La Coupe du monde de soccer, qui s'est amorcée hier au Brésil, est un grand événement sportif. Mais sur le terrain se dessinent souvent d'autres enjeux, d'ordre culturel, économique ou politique.

Certains pays en profitent pour régler symboliquement leurs différends diplomatiques. D'autres espèrent qu'une bonne performance de leur équipe atténuera les tensions nationales, ou que cette tribune leur permettra de briller un peu plus sur la scène internationale. Dans bien des cas, les matchs dépassent de loin le simple cadre du terrain de soccer.

«La Coupe du monde de football est le moment de représentation nationale à l'échelle internationale qui est le plus exacerbé, explique Alberto Vergara, chercheur postdoctoral à Harvard, récemment l'invité du CERIUM dans un séminaire sur le soccer et la politique. Pour la vie de millions de personnes et pour la vie politique sur la planète, je dirais que c'est plus important que d'être représenté à l'ONU. Ces 11 gars sur le terrain, c'est toute une nation qui se bat et qui joue. Si le contexte s'y prête et qu'il y a une charge émotionnelle, l'événement peut avoir une connotation politique.»

Cette «connotation politique» peut avoir des effets rassembleurs, souligne M. Vergara.

Plusieurs pays africains, ethniquement divisés, ont ainsi profité du soccer pour renforcer leur unité nationale.

Idem pour l'Espagne, dont la victoire en Coupe du monde 2010 a peut-être, temporairement, calmé les ardeurs indépendantistes des Basques et des Catalans.



Déclencheur

À l'autre extrême, la portée symbolique de certains matchs peut entraîner de véritables dommages collatéraux.

M. Vergara donne l'exemple de l'Argentine, dont la victoire finale en 1978 aurait permis à la junte militaire de prolonger sa dictature.

Ou celui, plus extrême, du Salvador et du Honduras, entrés en guerre pour de vrai, après un match pour la qualification au Mondial, en 1969. Dans ce cas cependant, la situation était déjà très tendue. «Le foot n'aura été qu'un déclencheur», admet M. Vergara.

Le Mondial 2014, au Brésil, ne manquera pas d'être à son tour un théâtre à saveur politique. Outre le pays hôte, qui doit d'ores et déjà calmer le jeu et apaiser la fureur de ses citoyens, il est à prévoir que de longues rivalités se régleront sur le terrain, et que certains pays européens profiteront de l'événement pour se refaire une beauté.

Argentine

Ils n'ont toujours pas digéré la perte des Malouines, aux mains de la Grande-Bretagne (plus de 900 morts en 1982). Il y a une semaine, dans un match hors concours contre la Slovénie, l'équipe argentine a déployé une banderole disant: «Les Malouines sont argentines», faisant une fois de plus référence à l'archipel de l'Atlantique Sud, que le pays du tango revendique toujours. L'Angleterre et l'Argentine ont croisé le fer trois fois au Mondial, en 1986 (l'année des deux buts incroyables de Maradona), 1998 et 2002. Elles pourraient s'affronter de nouveau cette année si elles se retrouvent en demi-finale.



Bosnie- Herzégovine

Indépendante depuis 1992, la Bosnie-Herzégovine participera pour la première fois de son histoire à la Coupe du monde. Plusieurs espèrent que cette grande première aidera le pays à surmonter les profondes divisions qui l'affligent depuis la guerre en ex-Yougoslavie, d'autant que l'équipe des Dragons serait un composite de Musulmans, de Serbes et de Croates. «Alors que la Bosnie-Herzégovine est aux prises avec une montagne de problèmes, il se peut que l'image positive renvoyée par le foot puisse lancer une nouvelle dynamique», a écrit récemment un journaliste bosniaque, dans un article relayé par le Courrier international.

Russie

En avril, deux sénateurs américains ont suggéré d'exclure la Russie de la Coupe du monde, en raison de son annexion de la Crimée. Les responsables de la FIFA (Fédération internationale de football association) ont décliné la propositon, arguant que «les équipes nationales ne sont pas responsables des démarches des hommes politiques». À noter que le Mondial 2018 doit aussi se tenir en Russie. On ne sait pas si les installations des JO de Sotchi seront recyclées en stades de soccer...



PHOTO YURI CORTEZ, ARCHIVES AFP

Le onze bosniaque à l'entraînement, au stade brésilien de Guarujá, le 7 juin.

Colombie

Le président colombien Juan Manuel Santos est un si grand amateur de soccer qu'il est allé en France au chevet du joueur étoile de la sélection, Radamel Falcao, blessé pendant un match pour Monaco. Ce beau geste (intéressé?) ne semble pas l'avoir aidé politiquement, puisque Santos a terminé deuxième au premier tour de l'élection présidentielle colombienne en mai, derrière son rival Oscar Ivan Zuluaga. Le second tour aura lieu dimanche, avec en toile de fond la Coupe du monde et les négociations de paix avec les FARC, un dossier pour lequel Zuluaga prône la ligne dure, contrairement au président sortant.

Belgique

Dans un pays politiquement morcelé, où la droite séparatiste gagne du terrain (33% pour l'Alliance néo-flamande aux dernières législatives), l'équipe belge pourrait être un puissant facteur de réconciliation entre Flamands et Wallons. À l'image de l'équipe «black-blanc-beur» qui représentait la France en 1998, les Diables rouges, que plusieurs voient comme l'une des surprises potentielles de ce tournoi sont, pour moitié, des immigrés de première ou seconde génération, dont certains, comme le capitaine Vincent Kompany, un fils de Congolais, militent ouvertement pour une Belgique unie et ouverte à l'immigration.

PHOTO DIRK WAEM, AFP/BELGA

Romelu Lukaku (à gauche) et Moussa Dembele, deux têtes d'affiche de la sélection belge multicolore.