Je ne sais pas comment qualifier l'année qui se termine, gastronomiquement parlant.

Année molle ? Année verte ? Je dirais que ce fut l'an « sans ». Comme dans sans produits laitiers, sans gluten, sans viande, parfois sans goût aussi et sans folie. 

Ce fut aussi une année où, comme m'expliquait récemment le publicitaire Martin Beauvais d'Open, à Toronto, les milléniaux ont imposé leur art de se définir par la nourriture.

Autrefois, on fumait des cigarettes de certaines marques. On écoutait certaines musiques.

Aujourd'hui, on mange certains trucs. Du local, du végane, du pescatarien ou du flexitarien, certains tombent dans l'approche « kéto » même si elle ne fait pas l'unanimité chez les scientifiques, d'autres ne jurent que par l'élimination des légumes dits « nightshades », prétendument néfastes à certains égards.

Le monde alimentaire a parfois dérapé en 2018. Entendu pendant le temps des Fêtes : de la bûche aux navets. Vraiment ?

Même dans le monde des restaurants, un flou règne. Les grandes tables ne suscitent plus le même « buzz » qu'avant. Le grand restaurant danois Noma a déménagé, s'est redéfini, mais sans les acclamations de jadis. Le chef italien Massimo Bottura semble plus intéressé par sa lutte contre la pauvreté et le gaspillage alimentaire que ses trois étoiles. Et qui s'intéresse tant aux étoiles, de toute façon ?

Ici aussi, on dirait que c'est Instagram qui dirige le trafic vers des tables éphémères plutôt que vers les classiques. Même Un Po di Più, superbe table du Vieux-Montréal menée par les gens de grands succès comme Olive + Gourmando et Foxy, meilleur endroit en ville pour l'apéro à l'italienne - pensez prosciutto, aubergines marinées, oeufs mimosas aux anchois, focaccia divine - n'est pas suroccupé comme les deux autres. Pourquoi ? Pourtant, le décor signé Zébulon Perron, façon vieux café milanais ou turinois, est parfait.

On dirait qu'il y a un creux, un moment de repli. Même Colombe St-Pierre au Bic a fait une petite pause pour rénover.

Cette année, je me suis souvent retranchée chez mes valeurs sûres comme Vin Papillon. Ou encore le nouveau Vin mon Lapin, qui est quasi pareil, ouvert au printemps 2018, par les mêmes propriétaires, rue Saint-Zotique Est. On y mange des produits du Québec bien apprêtés, beaucoup de légumes, des poissons. Il faut essayer le caviar d'Abitibi en saison, le pain de farine de topinambour, avec margarine à l'huile de tournesol maison. Mais tant qu'à parler des gens derrière le Joe Beef, pourquoi ne pas souligner l'ouverture à l'automne de McKiernan, leur immense cafétéria dans un immeuble industriel retapé, sur le bord du canal de Lachine, ouvert en partenariat avec Derek Dammann de Maison publique. Salades, poulet rôti, viennoiseries maison pour le petit-déjeuner. Espace immense et lumineux.

Dans la même veine, je pourrais aussi parler du restaurant Elena, ouvert par l'équipe derrière le Nora Gray, dont tous les membres sont pas mal des anciens du Joe Beef. Là, dans ce lieu que j'ai découvert en mars dernier, on mange de la pizza surtout, préparée avec des ingrédients locaux, servie avec du vin choisi soigneusement pour les amateurs de produits non industriels. On est à la frontière ouest de Saint-Henri, dans un quartier où l'on ne s'attend pas encore à découvrir une table si savoureuse. Le Montréal gourmand prend de l'expansion géographique.

Mais 2018 a aussi été une année de jolies découvertes en sortant des sentiers battus.

Le Pastel, rue McGill dans le Vieux-Montréal, est une nouvelle table soignée, avec nappes blanches et menu dégustation - style mousse de foie gras aux noisettes avec pétales de fleur. Ici, on veut grimper les échelons et mettre Montréal sur la carte des grandes adresses. Je ne m'attendais pas à ce que les deux jeunes qui tiennent les lieux, Jason Morris et Kabir Kapoor - que l'on a connus au Fantôme dans Griffintown - se lancent un tel défi. C'est rare actuellement, en cette époque prisant plutôt les tapas et autres plats à partager servis en vrac. C'est actuellement l'une des tables les plus inspirantes de Montréal, avec le Mousso, bien entendu. (Même si, à mon grand désarroi, je n'ai pas encore eu l'occasion d'essayer le nouveau Petit Mousso, avec menu à la carte.)

Alma, rue Lajoie, ouvert à l'été, propose quant à lui une cuisine inspirée par la péninsule ibérique, surtout la Catalogne, servie avec des vins naturels triés sur le volet. Je me rappelle les piments shishitos grillés et les carottes rôties au miel, la burrata... Le tout sur la terrasse par une belle soirée d'automne. Un joli moment. Dommage qu'à l'intérieur, le niveau sonore soit si élevé. Je ne m'attendais pas à cette réjouissante surprise, dans un espace d'Outremont où les restaurants se sont longtemps succédé avec un succès mitigé.

Parmi mes belles surprises de l'année, il y en a une qui se trouve à Paris, mais je l'inclus ici, car il s'agit de la table de deux Montréalais : Etheliya Hananova et Noam Gedalof, qui ont ouvert le Comice, dans le 16e arrondissement. Leur restaurant a tout de suite récolté une étoile Michelin, moins d'un an après l'ouverture, parce qu'il est à la fois accessible, sans facétie, mais néanmoins impeccablement élégant, du pain maison aux tagliatelles aux coquillages et au beurre doux en passant par le carpaccio de daurade au yaourt au citron vert. À essayer en 2019.

Les nouveautés de 2018 qui m'ont agréablement surprise ou à noter :

Vin Mon Lapin

McKiernan

Elena

Pastel

Alma

Le Petit Mousso

Un Po di Più

Comice

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, archives LA PRESSE

Au Vin Mon Lapin, on mange des produits du Québec bien apprêtés, beaucoup de légumes, des poissons.