Le service et l'ambition de Milos Raonic. Le jeu complet et l'expérience de Roger Federer. L'enjeu du duel est plus grand que de déterminer qui disputera la finale de Wimbledon dimanche matin.

Le gazon de l'All England Club a toujours récompensé les puissants serveurs. Puis en 2002, la surface est devenue plus lente. Depuis, quatre des cinq champions (Lleyton Hewitt, Rafael Nadal, Novak Djokovic et Andy Murray) sont fondamentalement des joueurs qui misent sur leur agressivité en fond de terrain et non sur leur service pour l'emporter. L'autre, Roger Federer, titré à sept reprises, est l'un des meilleurs serveurs du circuit certes, mais son jeu est si complet qu'on a tendance à oublier la qualité de son offrande initiale.

D'où le dilemme illustré par le duel Federer-Raonic en demi-finale: on sait tous qu'il faut bien servir pour gagner Wimbledon, mais le vainqueur de Wimbledon doit-il être le meilleur serveur?

Si c'est le cas, Milos Raonic a justement le meilleur service du tennis. Depuis un an, il a considérablement amélioré les autres facettes de son jeu. Mais s'il gagne à Wimbledon ou même se rend en finale, la raison sera fort simple: il aura été celui parmi les 128 joueurs en lice qui a le mieux servi sur le gazon de l'All England Club. «J'espère que mon service sera meilleur que le sien, qu'il pourra me tirer des situations difficiles qui pourraient se présenter, a dit Raonic après sa victoire en quart de finale. Roger peut faire ce qu'il veut sur le terrain. Je suis un peu plus prévisible.»

De tous les joueurs depuis le début du tournoi, c'est Raonic qui a gagné le plus de points uniquement avec son service: 57% de ses points au service ne nécessitent pas d'autre coup de sa part pour gagner le point. Federer arrive au 10e rang du tournoi sur ce plan (45%). C'est aussi Raonic qui gagne le plus de points sur sa première balle (88%), Federer arrivant au 7e rang (83%).

Par contre, surprise, c'est Federer qui s'est fait briser le moins souvent - une seule petite fois - depuis le début du tournoi, contre deux fois pour Raonic. Résultat: attendez-vous à peu d'échanges mais beaucoup de jeux décisifs durant cette demi-finale.

Choc des générations

Le duel Federer-Raonic n'est pas seulement un affrontement de style de jeu. C'est aussi un choc générationnel entre un aspirant de 23 ans et un champion de 32 ans, tout comme l'autre demi-finale entre Novak Djokovic, 27 ans, et Grigor Dimitrov, 23 ans.

Le quatuor de tête du tennis masculin (le «Big 4» dans la langue de Shakespeare, puisqu'on est justement à Londres) regroupe deux générations, celle de Federer et celle de Nadal, Djokovic et Murray qui ont tous 27 ou 28 ans. À quatre, ils ont gagné 35 des 37 derniers tournois du Grand Chelem. Seul Juan Martin Del Potro (Internationaux des États-Unis en 2009) et Stan Wawrinka (Internationaux d'Australie en 2014) sont parvenus à briser cette hégémonie.

Avec Kei Nishikori, qui a été éliminé au quatrième tour par un grand serveur canadien, Raonic et Dimitrov font partie de cette nouvelle génération de jeunes joueurs début vingtaine qui veulent bousculer l'ordre établi du tennis mondial.

Selon Raonic, la victoire de Wawrinka, qui a battu Djokovic et Nadal en Australie, a été un élément déclencheur. «J'ai regardé ça à Tokyo durant la Coupe Davis et je me suis dit: "OK, il l'a fait, je peux rivaliser avec ce joueur, alors pourquoi ne puis-je pas le faire aussi?"»

Deux Grands Chelems plus tard, Raonic ne se pose plus la question, convaincu en ses moyens. Et pour la première fois, deux porte-étendards de la nouvelle génération ont l'occasion de faire leur marque en Grand Chelem en atteignant le carré d'as.

Mais les générations au pouvoir n'ont pas dit leur dernier mot. Federer tient à ce huitième titre à Wimbledon qui le ferait passer devant Pete Sampras comme le grand champion de l'All England Club. Djokovic veut renouer avec la victoire en Grand Chelem, lui qui n'a pas gagné de titre depuis l'Australie en 2013. Le choc des générations aujourd'hui sur le court central de l'All England Club s'annonce relevé.