La Southern Belle, c'est cette jeune fille issue des riches familles de planteurs du sud des États-Unis. Vous la voyez, avec son ombrelle, ses rubans, sa robe à volants, sa capeline de paille fine, telle Scarlett O'Hara dans Autant en emporte le vent? Ainsi est la ville de Charleston. Fortunée, choyée, un peu fière, toujours bien mise, charmante, parfaitement policée.

Ses atours

Elle aligne ses maisons, cossues, hautes de plafond, pourvues de larges vérandas qui se prolongent perpendiculairement à la rue, comme autant de luxueuses toilettes qu'elle entretient avec un soin jaloux: couleurs pastel, dentelles de pierre ou de bois, broderies de lierre, gemmes de bougainvillées ou de magnolias.

Au centre-ville, peu de demeures ont moins de 250 ans, et la Preservation Society of Charleston veille à ce qu'on les traite selon leur rang. Pas question, ici, de changer ne fût-ce qu'un appui de fenêtre sans permis. Si, un peu à l'extérieur du centre, il subsiste quelques immeubles aux fenêtres aveugles et aux murs décrépis, ils n'ont pas à craindre le pic des démolisseurs: à Charleston, tout ce qui est âgé de plus de 75 ans est considéré comme un bien historique et protégé. Il en résulte une harmonie soignée, une grâce discrète et poudrée qui sent le jasmin et le bon goût.

Ses bijoux

Dans les replis de ses robes, la vieille jeune fille cache des jardins d'émeraude, de tourmaline, de péridot. On s'arrête à tous les 20 pas pour admirer l'ordonnancement parfait de celui-ci, la fontaine moussue de celui-là, et on devine que, derrière chaque demeure, ils se prolongent en écrins de fraîcheur qui permettent d'échapper à la touffeur des jours d'été.

Ici et là, d'étroites ruelles se faufilent comme en secret entre deux murs tapissés de lierre. On y passe comme dans un tunnel de verdure et on débouche, un peu étourdi, dans une autre de ces rues verdoyantes et paisibles où marchent des groupes de touristes aux cheveux gris.

Ses manières

La légendaire hospitalité de la belle du Sud n'est pas... une légende. Polie à l'extrême, elle fera tout pour vous être agréable. Jamais, au grand jamais on ne vous saluera sans vous appeler Sir ou Ma'am, encore moins sans vous demander How are you doing? Entrez dans une boutique, une galerie d'art, un liquor store, vous ne verrez plus l'heur d'en sortir: pour peu qu'ils remarquent votre accent, les gens vous demanderont d'où vous venez, ce qui vous amène, si le séjour vous plaît. Ils vous diront où aller manger, quoi visiter absolument... La conversation peut durer comme ça indéfiniment. Cas vécu, et plus d'une fois: ils vous donneront même leur numéro de cellulaire, au cas où vous auriez des questions!

Sa cuisine

Si elle aime un peu trop la friture et ignore le plus souvent ce qu'est du bon pain, notre jeune fille, toujours au courant des dernières modes, ne jure plus que par les produits locaux. La plupart des restaurants en font un mantra, un dogme, une vertu cardinale. Qui s'en plaindra?

Autre tendance: fini (ou presque) les assiettes gargantuesques auxquelles les Américains semblent partout abonnés. Les bons établissements (et ce n'est pas le choix qui manque) sacrifient maintenant la quantité au profit de la qualité.

Mais on reste tout de même accro à la cuisine rapide: le samedi matin, au Farmers' Market, il y a plus de stands de bouffe que de marchands de fruits et légumes, et dès 11h, les files s'allongent devant les comptoirs pour un po' boy (sandwich au poisson frit), un plat de grits (sorte de bouillie de maïs très crémeuse) ou une muffaletta (sandwich de charcuteries assorties).

Ses habitudes

Charleston soupe tôt et se couche tôt. On s'attable dès 18h dans les restaurants, parfois même avant, et, à 22h, les garçons commencent à faire la caisse et à ranger les chaises. Dans la rue, les trottoirs sont déserts et, dans les maisons, les rideaux sont tirés sur des lampes éteintes. Ici et là, d'authentiques becs de gaz agitent leur petite flamme comme pour signaler le couvre-feu. C'est l'heure d'appeler un taxi ou, mieux, un vélo-pousse (5$ la course, n'importe où au centre-ville), pour respirer le doux parfum de la nuit et entendre le chant des criquets avant d'aller faire dodo.

Le passé de Charleston

Fondée en 1672 par de riches colons anglais venus de la Barbade et des Bermudes, Charleston est l'une des villes les plus anciennes des États-Unis - et sans doute l'une des plus jolies, ce qui, en soi, est déjà un exploit compte tenu de son passé mouvementé.

Assiégée par les Amérindiens, les Français et les Espagnols au début de la colonie, attaquée par les pirates, théâtre de la plus grande défaite des Américains durant la guerre d'Indépendance, lourdement bombardée pendant la guerre de Sécession (dont les premiers coups de feu ont précisément retenti à Fort Sumter, non loin du port de Charleston), on se demande comment la ville a pu non seulement survivre à tout cela, mais encore garder son charme et son authenticité.

En 1740, le port était le plus important point d'exportation de riz, de coton et d'indigo en Amérique du Nord. C'est là-dessus que les grandes familles de la Caroline-du-Sud ont bâti leur fortune - et, bien sûr, sur l'esclavage, sans quoi il aurait été impossible d'exploiter ces immenses plantations.

De cela, toutefois, Charleston ne parle que peu, du bout des lèvres, comme s'il s'agissait d'un accident de l'histoire. Pour en savoir plus, il faut visiter une plantation ou encore se rendre à l'Avery Research Center for African American History and Culture. Là, plus de 4000 photos, manuscrits, journaux intimes et autres objets rendent compte de l'histoire des esclaves dans la région, de leurs origines africaines ou caribéennes jusqu'à nos jours, en passant par la naissance de la culture «gullah» et l'émancipation.

En revanche, sur la guerre d'Indépendance, la guerre de Sécession et tous les aléas qu'a traversés la ville (tremblement de terre, ouragans et autres calamités), les sites historiques abondent et sont dûment répertoriés.

Notons entre autres l'Old Exchange Building, où a été prononcée la déclaration d'indépendance de la Caroline-du-Sud, et qui conserve, au sous-sol, le donjon où ont été enfermés quelques pirates qui avaient eu la mauvaise idée de rançonner la ville. Des reconstitutions à l'aide de mannequins, assez bien faites, permettent de se représenter leurs conditions de détention (visite obligatoirement guidée). Aux étages, belle collection de gravures et de photos anciennes représentant des scènes de Charleston au temps des guerres qui l'ont secouée.

cofc.edu/averyoldexchange.org

Apprivoiser la belle

La meilleure façon de faire connaissance avec Charleston est encore à pied, avec un guide peut-être, qui attirera votre attention sur tel détail architectural, se répandra en anecdotes et en précisions historiques. Une pléthore d'organisations offrent des visites guidées - à pied, en minibus, en calèche, thématiques (fantômes, cuisine, histoire des Noirs)...

Toutes prétendent avoir les meilleurs guides, les plus ferrés en histoire, les plus enracinés dans la ville, mais toutes ne se valent pas. Il faut prendre le temps d'explorer l'offre de chacune avant de choisir.

La Preservation Society of Charleston et la Historic Charleston Foundation, en revanche, offrent respectivement à l'automne et au printemps des visites de demeures privées qui valent le coup. Maisons-musées vraiment habitées, décorées et meublées avec un soin presque maniaque, jardins secrets taillés aux ciseaux à ongles, propriétaires excentriques et richissimes (il le faut pour pouvoir entretenir de pareils manoirs), on en a pour son argent.

preservationsociety.org

historiccharleston.org

Les plantations

Il y en avait une trentaine le long de la rivière Ashley avant la guerre civile. On y cultivait du riz surtout, après avoir tenté le thé, l'indigo et le coton. Après l'abolition de l'esclavage, il est devenu virtuellement impossible de maintenir ces cultures, et les terres ont perdu les deux tiers de leur valeur. Il subsiste tout de même plusieurs plantations autour de Charleston, dont l'une des plus visitées est Magnolia, établie en 1676 par la famille Drayton, à qui elle appartient toujours. On y va pour la splendeur de ses jardins qui fleurissent en toute saison et pour la richesse du marais Audubon, où alligators, tortues, canards et oiseaux de toutes sortes se bousculent devant l'objectif des touristes médusés.

magnoliaplantation.com

Bonnes adresses

Manger

Un sandwichsur le pouce

Caviar and Bananas, à la fois épicerie fineet foire alimentaire

51 George Street

caviarandbananas.com

Brown Dog Deli, funky et sympa

40, Broad Street

browndogdeli.com

Les spécialités locales

She-crab soup (un potage crémeux au crabe bleu de l'Atlantique arrosé de sherry): 82 Queen (l'adresse est dans le nom!), superbe jardin-terrasse

82queen.com

Shrimps and grits (typiquement, bouillie de maïs et crevettes, délicieux, vraiment): Poogan's Porch, dans une maison ancienne pleine d'atmosphère

72, Queen Street

poogansporch.com

Prendre un verre

Prohibition, un restaurant-bar décoré sur le thème des speakeasies, ces bars clandestins des années 40. Les vendredis et dimanches soir, soirées endiablées de musique swing, avec danseurs enthousiastes et orchestre. On y mange aussi très bien.

547, King Street

prohibitioncharleston.com

High Cotton, à la fois bar et restaurant, pour l'ambiance: jazz live tous les soirs, hospitalité toute sudiste.

199 East Bay Street

Se déplacer

Si l'on est pressé, taxis et cyclopousses sillonnent la ville en tout temps. Pour 5$, ils vous emmènent n'importe où au centre-ville. La municipalité offre aussi quatre lignes de trolleybus gratuites qui quadrillent assez bien la vieille ville, de 7h du matin jusqu'à environ 20h.