À 11 ans, Alexandre demande à tremper ses lèvres dans le verre de bière de son père. Rosalie, 10 ans, aime ouvrir les bouteilles de vin. Et Charles, 12 ans, est un as pour préparer les martinis des invités. Est-ce grave ? Faut-il y voir un épicurisme précoce ou les prémices de mauvaises habitudes avec l'alcool ?

Ces questions, Anie, mère de cinq enfants âgés de 7 à 15 ans, se les pose régulièrement - et particulièrement dans le cas de son garçon de 12 ans, qui a manifesté très tôt une curiosité pour l'alcool. « Il a toujours été intéressé par ce qu'on buvait, dit la mère de 40 ans. Il s'intéresse à notre café comme à notre verre de vin. » Inquiète ? Pas vraiment, quoique... « Je ne le laisse pas boire, mais oui, il trempe parfois ses lèvres. Il trouve ça bon ! Je suis alerte et très consciente que, contrairement à sa soeur aînée, il a hâte de boire. »

Anie a opté pour l'ouverture... et la discussion. Une bonne idée, selon leDr Jean-François Chicoine, pédiatre au CHU Sainte-Justine. « Une étude démontre qu'avant 16 ans, 85 % des adolescents font plus confiance à leurs parents qu'à quiconque, dit-il. Pour tous les sujets importants, comme les jeux vidéo, les menstruations, la consommation de cannabis ou d'alcool, c'est toujours mieux si ce sont les parents qui répondent aux questions des enfants. » Il rappelle qu'une relation de confiance parents-enfants se bâtit au fil du temps grâce à un lien d'attachement fort.

Hubert Sacy, directeur général d'Éduc'alcool, croit lui aussi que la participation des parents est cruciale : ils sont les premiers modèles de leurs enfants.

« Si les parents interdisent à leur préadolescent de boire, mais qu'ils entretiennent eux-mêmes une relation malsaine avec l'alcool, ça ne marchera pas ! » - Hubert Sacy, directeur général d'Éduc'alcool

Retarder et accompagner

Interdire ou pas ? M. Sacy est nuancé : « Il n'y a pas de réponse absolue », laisse-t-il tomber. Au Québec, 66 % des jeunes de 13 ans ont déjà pris de l'alcool. « Cela tend à être de plus en plus tard, et les quantités diminuent », souligne-t-il. L'une des hypothèses avancées par les études : les écrans ! « On remplace un problème par un autre, avoue M. Sacy, mais il semble que les jeux vidéo et les réseaux sociaux freinent la consommation d'alcool. »

Selon M. Sacy, toutes les recherches démontrent que plus l'alcool est consommé tard, mieux se porte la santé des préadolescents et adolescents. « D'un point de vue purement scientifique, aucun alcool ne devrait se boire avant que la troisième phase du développement du cerveau ne soit terminée... à 23 ans. C'est biologique ! Mais bien sûr, entre ce que dit la science et la vraie vie, il y a un monde. » Retarder la consommation est donc un objectif à garder en tête.

Toutefois, il est aussi souhaitable que l'introduction à la consommation d'alcool se fasse avec les parents, et non avec les pairs, commente Hubert Sacy. « Les parents se retrouvent avec un gigantesque défi, celui de trouver l'équilibre entre retarder le plus possible la prise d'alcool et battre de vitesse les amis... » Nathalie, maman de trois adolescents âgés de 16 à 19 ans, a dû avoir de sérieuses discussions avec sa cadette, tombée dans les flots des coolers sucrés un peu trop vite. « À la rentrée scolaire, à 15 ans, elle est rentrée d'une fête d'amis pas seulement pompette... Elle se tenait après les murs. » En déni, la jeune fille a été sensibilisée aux effets aux impacts de sa surconsommation par ses parents. « On l'a fait sans lui faire la morale ni le lui interdire, confie la mère. Et ça s'est replacé. Elle a un comportement plus réfléchi. »

Si, à 9 ou 10 ans, la réponse des parents doit être ferme quant à la possible « dégustation » d'alcool, à 13 ou 14 ans, c'est plus délicat... « Ce qui est interdit peut devenir ce qui est convoité, avance la psychologue Nadia Gagnier. Il faut expliquer pourquoi c'est permis pour les adultes et pas pour les enfants, dire ce que ça fait au cerveau, l'impact sur notre état, notre jugement, et ce que ça peut faire à long terme. On parle des risques sans banaliser ni dramatiser. Je crois beaucoup à l'éducation face à l'alcool. »

Pour avoir un coup de pouce, on peut télécharger la publication Parler d'alcool avec ses enfants sans être dépassé.

Quand la famille insiste...

Au cours du réveillon, un oncle ou une belle-soeur lance en riant que votre enfant devrait « prendre un verre » ? On l'entraîne un peu malgré lui (et malgré vos consignes) à trinquer ? Que faire, comment réagir ? « On en parle avec son enfant en amont, explique Nadia Gagnier. Ainsi, lorsqu'on arrivera au party de famille ou au souper d'amis, notre enfant pourrait lui-même se montrer hésitant, car cela sera en dissonance avec ce qu'on lui a inculqué. Au besoin, on peut dire : "Cela va venir bien assez vite, je ne veux pas qu'il/elle boive de l'alcool." Il faut mettre nos limites comme parents. » Hubert Sacy prêche aussi par la prévention et la communication. « Mieux vaut prévenir que guérir : avant que le party ne soit lancé, on prévient nos proches et on convient qu'il n'est pas question de pousser notre enfant à boire, explique le directeur général d'Éduc'alcool. Il ne faut pas avoir peur d'intervenir. N'oublions pas qu'en restant silencieux, on approuve... Donc il faut parler et être ferme, sans humilier qui que ce soit. »