L'entraîneur de Schalke 04 qui jette l'éponge pour surmenage, un joueur de Hanovre interné pour dépression: deux ans après le suicide du gardien international Robert Enke, le monde du soccer allemand tente avec difficulté de briser le tabou des blessures à l'âme.

Dans les infirmeries des 18 clubs de la Bundesliga, on soigne les ligaments déchirés, les chevilles foulées ou les ménisques fracturés. Mais très peu les angoisses de perdre qui empêchent de dormir, les idées noires qui font ruminer, les maux à l'âme qui brisent les plus belles carrières.

«Les clubs n'ont toujours pas pris conscience que les maladies psychiques sont guérissables comme les maladies corporelles», dénonce auprès de l'AFP Ulf Baranowsky, qui dirige le syndicat des joueurs. «Nous savons pourtant depuis des années que les joueurs subissent une énorme pression et que cela augmente du coup la probabilité qu'ils soient victimes de dépression ou de burnout».

Pourtant, la Bundesliga, ses divas en short et ses millions ont vécu une tragédie le 10 novembre 2009. Ce soir-là, Robert Enke, 32 ans, portier de Hanovre et pressenti pour garder les cages de la Mannschaft au Mondial 2010 en Afrique du Sud, se jette sous un train.

Signe de courage

Son épouse Teresa révèle alors que le joueur, ancien de Barcelone et du Benfica Lisbonne, souffre depuis des années de dépression et qu'il a cherché à le cacher coûte que coûte au grand public. Même les dirigeants de Hanovre ignoraient tout de ses errements intérieurs.

Ce suicide bouleverse l'Allemagne, qui prend soudainement conscience de la fragilité de ces héros qu'elle adule chaque week-end et dont les performances animent les discussions du lundi matin.

Début septembre, c'est à nouveau un gardien de Hanovre, Markus Miller, qui annonce publiquement qu'il souffre d'«épuisement mental» et qu'il va se faire interner. Cette décision du joueur de rendre publique sa maladie «est un grand signe de courage», salue le directeur du club, Martin Kind.

Quelques semaines plus tard, l'entraîneur de Schalke 04, Ralf Rangnick, «vieux routier» de la Bundesliga, annonce à la surprise générale sa démission, pour épuisement mental là aussi.

«Peut-être que la situation dans le monde du football a un peu changé après la mort de Robert Enke. Les faiblesses et les maladies sont peut-être plus tolérées. En tous cas, je l'espère», commente alors le président de la Fédération allemande de football (DFB), Theo Zwanziger.

Place de l'argent

Pourtant, explique Ulf Baranowsky, avouer une maladie psychique, «cela signifie souvent pour un joueur la fin de sa carrière». On veut des héros indestructibles pour briller dans les stades et engranger des millions en contrats publicitaires.

«Dans de nombreux cas, les considérations financières continuent de prendre le pas sur les questions morales», dénonce également le professeur Manfred Wegner, président d'un groupe de travail pour la psychologie dans le sport.

Or, «on oublie la plupart du temps que ce ne sont pas seulement les défaites mais aussi les succès qui peuvent provoquer des troubles à l'âme», explique l'ancien psychiatre d'Enke, Valentin Markser. Les jeunes joueurs en particulier ne sont pas préparés à «l'énorme intérêt du public, à la perte de la sphère privée et aux sommes d'argent importantes».

Le syndicat des joueurs souhaite rendre obligatoire pour tous les clubs de première et deuxième division l'embauche d'un psychologue sportif. «Un préparateur mental qui a fait un stage de quatre semaines en Inde, ça ne suffit pas», raille Ulf Baranowsky.