Quiconque s'imagine pêcher à la mouche ne pourra s'empêcher d'avoir en tête les images du film La rivière du sixième jour (A River Runs Through It, en version originale). Cliché? Non. Les habitants de la région en seront même contents.

«Aucun autre film n'a réussi à mieux transmettre la beauté de ce sport, sa grâce et sa noblesse», tranche Kathy Schoendoerfer. Elle vend encore aujourd'hui l'affiche du film, 20 après sa sortie, dans sa petite boutique d'articles de pêche, à Ovando.

Mais il y a plus encore: le film a aussi influencé le développement de la région. Au moment du tournage, la Blackfoot River, deuxième en importance du Montana et au coeur du récit, était si polluée qu'il a fallu déplacer le tournage dans un autre État. «Ça a créé une commotion ici. Les gens ont réalisé qu'il fallait agir, ils se sont mobilisés et ont fait en sorte que la rivière soit nettoyée. Aujourd'hui, elle a retrouvé sa splendeur», raconte Kathy Schoedoerfer devant son vaste comptoir de mouches colorées, à quelques kilomètres de la rivière mythique.

«Le Montana, c'est la terre promise des pêcheurs à la mouche», confirme Benjamin Hahn lorsqu'on lui demande de nommer la destination de ses rêves. «Aucun autre coin du globe ne concentre autant de belles rivières dans un décor aussi beau, pur», ajoute le jeune instructeur, qui titille le poisson depuis sa tendre enfance.

Le jeune homme est heureux, les deux pieds dans la rivière Rock Creek, dans la vallée de Flint, chaussé de ses bottes qui lui montent à mi-cuisses. Il choisit avec soin, dans son petit étui imperméable, la mouche idéale en ce jour de printemps peu favorable aux bonnes prises parce que le niveau d'eau est particulièrement haut et le mercure, trop bas. Il sortira finalement un leurre orange vif, susceptible d'attirer les poissons non pas affamés, mais soucieux de protéger leur territoire. Il se déplace assez rapidement, lance et relance sa ligne à l'eau à un rythme plus rapide qu'à l'habitude. «J'explore, mais je ne crois rien prendre ce matin, ce n'est pas la période de l'année idéale», prédit-il, en ce jour de printemps.

La technique est à la fois plus complexe et impressionnante qu'il n'y paraît dans le film. Les premières tentatives des novices sont des plus malhabiles - c'est à peine si l'hameçon a plongé à deux mètres devant moi au premier lancer. Il y a tellement de choses auxquelles penser: bien tenir la canne d'une main, guider le fil de l'autre, avoir le bon coup de coude - sans bouger le poignet! - pour envoyer sa ligne d'abord en arrière, puis loin devant soi sans accrocher un arbre ou, pire, le cou de son professeur... comme c'est arrivé plus d'une fois à Benjamin!

Heureusement, pour ne pas trop décourager ses apprentis, il les entraîne au bord d'un étang ensemencé aux rives bien dégagées. Un poil de chance et ça mord: branle-bas de combat, il faut vite ramener la prise et sortir l'épuisette en caoutchouc (plus délicate pour les écailles que celle en filet de nylon), puis mouiller ses mains avant de saisir la prise pour ne pas abîmer sa couche protectrice. L'énorme (!) truite scintillante fait un kilo, estime Benjamin avant de la remettre aussitôt à l'eau, pour respecter l'obligation en vigueur dans la plupart des cours d'eau de l'État.

«Plusieurs disent que, pour être un bon pêcheur, il faut avoir de la patience, dit-il. Mais je dirais plutôt qu'il faut savoir apprécier la nature, sa beauté authentique, pour avoir la volonté de la protéger et pouvoir continuer d'en profiter.» Et donc accepter de remettre sa prise à l'eau sans rechigner, histoire de pouvoir répéter, encore et encore, l'exploit et gonfler son lot d'histoires de pêche à raconter.