Les membres de la famille Stafford ont tellement de qualités en commun avec le manoir Hovey qu'il est difficile de déterminer si l'auberge leur appartient, ou si ce sont eux qui appartiennent à l'auberge depuis 30 ans.

Ont-ils modelé l'ambiance du manoir par leur calme et leur sens de l'hospitalité, ou se sont-ils, avec les années, laissés pénétrer par la magie des lieux? Sans doute un peu des deux. Quoi qu'il en soit, le père, Stephen, la mère, Kathryn, et le fils, Jason, ont l'hôtellerie dans le sang.

Stephen, lui-même, était fils d'aubergiste. Réalisant un vieux rêve, son père avait construit l'Auberge Ripplecove, à Ayer's Cliff, en 1945. Après avoir travaillé dans le monde des affaires à Toronto et à Montréal pendant quelques années, cet anglophone natif des Cantons-de-l'Est y est revenu avec son épouse pour élever sa famille et a acquis l'auberge familiale.

Cinq ans plus tard, en 1979, il achète aussi le manoir Hovey, à North Hatley. Le petit Jason n'avait alors que 6 mois. Aussi bien dire qu'il est tombé dans la marmite de l'hôtellerie à sa naissance!

Le manoir a été un coup de foudre pour toute la famille. «Pendant les premières semaines, nous avons habité l'auberge, et j'ai pensé: «mon Dieu, nous sommes au paradis!»», raconte Kathryn Stafford.

Un paradis, certes, mais où il a fallu travailler très fort pour atteindre et maintenir tous les standards de qualité. «C'est 24 heures sur 24, sept jours sur sept, assure Mme Stafford. On ne peut jamais arrêter d'y penser.»

Si le manoir jouissait déjà d'une bonne réputation au moment où ils l'ont acheté, les Stafford caressaient l'ambition de lui voir attribuer une cinquième étoile. Ils l'ont obtenue il y a 10 ans. L'auberge est aussi membre des Relais et Châteaux depuis deux ans.

Tout cela nécessite énormément d'investissements et d'entretien. Le manoir, originellement appelé «The Birches» (Les Bouleaux), a été construit par Henry Atkinson, un riche industriel sudiste, en 1898. Comme plusieurs aristocrates américains, il est venu à North Hatley en apportant un style de vie avec domestiques et sports d'été qui convenait bien à ce site en pleine nature, au bord du lac Massawippi. Le petit village a su préserver ce patrimoine.

L'architecture du manoir s'inspire de la maison de George Washington, située à Mount Vernon, que les Stafford n'ont pas manqué de visiter. «Nous adorons les endroits historiques, et nous nous considérons un peu comme les protecteurs d'une tradition, car les lieux comme ici sont de plus en plus rares», dit Stephen Stafford.

Il est évident que ce patrimoine lui tient à coeur quand on le suit pour une visite de la propriété. Sa fierté pour le travail d'une vie et son attachement pour les lieux sont évidents alors qu'il nous montre chaque petit détail faisant le charme de l'endroit. Prenant un vieux livre dans la grande bibliothèque du salon, il nous assure que celui-ci appartenait à Henry Atkinson lui-même!

De père en fils

Maintenant semi-retraités, les parents ont passé le flambeau à leur fils Jason, devenu directeur général il y a huit ans. Mais ils ne manquent pas de se rendre utiles tous les jours. Ils habitent à deux pas, et viennent à l'auberge par un sentier qui passe à travers bois.

Mme Stafford veille à la décoration des chambres, romantiques, fleuries, et toutes différentes. Cette touche féminine et son souci de préserver l'authenticité se font sentir dans le décor. Bien que les chambres soient dotées de tout le confort moderne, leur cachet demeure entier et les éléments de modernité s'intègrent discrètement dans l'architecture originale.

Quant à Jason Stafford, il se passionne pour son rôle directeur. Depuis l'âge de 13 ans, il a occupé tous les emplois dans l'auberge, d'instructeur de ski nautique à barman, en passant par la salle à manger, le bureau et la réception.

Cependant, ne croyant pas au départ rester dans l'entreprise familiale, il a fait des études en relations internationales à l'Université McGill. Pendant les vacances d'été, il revenait au bercail pour travailler, apprenant au passage l'art de la sommellerie. Finalement, son attachement pour la clientèle et la gastronomie ont été les plus forts.

«Environ 75 % de notre clientèle est composée de gens qui reviennent année après année, dit-il. On établit une relation avec eux, et ils s'attendent à me voir quand ils viennent. De plus, je voyais qu'on avançait et que notre table devenait renommée. Pour moi, c'est un défi et ça me donne l'énergie pour continuer à améliorer les choses.»

Il est vrai que l'on ne quitte pas si facilement un endroit comme le manoir Hovey. Plusieurs employés, dont le chef Roland Ménard, y sont depuis plus de 20 ans. Jason Stafford avoue même y passer plus de temps qu'à son domicile.

«Si l'auberge était un édifice ordinaire, ça ne nous serait pas autant entré dans le sang, ajoute son père. Ça devient comme un membre de la famille, vous y êtes très attaché. Il y a beaucoup plus d'émotions et de passion avec un endroit comme ici qu'avec un hôtel commercial.»