Juste au sud-ouest de Washington, le parc de Shenandoah forme une longue bande verte de près de 200 000 acres de nature protégée, traversée par quelque 800 km de sentiers de randonnée. La Virginie ne mérite pas seulement d'être visitée pour ses plages: ses forêts sont probablement plus belles encore.

Le président américain Herbert Hoover avait fait du parc de Shenandoah son terrain de jeu favori pour recharger ses batteries entre deux joutes politiques. Si l'Histoire a bien des choses à lui reprocher, on ne pourra l'accuser d'avoir manqué de goût. Portrait d'un joyau. 

Bitume

Voiture et refuge environnemental protégé : les deux concepts vont rarement de pair. Et pourtant, le parc national de Shenandoah est aussi... le paradis de l'automobile. Le parc a été créé dans les années 30, alors que les Américains découvraient les joies de posséder leur propre voiture; on a alors prévu qu'une «route des merveilles», le Skyline Drive, le traverserait du nord au sud, suivant presque systématiquement la crête des montagnes, offrant ainsi de part et d'autre de spectaculaires panoramas sur les montagnes des Blue Ridge. On dénombre plus de 70 haltes photo le long des 168 km du circuit, dont certains culminant à plus de 1100 m d'altitude. Mais cette route panoramique, l'une des premières conçues aux États-Unis, plaît tout autant aux cyclistes, qui raffolent du bitume sans faille pour s'y entraîner, d'avril à décembre. Attention tout de même aux ours qui traversent sans prévenir: nous en avons croisé trois, et cela n'avait rien d'exceptionnel.

Randonnée

L'homme, devant, a pris la fourche à droite pour rejoindre un petit promontoire et y faire sécher sa tente, mouillée par les violentes averses de la veille: il allait encore passer la nuit dans le parc. Devant, le gamin a plutôt suivi ses parents vers la gauche, jusqu'au sommet de la Stony Mountain, petit effort d'une trentaine de minutes pour une récompense spectaculaire. S'il ne fallait retenir qu'une seule chose de la randonnée au parc Shenandoah, c'est l'extraordinaire variété de sentiers qu'on y retrouve: de la grande aventure menant au pic de l'Old Rag (14,56 km, magnifique!) à la simple balade avec vue, grands sportifs comme bambins y trouveront leur plaisir. Le réseau s'étire sur 800 km (dont quelque 150 font partie du sentier des Appalaches). Choisir s'avère difficile, mais laissez les guides des centres de service vous conseiller: ils sont toujours prêts à vous confier leurs routes favorites.

Design

La beauté du parc de Shenandoah n'a pas tout à fait été laissée au hasard... Si, à l'époque de sa création, le «design environnemental» en était à ses balbutiements, on s'interrogeait déjà sur la manière de rendre le parc esthétiquement plus intéressant. «Après une trentaine de miles [...], la route commence à être monotone», soulevait un membre du comité fondateur du parc dans une lettre à son directeur en 1935. Soit: on a entrepris d'y planter plantes et arbres à foison (pins, rhododendrons, cèdres rouges, etc.) pour diversifier le panorama et restaurer la végétation telle qu'elle était avant le passage de l'homme et de l'exploitation minière. Aujourd'hui, le parc n'a rien de monotone. Mais peut-être que les visiteurs sont aussi plus facilement éblouis par une nature qu'ils côtoient moins souvent que ne le faisaient les habitants d'un monde moins industrialisé.

Sombre

Rien n'est parfait, dit-on. Même une merveille comme le parc de Shenandoah, dont la création comporte son lot de zones d'ombre, d'événements que l'on préférerait oublier. Quand a été adopté le décret permettant sa création, 465 familles habitaient sur les flancs des montagnes du parc, des fermiers qui vivaient pauvrement des fruits de l'agriculture, dans des maisons de bois rudimentaires, sans eau courante ni électricité. Le gouvernement a officiellement promis qu'«aucun résidant ne sera dérangé sauf s'il est dans la trajectoire directe du développement». Puis, le discours a changé: tous les habitants du parc devaient partir... de gré ou de force. De 1935 à 1938, on a évincé 175 familles, dont certaines verront leur maison réduite en cendres par les autorités; les autres fuiront sans réclamer leur dû. Des fouilles archéologiques sont encore menées dans le parc pour retrouver des traces de ces agriculteurs maudits.

Ségrégation

La ségrégation en Virginie ne s'est pas arrêtée aux limites des villes, s'insinuant jusque dans les premiers campements du parc Shenandoah. En 1932, le directeur du parc a dicté la construction de sites réservés exclusivement soit aux Noirs (avec des installations moindres et plus rudimentaires), soit aux Blancs. Heureusement, cette période a été de courte durée et la déségrégation du parc a été officialisée en 1950. Les cabines du camping Lewis ont été rénovées depuis et peuvent être louées par les visiteurs, et des panneaux y expliquent leur histoire.

Chalet présidentiel

La Virginie occupe une place à part dans l'histoire de la politique américaine: quatre des cinq premiers présidents du pays en sont natifs, c'est dire l'importance qu'elle a eue. On sait moins, par contre, qu'on lui doit aussi le premier «Camp David». Le 31e président américain, Herbert Hoover, avait établi dans le centre du parc une retraite où il aimait se retirer avec sa femme, Lou Henry, pour réfléchir loin du tumulte de Washington pendant son mandat troublé par la Grande Dépression. Défait par Roosevelt en 1932, il a fait don à l'État de son chalet, qui a été restauré et est encore ouvert aux visiteurs férus d'histoire.

Étoiles

De toutes les significations possibles proposées pour le mot Shenandoah (les experts ne s'entendent pas), on préfère celle, en langue autochtone, de «jeune fille des étoiles». Parce que nulle part ailleurs en Virginie le ciel n'y est sans doute plus beau la nuit, préservé de toute pollution lumineuse sur quelque 200 000 acres. De nombreuses activités d'interprétation des étoiles sont prévues chaque été, menées par un chercheur associé à la NASA. À ne pas manquer si l'on passe par là dans la période des Perséides.

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Note: Une partie des frais de ce reportage ont été payés par l'Office de tourisme de la Virginie.

Photo François Roy, La Presse

Carnet de bord

Quelques conseils pour profiter à plein d'une visite au parc national de Shenandoah.

Comment?

L'entrée nord du parc de Shenandoah n'est qu'à 120 km de Washington et de son aéroport international: l'option la plus rapide est d'y atterrir et de poursuivre la route en voiture de location. Air Canada et United offrent la liaison directe Montréal-Washington, mais les billets s'avèrent généralement moins chers avec Porter, en passant par Toronto. La destination se révèle aussi une escale intéressante sur la route des vacances que prendront de nombreux Québécois vers les plages de la Virginie: un détour de quelques heures qui en vaut vraiment la peine.

Quand?

La plupart des installations du parc accueillent les visiteurs d'avril ou mai (selon les secteurs) à novembre. Des cyclistes s'y rendent au printemps pour commencer plus tôt la saison, ou tard à l'automne pour l'étirer un peu : belle option. Retenez que le mois d'octobre est le plus achalandé. «Il suffit qu'un présentateur de télévision dise que les couleurs d'automne sont belles pour que tous les résidants de Washington débarquent!», lance Helen Morton, directrice de la société gérant les installations du parc (Delaware North). On évite, donc.

Où dormir?

Pour les plus douillets, deux hôtels ont été construits dans le parc de Shenandoah: Big Meadows (96 chambres) et Skyline (179 chambres, la plupart rafraîchies dans les deux dernières années), construit au point le plus élevé de la route et proposant les meilleurs repas - on peut d'ailleurs ne s'y arrêter que pour casser la croûte dans la salle à manger avec vue sur les montagnes, ou profiter des fauteuils et jeux de société dans le salon vitré du bâtiment voisin. Les chambres, elles, sont modestes mais confortables: on aime que chacune ait sa terrasse. Comptez 150 $ CAN pour une chambre avec deux lits: les enfants logent gratuitement jusqu'à 16 ans.

Une dizaine de chalets rustiques peuvent aussi être retenus à Lewis Mountain, dans la partie sud du parc. Le parc compte 647 emplacements de camping avec les services de base répartis dans quatre sites (réservez sans faute si vous souhaitez y aller les week-ends et les jours fériés de l'été) et permet le camping en forêt sur une grande portion du tracé du sentier des Appalaches.

Enfin, une belle option peut être d'aller dormir à Luray, petite ville de 5000 habitants, un brin endormie, où l'on s'étonne de trouver le très bel hôtel Laurance.

Que faire? 

De la randonnée, encore et encore : demandez conseil aux guides dans les centres de visiteurs, ils seront ravis de vous répondre et de vous indiquer leur sentier chouchou: nous n'avons jamais été déçus. Le Skyline Drive est aussi un chouette terrain de jeu pour les cyclistes, à condition de rester vigilant: l'accotement est inexistant. En revanche, la vitesse est limitée à 55 km/h.

Enfin, le parc est aussi un bon endroit pour s'initier à l'équitation, avec 320 km de sentiers. Des circuits pour débutants, sur terrain plat, sont proposés au départ du Skyline: comptez 50 $ US (70 $ CAN) pour 60 minutes, 90 $ US (125 $ CAN) pour 150 minutes.

Avec toutou?

Shenandoah est l'un des rares parcs nationaux américains autorisant les chiens dans les sentiers de randonnée (sauf quelques exceptions). Mieux: ils sont aussi acceptés dans certaines chambres d'hôtel et plusieurs emplacements de camping.

Combien?

25 $ US (35 $ CAN) par voiture, peu importe le nombre de passagers, et le permis est valide sept jours. À pied, on paiera 10 $ US (14 $ CAN) par semaine et en moto, 20 $US (28 $ CAN) par semaine.

Séjour ou aller-retour? 

Nombre de touristes ne font que l'aller-retour dans le parc et n'y séjournent donc que quelques heures. On vous recommande chaudement d'y passer au moins une nuit, ne serait-ce que pour y admirer le ciel étoilé et la brume se lever doucement sur les montagnes au petit matin. Mordus de randonnée: prévoyez quatre jours.

Photo François Roy, La Presse

La boucle menant au sommet Hawksbill dans le parc national de Shenandoah.

Le bijou des «chasseurs de cavernes»

La Virginie a plus d'un tour dans son sac pour épater les visiteurs, notamment l'une des plus grandes cavernes du monde. 

Pour apprécier les cavernes de Luray, il faut fermer les yeux avant d'y entrer et ne pas se laisser déprimer par leur environnement immédiat, franchement laid : un immense stationnement bordé de boutiques de souvenirs de pacotille et d'affiches criardes qui ne donnent qu'une seule envie, faire demi-tour.

Et pourtant, il faut avouer que, sous terre, le charme opère. Les cavernes de Luray ont été découvertes en 1848 par des «chasseurs de cavernes», déjà alléchés à cette époque par les potentiels revenus touristiques associés à une telle trouvaille. Un filet d'air frais sortant de terre les a guidés vers le gros lot: la plus grande caverne de l'Est américain, parmi les 15 plus importantes du globe connues à ce jour.

On s'y promène en suivant une promenade pavée de près de 2 km zigzaguant entre les stalagmites et les stalactites géantes, délicates dentelles de pierre calcaire blanche. Contraste total avec la portion extérieure du site, l'éclairage y est subtil et l'affichage, discret. On rend mieux hommage ainsi à la splendeur naturelle.

Il faut toutefois relever que le tarif est très élevé: 27 $US (37 $CAN) pour les adultes, 14 $US (19 $CAN) pour les 6 à 12 ans (gratuit pour les moins de 6 ans). On y va pour combler une matinée de pluie dans les environs du parc ou si l'on est passionné de spéléologie.

Photo François Roy, La Presse

Les cavernes de Luray ont été découvertes en 1848 par des «chasseurs de cavernes».