Au rang des reines du road trip trône l'aride route 66, asséchant les gosiers... mais aussi la généreuse route 1, qui vous baigne dans toute la diversité californienne, au gré de la côte Pacifique: falaises vertigineuses et plages sablonneuses, vins concentrés et villes décontractées. Les milles défilent et on avale la route sans compter; pour finalement se demander si ce n'est pas plutôt elle qui nous avale.

«Have fun, man!» Intrigué par notre Westfalia d'époque cahotant dans les rues san-franciscaines, un Californien nous envoie la main depuis son pick-up. Du «fun», nul doute qu'on en récoltera à foison au cours de cette semaine de virée routière qui doit nous mener jusqu'à Santa Barbara, à deux pas de Los Angeles.

Ce jour-là, «Fog City» n'a jamais mieux porté son surnom. Et de cette traversée de San Francisco, nous ne garderons que l'esquisse de gratte-ciel se profilant énigmatiquement à travers l'épaisse brume, tandis que le pont Golden Gate, comme surgi de nulle part, nous mène aux portes d'une cité devenue spectre urbain.

Avant de mettre le cap au sud, une légère incursion au nord nous permet de «chauffer la gomme» et prendre la mesure de notre destrier à quatre roues, à la conduite capricieuse. C'est ainsi que le phare de Point Reyes, lumière solitaire perchée à l'extrémité d'une péninsule, symbolisera la véritable ligne de départ de ce road trip côtier.

À travers gouttes abondantes et routes sinueuses se pointent timidement les plages (Half Moon Bay, Pescadero), premières perles d'un interminable chapelet de havres de sable.

À notre droite, la mer; à notre gauche, la terre: dans les champs de baies bordant la chaussée, des clients cueilleurs emplissent leur panier, pour ensuite déguster le fruit de leur récolte sur la pointe d'un rocher, tout en savourant des yeux l'écume de l'océan.

Pas le temps pour une razzia de framboises à même les buissons? Sur les bas-côtés, des commerçants ambulants écoulent abricots et cerises tout frais cueillis. Une sorte de service au volant, sauce Californie.

Conduire, tout un art

À peine le seuil des 100 milles franchi, les décors citadins se redessinent. Le temps, pour une poignée d'heures, de troquer notre fourgon poussif contre les bolides sur rails du parc d'attractions de Santa Cruz, surplombant une large plage pour vacanciers branchés. Enfin, on dépasse le 65 milles/heure ! Décoiffé par les manèges et les vents maritimes, on reprend le volant pour se réconcilier avec la nature ; celle de Point Lobos, et ses rochers savamment sculptés par l'artiste Pacifique.

Et qui dit sculpture dit peinture. À côté de sa fourgonnette/salle d'expo/atelier garée dans la crique de Carmel, Barry Marshall, peintre nomade, a déployé son chevalet, restituant sur des toiles les mille nuances de bleu exhibées par cet océan qui respire et inspire. On s'arrête, on jase voyages, acrylique et Montréal. Mais au moment de repartir, on ignore toujours qui est la plus belle: la toile ou son modèle?

Rouler comme les vagues

Difficile à avaler, mais tout ceci n'est qu'un brouillon. Et une fois Carmel passé, la côte hausse le ton. Dès lors, les cimes s'érigent, le bitume serpente, les falaises se cisèlent. Faites place au clou du parcours: Big Sur dans toute sa splendeur. Comme s'il avait lui aussi le souffle coupé, notre vieux moteur peine dans les montées, ralentissant le cortège d'autos nous suivant. Mais cette fois, aucun automobiliste ne râle ni ne klaxonne. On les imagine, eux aussi, les yeux rivés sur la rive, envoûtés par la route 1. Les roues tournent au ralenti, adoptant le rythme paresseux des vagues qui roulent ci-bas. Les conducteurs solitaires s'arrêtent pour embrasser le panorama; les couples, pour s'embrasser.

Hormis les innombrables points de vue plongeants, la route est émaillée de petites haltes rafraîchissantes, du resto-bar haut perché Nepenthe aux plages nichées en contrebas (Julia Pfeiffer Beach et ses rochers percés). Dès lors, on saisit mieux pourquoi tant d'écrivains sont venus tremper leur plume dans cet encrier océanique.

PHOTO SYLVAIN SARRAZIN, LA PRESSE

Big Sur

Des pannes et des poèmes

Les montagnes s'affaissent, la route s'assagit, et on file dans la dernière ligne droite de la virée. La fatigue s'immisce doucement au volant, et on rêve de se payer une sieste, à l'image de ces dizaines d'éléphants de mer agglutinés sur la rive, juste avant San Simeon.

Une fois la portion sauvage de Big Sur dans le rétroviseur, les villes recommencent à pousser. Et revoici fleurir des bohémiens de tout acabit sur la route 1, tel «Eric the wandering poet» (Eric le poète vagabond), jeune orateur déclamant ses vers à qui veut les entendre, au gré des artères de San Luis Obispo.

Encore et toujours, les plages persistent à mettre leur grain de sel dans le décor : se succèdent Pismo Beach, puis le rocher mastodonte de la baie de Morro. Et que dire de la splendide plage de Jalama, loin, très loin de tout.... si loin que notre Westfalia l'a désignée comme endroit idéal pour tomber en panne. Dilemme: on vacille entre le souhait de rester bloqué ici à jamais, pour s'improviser surfeur, et celui de se tirer de ce mauvais pas.

Mais l'appel du bitume se fait ténor: après avoir joué de la boîte à outils, on recommence à faire chanter la boîte à vitesses.

Carburer au soleil

Tranquillement, la Californie côtière se mute en Californie agricole, avec ses champs et ses vignobles à perte de vue. Dans l'habitacle de notre fourgon millésime 1986 s'invitent même des effluves de raisin et de chou!

Alors que les derniers milles s'égrènent, au détour d'un ultime virage autoroutier, Santa Barbara s'invite dans le pare-brise sans crier gare. Adossée aux collines abruptes tout en glissant vers la mer, notre dernière étape concentre un florilège des atours de la route 1.

Moteur et conducteur peuvent enfin souffler. Au bout du chemin, on refait le plein de ce soleil éclatant typiquement californien. La brume de San Francisco, elle, paraît désormais bien loin. «Have fun!», nous avait souhaité cet inconnu. Promesse tenue. Du «fun», on en a eu.

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À savoir avant le départ

Avant de prendre le volant, mieux vaut prendre connaissance de ces quelques éléments qui rendront la route plus agréable.

> Réservez tôt: La côte californienne étant une destination très prisée, surtout en haute saison (juin-août), mieux vaut faire ses réservations très en avance, notamment pour le logement. Notez que les prix gonflent de façon importante en haute saison, qu'il s'agisse du prix des hôtels (de 160$ à 200$ et plus) ou des locations d'auto. Attention aux fins de semaine: tout est plein à craquer, y compris les campings.

> L'option campeur: Certaines entreprises louent des autocaravanes, qui ont l'avantage de soulager le budget d'hébergement. Attention toutefois à l'état de certains véhicules vieillissants.

> Calendrier: Compter cinq à sept jours entre San Francisco et Los Angeles, en prenant son temps.

> Météo:Ce voyage peut être fait n'importe quand au cours de l'année, mais la tranche juillet-octobre garantit des journées ensoleillées.

> Astuce essence: La longue portion de Big Sur ayant été préservée des constructions, les stations-service y sont rares... et très chères - près du double du prix en ville. Soyez malin, faites le plein avant d'attaquer l'étape.

> Péage automatique: Un péage automatisé scanne votre plaque d'immatriculation au Golden Gate Bridge, en direction sud. Ça fera 7$, s'il vous plaît.

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La côte californienne étant une destination très prisée, surtout en haute saison.