Le Dr Guy Falardeau, pédiatre à Québec, lance ces jours-ci un cri du coeur bien senti. Dans un livre qui vient tout juste de paraître, il s'inquiète de voir des enfants recevoir un diagnostic de TDA/H alors qu'en réalité, ils souffrent d'un autre problème de santé. Une préoccupation partagée par d'autres médecins et psychologues.

Un couvercle sur le chaudron

Dans les écoles du Québec, de nombreux élèves sortent du lot. Ils se montrent distraits, parlent sans attendre leur tour, se braquent devant l'autorité ou encore bougent sans cesse. Ces enfants souffrent-ils d'un trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDA/H)? «Ils ont l'air d'en avoir un, et peut-être qu'ils en ont un... mais il faut éviter de sauter aux conclusions», prévient le Dr Guy Falardeau, pédiatre et auteur du récent livre Tout ce qui bouge n'est pas TDAH.

«Moi-même, il m'est arrivé de faire cette erreur, poursuit le médecin. Par exemple, j'étais à une partie de baseball de mon petit-fils, je regardais un enfant et j'ai dit à ma femme: "Lui, c'est un vrai TDA/H!" C'est ça, le problème! On s'imagine que dès qu'un enfant est un peu agité, un peu impulsif et un peu différent, on dit qu'il est TDA/H.»

Or, des conditions comme l'anxiété et le trouble d'opposition entraînent des symptômes semblables à ceux du TDA/H. Un mauvais diagnostic nuit aux enfants qui souffrent d'autres problèmes, car ils ne reçoivent pas l'aide appropriée, déplore le pédiatre. «Oui, l'enfant à qui l'on prescrit un médicament contrôle mieux sa colère. Mais elle reste là, la colère. C'est comme un chaudron sur le feu sur lequel on ferme le couvercle. Il n'y a rien qui sort, mais l'eau bout encore. Imaginez la crise quand ça saute...», illustre le médecin. Ces enfants et leurs parents ont besoin d'une aide spécifique, et vite, répète-t-il.

Fait-on souvent fausse route? Le Dr Falardeau ne peut pas chiffrer le nombre de diagnostics incomplets, mais il affirme que le système de santé ne permet actuellement pas de dresser le portrait complet, rigoureux et rapide de tous les enfants en difficulté. 

Les listes d'attente pour les évaluations dans le réseau public s'allongent. Devant des enfants qui présentent de grandes difficultés scolaires, sociales et familiales, plusieurs médecins ne disposent alors que de questionnaires qui leur donnent une idée des symptômes éprouvés par les jeunes patients.

On peut alors avoir des doutes qu'il s'agit d'un TDA/H; une évaluation beaucoup plus exhaustive permet de déterminer si un autre problème de santé entraîne les difficultés de l'enfant ou si, en effet, il a bel et bien une condition neurologique qui affecte son attention et la maîtrise de lui-même.

Un trouble qui existe

S'il s'inquiète des mauvais diagnostics, le Dr Falardeau précise que non, le TDA/H n'est pas une invention. «Ça existe! J'en ai vu des milliers!», lance-t-il.

«Le TDA/H n'est pas une religion à laquelle on croit ou non. Le TDA/H est un problème que l'on retrouve chez un grand nombre d'individus et qui leur empoisonne la vie.»

Et ceux à qui on diagnostique à tort un TDA/H n'ont-ils pour leur part qu'un besoin de bouger davantage? «Non, non, non, non... Ces enfants-là ont des problèmes aussi. Des vrais. Ils sont souffrants. C'est pour ça que les médecins sont mal pris: on n'a pas les ressources pour les aider.»

La présidente de l'Ordre des psychologues du Québec, Christine Grou, abonde dans le même sens. «Cliniquement, on a du travail à faire sur le TDA/H», souligne-t-elle.

Au Québec, l'évaluation pour déceler la présence ou non d'un TDA/H revient aux médecins, aux psychologues, aux neuropsychologues et aux professionnels détenteurs d'un permis d'évaluation de troubles mentaux. Afin de s'assurer d'avoir en main un portrait juste de la situation, de plus en plus de médecins demandent d'ailleurs l'avis d'un psychologue ou d'un neuropsychologue. C'est là que le bât blesse. Au public, un enfant peut souvent attendre plus d'une année scolaire avant d'être évalué.

«On ne manque pas de psychologues, mais on manque de psychologues dans le réseau public. On manque de psychologues dans les écoles», estime Christine Grou.

«Il faudrait juste augmenter l'accès à l'évaluation psychologique ou neuropsychologique gratuite. Il faudrait qu'il y en ait plus dans le réseau scolaire, ou encore que l'État finance ces évaluations faites dans les règles de l'art.»

Et même au privé, les listes s'allongent, constate la Dre Annick Vincent, psychiatre. «Le pauvre parent qui se fait dire par l'école que son enfant a peut-être un TDA/H ou qui a lu un reportage et qui se dit: "Mon enfant a peut-être ça", pour lui, ça commence à être ardu. Où est-ce qu'il consulte? Il peut commencer par un médecin de famille. Si le tableau est classique et qu'il n'y a rien d'autre d'inquiétant, le médecin peut faire l'évaluation lui-même, mais ça ne se fait pas en cinq minutes. Est-ce que tout le monde a besoin d'une évaluation en psychologie ou en neuropsychologie? La réponse, c'est non. Mais dans certains cas, c'est très important.»

Car le portrait est parfois complexe: un enfant anxieux peut éprouver des difficultés qui s'apparentent à un TDA/H, et à l'inverse, un jeune avec un trouble de l'attention risque lui aussi d'éprouver de l'anxiété.

Doit-on s'inquiéter?

Doit-on revoir le dossier de tous les jeunes à qui l'on a diagnostiqué un TDA/H? Absolument pas, nuance le Dr Falardeau. Si l'enfant va bien, avec ou sans médication, s'il fonctionne bien à l'école et à la maison, il n'y a pas lieu de s'inquiéter, ajoute-t-il.

Par contre, si l'enfant éprouve toujours de grandes difficultés et qu'il n'a pas eu accès à une évaluation où un professionnel s'est intéressé à sa santé psychologique, à la qualité de son attention et à son histoire affective, il peut être indiqué de demander qu'il soit vu par un psychologue, précise le pédiatre, qui souhaite ardemment que le système s'ajuste pour permettre un meilleur accès aux services pour les enfants en difficulté, peu importe leur situation.

«Si on travaillait en équipe, ça pourrait faciliter les choses, mais en ce moment, ce n'est pas bien organisé dans notre réseau», explique la Dre Annick Vincent.

La spécialiste précise toutefois que, s'il arrive que des jeunes reçoivent à tort un diagnostic de TDA/H, certains passent au contraire complètement inaperçus. «Il y a aussi des gens qui ont un TDA/H et qui passent complètement free dans notre système, parce qu'ils ont des symptômes moins visibles. Ceux qui sont très agités, ce sont surtout ceux-là pour lesquels il y a une démarche qui s'installe plus rapidement.»

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Tout ce qui bouge n'est pas TDAH. Dr Guy Falardeau. Les éditions de l'Homme. 176 pages.

Image fournie par Les éditions de l'Homme

Tout ce qui bouge n'est pas TDAH

Quand ça ne va pas

À quoi doit s'attendre un parent dont l'enfant présente des défis qui s'apparentent à un TDA/H? Chaque cas demeure unique, mais voici un aperçu de l'aide dont il devrait bénéficier.

Soutenir les enfants à l'attention fragile

En mars, l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a publié un avis sur le cheminement idéal d'un jeune chez qui l'on soupçonne un TDA/H. L'INESSS met d'abord l'accent sur le soutien dont ont besoin les enfants à l'attention fragile... avant même que l'on pense au diagnostic. «Il faut se demander comment on peut aider tous nos jeunes à cultiver leur attention, qu'ils aient un TDA/H ou pas», croit la Dre Annick Vincent. «Posons la question: est-ce qu'il y a des attentes envers nos jeunes qui sont déraisonnables, actuellement? demande la psychiatre. Ce qui est bon pour les enfants TDA/H est bon pour tout le monde. Il y a beaucoup de facteurs qui ne sont pas médicaux sur lesquels on peut déjà faire quelque chose.»

Les premiers «drapeaux»

«Un enfant chez qui l'on soupçonne un TDA/H est peut-être plus dans la lune que les autres. Ou plus agité, ou plus impulsif. Ce sont les trois drapeaux qui vont être levés», résume la Dre Vincent. Un jeune qui éprouve ces difficultés ainsi que ses proches devraient d'abord pouvoir compter sur une aide psychosociale à l'école ou dans le réseau de la santé, indique l'INESSS. Si cette intervention porte ses fruits, «tout le monde est content», ajoute la psychiatre. Cependant, si les difficultés perdurent, il est avisé de demander une évaluation pour déterminer si, en effet, l'enfant souffre bel et bien d'un trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité.

Une évaluation complète

Le professionnel qui évalue l'enfant (généralement un médecin, un psychologue ou un neuropsychologue) doit alors procéder à une collecte d'informations exhaustive, rappelle l'Ordre des psychologues du Québec. À l'aide de questionnaires, de rapports scolaires, mais aussi après des rencontres avec l'enfant et sa famille, ce professionnel dresse un portrait complet de l'enfant. Il s'intéresse notamment à son parcours depuis la naissance, à son fonctionnement à la maison et à l'école, à l'environnement dans lequel il évolue, à sa santé physique et psychologique et à son parcours scolaire. «Faire une bonne évaluation du TDA/H, ça prend du temps», souligne Christine Grou, présidente de l'Ordre des psychologues du Québec.

Éliminer d'autres causes

«Une évaluation complète nous permet d'être capable de départager si c'est un TDA/H ou autre chose, comme de l'anxiété ou un autre problème», précise Christine Grou, docteure en psychologie. Le professionnel de la santé doit aussi s'assurer que les difficultés de l'enfant ne sont pas provoquées par une situation particulière ou un événement. «Il faut comprendre qu'un trouble de l'attention, c'est quelque chose de développemental. Ça ne s'exprime pas dans un contexte particulier. Un enfant qui aurait un trouble d'attention juste à la maison, ce serait un peu curieux. Un enfant qui est hyperactif juste à l'école, ce serait aussi un peu curieux.»

De l'aide, peu importe le diagnostic

À la fin de cette grande évaluation, il est possible de déterminer s'il s'agit d'un TDA/H ou non. Peu importe le verdict, l'enfant devrait pouvoir bénéficier d'une aide appropriée, s'entendent tous les experts consultés. «On doit donner accès à un panier de services qui est plus large que la médication pour optimiser les effets du traitement. La médication est efficace pour beaucoup d'enfants, j'en suis convaincue, mais il faut les aider à gérer leur comportement, souligne Christine Grou. Il y a toutes sortes de stratégies qu'on peut mettre en place, mais ça prend des professionnels qualifiés.»

photo tirée du site web d'Annick Vincent

La Dre Annick Vincent