisième cannette. Et on espère qu'ils n'ont pas consommé de cola ou de thé glacé en plus.

"Un des problèmes avec les boissons énergisantes, dit-elle, c'est que les ingrédients varient énormément d'un produit à l'autre. On ne peut plus savoir lequel est le moins dommageable."

Gale West croit elle aussi que le gouvernement devrait légiférer sur la consommation de ces boissons, comme il le fait pour l'alcool. Mais elle estime qu'on devrait aussi s'intéresser à leur composition, afin de limiter la quantité de caféine que contient une cannette, et non une portion. Car cette spécialiste fait remarquer, très justement, que les fabricants de boissons énergisantes établissent parfois leur tableau de valeurs nutritives pour des portions plus petites que le contenu d'une cannette. Et qu'il y a eu surenchère pour la concentration de caféine.

Une nouvelle clientèle

Amélie Giroux étudie au cégep et travaille dans le même commerce depuis deux ans. Assez de temps pour voir le marché des boissons énergisantes exploser et attirer une nouvelle clientèle, à la fois plus vieille et plus jeune que celle qui les avait d'abord adoptées.

Ce qui dérange Amélie, c'est de voir de plus en plus d'enfants consommer ce genre de produit. "Au début, on voyait des adolescents de 17 ans, explique-t-elle. L'âge a baissé. Récemment, un enfant qui devait avoir 8 ou 9 ans, maximum, en a acheté. J'ai même demandé à ma gérante si je pouvais refuser de lui en vendre. La réponse, c'est non. Il a le droit d'en acheter et moi, j'ai un gros problème avec ça."

Des produits attirants

Les enfants sont attirés par ces produits, qu'ils peuvent acheter en toute légalité et dont les cannettes ressemblent à celles de la bière. "Les cannettes sont très attrayantes, tout le monde en boit, alors les plus jeunes veulent en boire aussi", dit Amélie, qui aura 18 ans cette semaine.

À un certain âge, avoir en main une cannette noire frappée d'un nom évocateur, ça impose. "Les noms de ces produits sont parfois provocants, explique Gale West. Ce sont des noms qui choquent les adultes et, lorsqu'on est jeune, on aime bien provoquer les adultes."

Statistique Canada compte intégrer la consommation de boissons énergisantes dans ses tableaux prochainement. Une étude d'Agriculture Canada estime que ces breuvages occupent déjà presque 5% du marché des boissons non alcoolisées en Amérique du Nord. Red Bull, Monster et Full Throttle sont de loin les plus populaires, mais elles partagent le marché avec plus de 200 autres marques.

La fameuse taurine...La taurine est un acide aminé. C'était aussi l'ingrédient au coeur du litige entre Red Bull et le gouvernement français, qui a longtemps refusé d'en approuver la vente. Il est entré dans l'arène cette année, dans la controverse. Au mois de mai dernier, le Ministère de l'économie a approuvé la vente du Red Bull en France, alors que la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, était contre. La semaine dernière, elle a appelé les parents à la plus grande vigilance avec ce produit, qu'elle considère comme dangereux. L'an dernier, 3,5 milliards de cannettes de Red Bull ont été vendues dans 144 pays.

// Caféine, quand c'est trop

- Santé Canada estime que les enfants ne devraient pas dépasser une dose quotidienne de caféine de 2,5mg par kilogramme de poids corporel. Les adultes peuvent pousser la dose quotidienne totale à 400mg environ trois tasses de café.

- Toutefois, avec la multiplication des sortes de café et les portions de plus en plus grandes, il devient très difficile d'établir des équivalents caféine-café. Disons qu'une tasse normale de café filtre doit contenir environ 120mg. Il y en a un peu moins dans un expresso (autour de 100mg). Le café instantané est le moins caféiné de tous, environ 75mg.

- Le thé contient aussi de la caféine, mais beaucoup moins. Une bonne tasse contient une cinquantaine de milligrammes, à peu près comme un cola. Une portion de chocolat noir (28g) contient 19mg de caféine, selon Santé Canada.

- Ce qui inquiète les spécialistes, c'est l'accumulation des différentes sources de caféine café, cola, chocolat noir et maintenant boissons contenant d'autres produits stimulants.

- La surdose de caféine est bel et bien possible. Elle se traduit par une nervosité excessive, un état d'excitation, de l'insomnie. Cela peut aussi causer des nausées, des vomissements et des bouffées de chaleur, jusqu'au délire et aux convulsions, dans des cas extrêmes. Trop de caféine peut être fatal.