Nombreux sont ceux qui rêvent d'admirer un jour le spectacle des aurores boréales. Or, c'est à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, que les conditions d'observation sont les meilleures au monde. Récit d'un séjour dans le Nord, chaque soir sous les aurores.

Terre d'aurores

Les nuits d'hiver sont longues dans les Territoires du Nord-Ouest, mais elles sont rarement noires.

Dans ce vaste territoire du Nord canadien, la beauté du ciel compense le froid mordant et la rareté du soleil. Par temps clair, le spectacle est assuré : la Voie lactée largement déployée et, presque toujours, des aurores boréales qui viennent danser.

Astronome au Planétarium de Montréal, Sébastien Gauthier a grandi sous les aurores, à Matagami, à la Baie-James. C'est toutefois près de Yellowknife, la capitale des Territoires du Nord-Ouest, qu'il a choisi de planter sa caméra pour tourner le documentaire aurōrae, actuellement à l'affiche sous le dôme du Planétarium.

C'est en effet dans ce coin de la planète que les aurores sont les plus fréquentes, les plus intenses et les plus faciles à observer.

La situation géographique de Yellowknife lui confère un avantage considérable sur les autres villes nordiques d'Europe ou même d'Amérique. « Yellowknife est située directement sous l'ovale auroral, où les probabilités de voir des aurores sont les plus élevées, explique Sébastien Gauthier. L'autre aspect à considérer est la météo ; il faut un ciel clair pour observer les aurores. Or, les Territoires du Nord-Ouest sont privilégiés, car ils reçoivent très peu de précipitations. Le ciel est souvent dégagé, sans couvert nuageux. Et comme le climat est sec, le ciel est transparent. Les aurores apparaissent avec plus de netteté. »

Sébastien Gauthier a passé 10 nuits à Yellowknife pour tourner aurōrae ; il a vu des aurores chaque soir. Et quelles aurores ! « Rien à voir avec celles que j'avais vues jusqu'alors. Dans le Sud, les aurores apparaissent à l'horizon. À Yellowknife, elles sont partout au-dessus de nos têtes. La différence est aussi grande que pour quelqu'un qui connaîtrait la neige et qui, un jour, se retrouve pour la première fois dans une tempête. J'avais vu neiger, mais dans les Territoires du Nord-Ouest, j'ai vu une tempête ! »

Une ville et son ciel

L'ovale auroral ne se limite pas à Yellowknife et ses environs ; d'autres communautés des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon profitent d'excellentes conditions d'observation. Le hic : elles sont pour la plupart difficiles d'accès et ne disposent pas forcément d'infrastructures pour accueillir des touristes.

Dans la capitale des Territoires du Nord-Ouest, les restaurants, les hôtels et les bars sont nombreux et animés, surtout en hiver, quand les touristes arrivent en masse, attirés par les lumières du Nord.

Tous ces bâtiments éclairés, ces feux de circulation, ces réverbères pourraient masquer les aurores ; ils en atténuent l'éclat, mais ne les chassent pas complètement. Nous en avons eu la preuve un soir, alors que le ciel au-dessus de Yellowknife s'est rempli de draperies vertes et mouvantes.

Quelques personnes (des touristes, un photographe, une journaliste !) ont grimpé jusqu'au Monument des pilotes, qui surplombe la vieille ville. Sur le Grand Lac des Esclaves, on a vu des voitures s'éloigner de la ville par la route de glace pour s'arrêter au milieu de la baie. Pas besoin d'aller très loin ; quelques kilomètres suffisent pour diminuer l'impact des lumières de la ville. Il était 17 h et nombre de travailleurs rentraient simplement chez eux, sans trop lever les yeux. Pas qu'on se lasse des aurores, mais s'il fallait chaque fois s'empêcher de dormir...

Ce soir-là, les lumières ont dansé plusieurs minutes avant de disparaître dans une noirceur on ne peut plus banale. On a cru à la fin du spectacle, il s'agissait plutôt d'un entracte prolongé.

Autour de minuit, les cieux se sont déchaînés. Nous nous trouvions alors à 30 minutes de route de Yellowknife. Des volutes phosphorescentes d'un vert intense ont embrasé le ciel. Elles roulaient comme des vagues, changeant sans cesse de rythme, de forme et même de couleur (ce qui est plutôt rare). Des touches de rose sont apparues au milieu du vert. Une longue bande rayée s'est mise à clignoter comme des touches de piano activées par un géant particulièrement inspiré. À un moment, des sphères lumineuses (semblables aux sept boules de cristal dans Tintin) ont tourbillonné à la frange d'un long serpent vert.

Parole de journaliste, j'ai rarement vu spectacle aussi grandiose. Le ciel au complet semblait s'agiter. La légende veut que lorsqu'on siffle, on attise les aurores. Pas besoin, les aurores arrivaient de partout, du nord, du sud, de l'est, de l'ouest. Elles fusionnaient, se séparaient au-dessus de nos têtes. Il fallait s'étendre sur le sol gelé pour ne rien rater. Et encore.

Devant un spectacle à si grand déploiement, on passe de la frénésie à la stupéfaction. Certains crient, d'autres restent bouche bée. Moi, j'avais les larmes aux yeux. Trois fois, j'ai visité le nord du Québec ou du Canada dans l'espoir d'apercevoir les aurores. J'étais chaque fois rentrée bredouille.

Imprévisible spectacle

Les scientifiques ont beau en savoir de plus en plus sur les aurores, elles restent imprévisibles. Certes, des satellites sont maintenant capables de capter sur la face cachée du Soleil les éruptions qui causeront plus tard des aurores, des chercheurs peuvent calculer les probabilités d'observation pour telle ou telle soirée. Des statistiques tendent à montrer qu'elles sont plus fréquentes entre 23 h et 1 h. Reste que les lumières du Nord peuvent apparaître sans prévenir et s'évanouir aussi vite, éclipsées par un simple nuage. Le phénomène peut durer quelques minutes ou quelques heures.

C'est sans doute ce qui les rend si précieuses pour ceux qui ont le bonheur de les observer.

Aurores 101

Non, les aurores boréales ne sont pas causées par les reflets du Soleil sur les glaciers (comme le croient encore certains). Elles sont plutôt provoquées par la collision entre des particules électriques venues du Soleil et les gaz de la haute atmosphère terrestre. Lorsque des éruptions surviennent à la surface du Soleil, des particules sont éjectées puis transportées par le vent solaire. Certaines sont dirigées vers la Terre. Guidées par le champ magnétique de notre planète, elles forment un anneau autour de chaque pôle. C'est ce qu'on appelle l'ovale auroral. Lors d'activités solaires très intenses, cet ovale peut s'agrandir, parfois jusqu'au sud des États-Unis.



Une partie des frais de voyage de ce reportage ont été payés par Northwest Territories Tourism.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Les sorties aux aurores débutent à 20h et se terminent vers 1h. Parfois, le ciel reste noir. Personne n'est remboursé. Mais souvent, les aurores apparaissent, comme ici, vers minuit. Aucune activité d'interprétation n'est offerte sur place; les clients qui voudraient de plus d'information sur le phénomène restent sur leur faim.

Un lodge sous le ciel

Au début des années 80, il n'y avait rien. Rien qu'une cabane de trappeur séparée de la capitale par 100 km de lacs, de taïga et de pistes d'orignal.

Trente-cinq ans plus tard, la cabane de bois est toujours là, mais d'autres chalets ont poussé à ses côtés. Un grand lodge moderne s'est ajouté. Yellowknife ne s'est pas pour autant rapprochée, et à moins de vouloir se lancer dans une expédition de six heures en motoneige, c'est en avion de brousse qu'on arrive au Blachford Lake Lodge, hiver comme été. Même le prince William et sa femme Kate Middleton sont arrivés par la voie des airs quand, à l'été 2011, ils sont venus passer une journée au lodge lors de leur voyage de lune de miel au Canada.

Depuis le hublot du Twin Otter, le lodge a l'air planté en plein désert. Tout est blanc derrière, devant. Pour deux nuits, ce sera notre camp, loin du confort rassurant de la ville, mais avec l'immensité du ciel pour nous seuls.

Des bénévoles venus de partout dans le monde

Sitôt l'avion posé sur le lac gelé, des employés s'avancent pour nous accueillir, d'autres déchargent l'avion. Ce sont tous des bénévoles venus passer quelques semaines ou quelques mois dans ce chalet du bout du monde. En échange du gîte et du couvert, ils entretiennent les bâtiments, coupent le bois, réparent les motoneiges et servent d'animateurs ou de guides auprès des clients. Chaque année, plus de 600 personnes postulent pour faire du volontariat ici. Seulement 40 ou 50 sont choisies.

Parmi les élus, il y a Abby, originaire d'Alaska, qui nous mène jusqu'au lodge principal où le dîner, servi sous forme de buffet, nous attend. Yuki, une Japonaise, est aux fourneaux. Malte, un Allemand costaud coiffé d'une tuque de Viking, nous salue. Dans l'entrée, les manteaux et les bottes sont alignés. Il règne dans la grande salle à manger une ambiance de camp de vacances un brin déroutante pour ceux qui descendent de l'avion. Les bénévoles d'un côté, les clients de l'autre... Dommage.

Marine, une Normande amoureuse de l'hiver, se charge de nous mener à notre chalet, situé à 400 m du lodge principal. Le confort est rudimentaire : pas d'eau courante, une toilette sèche à l'extérieur, un poêle à bois comme seule source de chauffage... Mais depuis la galerie, la vue sur le lac est splendide. Nous serons aux premières loges pour observer les aurores.

C'est pour elles que nous sommes là, comme la majorité des clients qui passent par Blachford Lake pendant l'hiver. Ils arrivent de partout pour s'offrir le luxe d'un tête-à-tête avec les lumières polaires.

Un séjour luxueux

Car il est bien question de luxe ici. Séjourner dans ce lodge éloigné, ravitaillé exclusivement par avion, n'est pas à la portée de tous les portefeuilles. Deux nuitées dans une des chambres chauffées situées dans le lodge principal coûtent 1675 $ par personne en occupation double. Dans un chalet rustique comme le nôtre : 1100 $ par personne. Tout, ou presque, est inclus : les repas où tout est fait maison (notamment le pain qui lève au petit matin devant le poêle à bois), l'accès au sauna et au bain à remous extérieur, les activités guidées (pêche sur la glace, raquette, patinage sur le lac, ski de fond). Tout l'équipement est fourni. À l'intérieur, des paniers de laine sont mis à la disposition de ceux qui veulent tricoter. Sur le bar, on trouve toujours des biscuits et du café.

Il faut toutefois payer un supplément pour les sorties guidées en motoneige tout comme pour l'activité de pêche traditionnelle amérindienne offerte par Don Cadieux, celui-là même qui a construit la première cabane de trappeur il y a 35 ans. « Don a grandi près d'ici et connaît le secteur comme personne », explique Marine. Il faudra la croire sur parole ; le guide était absent lors de notre passage. Le lodge offre aussi un service payant de location de vêtements. Le froid peut être surprenant, même pour qui connaît l'hiver. Le premier jour, le thermomètre affichait -34 degrés. Le mercure y est descendu à -40 récemment...

Heureusement, le ciel, lui, reste gratuit. Tout comme l'impressionnant silence des lieux. Car en hiver, les ours hibernent, les oiseaux se taisent. Nous n'entendons plus que le crissement de nos bottes sur la neige et l'accélération de notre rythme cardiaque quand les premières aurores se pointent.

Car oui, elles viennent. « Chaque soir, quand il fait clair », dit Nicolas, un autre bénévole d'origine française. Ce sont les mêmes qu'à Yellowknife, sans doute, mais dans ce ciel si pur, elles semblent plus grandes. À moins que ce soit nous qui nous sentions plus petits.

Visitez le site de Blachford Lake Lodge.

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Seul avec les aurores: un luxe ultime que s'offrent les clients du Blachford Lake Lodge.

Repères

Comment y aller?

Aucun vol direct ne relie Yellowknife et Montréal (ou Toronto.) La compagnie Air North offre toutefois deux vols sans escale par semaine entre la capitale des Territoires du Nord-Ouest et Ottawa. Air Canada, WestJet ou First Air desservent aussi Yellowknife ; les escales se font à Edmonton ou Calgary.

Quand y aller?

À Yellowknife, des aurores peuvent être observées de la mi-août à la mi-avril. Le ciel est plus sombre à partir de décembre, mais le pic auroral se produit généralement autour des équinoxes d'automne et du printemps (soit le 19 mars et le 22 septembre, en 2016). « Pour une raison que nous ne comprenons pas encore, il y a alors une meilleure compatibilité entre le champ magnétique de la Terre et celui du Soleil », explique Sébastien Gauthier, astronome au Planétarium de Montréal. « Les aurores sont alors de 10 à 15 % plus brillantes, plus intenses. La météo de Yellowknife est meilleure au printemps. »

Autre aspect à considérer : les phases de la lune. La lumière de la pleine lune peut nuire à la visibilité des aurores. Au contraire, le ciel est plus noir lors de la nouvelle lune.

De plus, l'activité solaire fluctue selon un cycle qui s'étend sur 11 années et, après 2016, la fréquence des aurores devrait diminuer. Selon Sébastien Gauthier, ce cycle a toutefois peu d'impact sous l'ovale auroral. « C'est surtout au sud qu'on risque de voir moins d'aurores. »

Combien de temps y aller?

Rien n'est garanti, forcément, mais les probabilités d'observer des aurores sont très élevées lors d'un séjour de trois nuits.

Combien ça coûte?

Beaucoup moins qu'on pourrait le croire, surtout si on compare avec un voyage dans le Grand Nord québécois. Le prix des billets d'avion entre Montréal et Yellowknife oscille autour de 750 $ en hiver, mais il arrive qu'on tombe sur des aubaines. Pour l'hébergement, il est possible de trouver des chambres entre 140 $ et 160 $ la nuit dans des hôtels affiliés à des chaînes comme Super 8 ou Days Inn. Les gîtes sont généralement un peu moins chers.

Quoi apporter?

Pour que les nuits d'observation ne se transforment pas en cauchemar, il faut porter les bons vêtements. À commencer par des bottes, plus larges que celles que l'on porte d'ordinaire, selon John Stephenson, qui accueille les clients du Blachford Lake Lodge.

« L'erreur la plus fréquente chez les clients est d'être mal chaussés. Certains fabricants indiquent que leurs bottes sont efficaces à -50 degrés, mais elles ne sont pas faites pour ici. La doublure doit être faite de feutre et il faut qu'on puisse mettre plusieurs paires de bas sans se sentir coincé. »

Le parka doit aussi être plus grand que d'habitude et contenir une grande quantité de duvet. « L'air sert d'isolant. Un manteau trop serré vous donnera froid. » Il recommande de choisir un manteau avec un capuchon doublé de fourrure.

Pour les mians, il privilégie les grosses mitaines doublées avec un sous-gant en laine. « Acheter des chauffe-mains peut être une bonne idée. » Le pantalon isolé, lui, est essentiel. Quant aux sous-vêtements (longs !), John Stephenson conseille la laine mérinos.

Où s'informer pour consulter les prévisions aurorales?

« Les chances de voir des aurores seront toujours meilleures si on s'informe des prévisions aurorales », dit Sébastien Gauthier. Quelques sites à consulter :

Météo spatiale Canada

Astronomy North (en anglais) 

Space Weather Live 

Aurora Forecast

Il est aussi possible d'observer en direct les aurores au-dessus de Yellowknife sur le site AuroraMax.

Et ailleurs dans le monde?

Outre les Territoires du Nord-Ouest, il est possible d'observer les aurores boréales dans d'autres régions nordiques, dont l'Islande, la Laponie finlandaise, la Norvège (en particulier l'archipel du Svalbard), la Russie (à partir de la ville de Murmansk) et la Suède. Le Yukon, le Nunavut et l'Alaska bénéficient aussi d'une position privilégiée, tout comme le nord du Québec, situé juste sous l'ovale auroral.

Quant aux aurores australes (qui sont le miroir exact des aurores du Nord), elles sont plus difficiles à observer, faute de terre où poser le pied. C'est l'île australienne de la Tasmanie qui profite des meilleures conditions, en raison de ses conditions météorologiques. On peut aussi les apercevoir en Antarctique, dans le sud de la Patagonie et en Nouvelle-Zélande.

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Les aurores peuvent apparaître ou disparaître sans prévenir.