Dans l'ambiance feutrée de l'Hôtel de Crillon, l'un des plus prestigieux hôtels au monde, l'heure est aux embrassades, aux adieux et même aux larmes. L'hôtel centenaire de la place de la Concorde à Paris ferme ses portes ce week-end pour s'offrir deux ans de remise en forme.

«Nous sommes infiniment tristes. Nous venons depuis 32 ans. Ce lieu est magique. C'est la classe tranquille ici, rien de "bling bling"», dit à l'AFP Bernie Schumacher, 66 ans, Belge accompagnée de son mari et d'un petit-fils.

«Merci pour tous ces sourires, pendant toutes ces années...». Les yeux émus, elle embrasse le concierge Serge.

Ils se connaissent depuis toujours. Serge a 56 ans, dont 32 passés au Crillon. «C'est une vie, une seconde maison», dit-il à l'AFP.

Melissa Hake, une Américaine de 42 ans, n'était, elle, jamais venue auparavant mais connaît bien le Ritz, le Meurice, le Bristol... et «voulait absolument vivre cette expérience» avant la fermeture.

Dans l'imposant hall de marbre italien beige et rose, on croise Christophe Lambert, un habitué. «J'ai habité ici pendant trois ans à une époque, j'y vivais quand j'étais à Paris, j'y laissais mes affaires quand j'étais à l'étranger. Ce n'est pas un hôtel comme les autres, les gens sont très proches de vous. Aujourd'hui, le Crillon, c'est mon bureau», raconte l'acteur, qui «rêve d'avoir un jour un hôtel» et promet de revenir après la cure de jouvence de l'hôtel, au printemps 2015.

Édifié sous Louis XV, acquis par le comte de Crillon et transformé en hôtel en 1909, l'établissement a compté parmi ses illustres fidèles Winston Churchill, Ernest Hemingway, Charlie Chaplin, Bill Clinton, Michael Jackson ou encore Madonna.

Il espère après sa mue décrocher le label «palace», déjà obtenu par ses concurrents Meurice, Bristol ou encore Georges V. Le Ritz, place Vendôme, est lui aussi fermé pour travaux. Et le Plaza Athénée pourrait suivre bientôt.

Propriété d'un prince saoudien, le Crillon aura à l'avenir un spa en sous-sol, «une vraie demande de la clientèle», explique Sandrine Daban, responsable de la communication.

Les travaux ont été confiés à l'architecte Richard Martinet et à la directrice artistique Aline d'Amman, qui plancheront avec les décorateurs Cyril Vergniol, Chahan Minassian et Tristan Auer, et avec le paysagiste Louis Benech.

«On ne touchera pas aux salons historiques du premier étage mais on refait toutes les chambres (147 en tout) et on rénove tout le rez-de-chaussée et les deux cours intérieures, par exemple», indique Mme Daban. «On est dans la restauration, pas dans la rupture. Le style restera XVIIIe».

Dernier repas d'exception

Sur les lampes, les luminaires et bougeoirs du jardin d'hiver sont accrochées de petites étiquettes rouges assorties d'un numéro. «Ce sont les pièces qu'on garde», explique Mme Daban. Soit entre 500 et 600.

Le reste du mobilier, environ 3500 lots, sera vendu aux enchères en avril. De même pour 2000 des 7000 bouteilles de la cave.

Mais l'hôtel conservera sa célèbre cave à liqueur en forme d'éléphant et en cristal de Baccarat, l'un des deux exemplaires au monde - au grand dam de Christophe Lambert, qui aurait «bien voulu le racheter...»

Samedi soir, pour le dernier dîner du restaurant étoilé Les Ambassadeurs, au rez-de-chaussée de l'hôtel, le chef Christopher Hache et le pâtissier Jérôme Chaucesse ont concocté un menu gastronomique unique (280 euros hors boisson, soit 365 $CAN), entre caviar, «coquilles Saint-Jacques contisées à la truffe noire» et dacquoise à la «mousse chocolait». Le restaurant affiche complet.

Comme nombre des 360 salariés de l'hôtel, le chef ira oeuvrer ailleurs - de New York à Sao Paulo et Kyoto -, avant de revenir diriger les cuisines du Crillon.

Le personnel peut choisir de partir avec un chèque bien doté ou rester en étant payé pendant deux ans, avec possibilité d'un détachement temporaire ailleurs. Au moins la moitié des salariés devraient revenir, selon la direction.

Cheveux gris et large sourire, le sous-chef de réception Thorleif Tonseth (57 ans dont 27 au Crillon) n'a «pas encore décidé». «C'est une page qui se tourne. Peut-être l'occasion de passer à autre chose», dit ce Norvégien, «amoureux des antiquités»... mais «tellement attaché» à l'hôtel.

Le barman Philippe Olivier, 49 ans, a choisi le grand saut. «Après 26 ans au Crillon, je retourne en Bretagne. Je vais monter ma société de vente de champagne et spiritueux».