«Pour tout vous dire, ça me rend folle». Dans son restaurant du bord de mer, aux premières loges de la marée noire, Annette Rigaud ne comprend pas pourquoi le sort s'acharne contre la station balnéaire de Grand Isle, au tout début de la saison touristique.

Katrina et Rita (2005), Gustav et Ike (2008): «Nous avons eu quatre ouragans en cinq ans. Nous avons travaillé tellement dur après ça pour refaire le restaurant. On venait juste de refaire la plage et la digue» qui protège la petite ville de 1500 habitants et ses maisons sur pilotis, témoigne Annette dont la famille est Louisianaise depuis Louis XIV, au milieu de ses tables couvertes de toiles cirées à carreaux rouges et blancs.

Mais les touristes n'auront guère profité de la plage: les autorités ont décrété sa fermeture un mois après le naufrage de la plateforme Deepwater Horizon à 80 km au large. La grève semble pourtant immaculée: les employés de BP la passent régulièrement au peigne fin pour enlever la moindre trace de pétrole.

Mme Rigaud, dont les fenêtres donnent sur la digue, n'est pas allée voir les couches de brut qui se sont répandues sur la plage. «Ca m'aurait fendu le coeur», explique-t-elle.

«On ne comprend pas pourquoi c'est comme ça depuis cinq ans», se désole Annette, une grande femme blonde qui ne veut pas dire son âge et se présente comme «une Française», même si elle ne parle pas un mot de la langue de Molière.

La fuite de pétrole au fond du golfe du Mexique, que BP ne parvient pas à colmater malgré moult tentatives, joue avec les nerfs des habitants qui se demandent combien de temps le brut va menacer la côte.

«Tout le monde est stressé ici. On reste à attendre sans rien faire et personne ne nous dit rien parce que personne ne sait ce qui se passe. Hier, j'avais quatre clients ici qui en pleuraient», témoigne-t-elle.

«Sarah's Diner», son restaurant de fruits de mer, est resté presque vide pendant le week-end prolongé du «Memorial Day» qui donne fin mai le coup d'envoi de la saison touristique aux Etats-Unis. «Nous avons trois mois» pour gagner de quoi vivre pendant le restant de l'année, explique-t-elle.

«Nous avons eu 80% de clients en moins par rapport au Memorial Day de l'an dernier», constate la restauratrice, qui avoue un manque à gagner de 1500 dollars par jour. A côté, les 5000 dollars que lui a versés BP à titre préliminaire ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan.

«J'ai déposé une demande de dédommagement», raconte-t-elle, précisant que le groupe pétrolier responsable de la marée noire ne lui a pas dit quand elle toucherait l'argent.

En attendant, Mme Rigaud fait quatre heures de route par jour pour aller chercher les fruits de mer qu'elle sert à ses clients, la pêche locale étant fermée. Elle ne peut se permettre de fermer purement et simplement son établissement, car elle a des traites à payer.

«Il y a beaucoup de gens qui dépendent de moi pour vivre», explique-t-elle.

Annette s'attend à ce que le pétrole, poussé par le vent, finisse par arriver en masse sur la plage.

«Ils nous ont dit qu'ils nous évacueraient, mais pour aller où?» se demande Annette, sur cette plage éloignée de tout.

Les Rigaud sont arrivés en Louisiane depuis Bordeaux au XVIIe siècle et vivent depuis six générations à Grand Isle, raconte-t-elle, se remémorant les sorties en bateau qu'elle faisait petite pour aller nourrir les dauphins au large. «Qui aurait cru qu'une marée noire me tuerait?»