Skieur alpin le plus décoré de l'histoire canadienne, 
Erik Guay s'est joint à l'équipe de Débats 
pour faire part de ses observations au fil 
des deux semaines olympiques.

Pour être des Jeux, un athlète se donne corps et âme pendant quatre ans. Quatre années à s'entraîner, à participer à des compétitions, à penser et vivre pour son sport. Souvent loin de sa famille et loin de ses amis. Quatre années de sacrifice pour deux semaines olympiques. 

Alors, une fois arrivé sur place, il tient évidemment à remercier publiquement tous ceux qui l'ont appuyé. Ses parents, sa femme ou son mari, ses enfants, ses amis... 

Et ses commanditaires ? Non, ça, c'est interdit. Il ne peut même pas écrire un petit mot d'appréciation sur les médias sociaux à leur attention ou publier une photo en leur compagnie. 

La règle 40 de la Charte olympique est claire : « Sauf autorisation de la commission exécutive du CIO, aucun concurrent, officiel d'équipe ou autre membre du personnel d'équipe qui participe aux Jeux olympiques ne doit permettre que sa personne, son nom, son image ou ses performances sportives soient exploités à des fins publicitaires pendant les Jeux olympiques. » 

Une situation aberrante et triste à la fois :  les athlètes ne peuvent pas profiter de  la courte visibilité offerte lors de la diffusion planétaire des Jeux olympiques pour remercier ceux qui les aident financièrement à atteindre leur rêve olympique. 

Car seul le CIO peut toucher les revenus provenant des commanditaires, des commanditaires triés sur le volet pour l'occasion. 

En d'autres mots, si la grande qualité du spectacle qu'on nous présente depuis deux semaines est attribuable aux performances exceptionnelles et au travail acharné des athlètes, c'est le CIO qui récolte les fruits - lucratifs - de leurs exploits sportifs. 

*** 

Je suis chanceux. 

Dans mon sport, le ski alpin, j'ai pu trouver des commanditaires qui me paient assez bien pour gagner ma vie et m'occuper de ma famille. 

Mais ce n'est pas le cas pour tous les athlètes. Certains passent des heures à chercher et à rencontrer des commanditaires potentiels, à vendre leur performance, à se vendre eux-mêmes. D'autres - et ils sont nombreux - doivent en plus chercher un emploi pour vivre et payer les factures. 

Tout ça pour l'atteinte d'un rêve, le rêve olympique. 

Et qu'obtiennent-ils en retour de la part du CIO et du Comité olympique canadien pour tous ces efforts et sacrifices ? 

Peu. Trop peu. 

Car, voyez-vous, les programmes de soutien financier mis en place récompensent ceux qui obtiennent de « bons résultats » de même que ceux qui reviennent avec une médaille au cou. 

Le message envoyé aux athlètes est clair : l'argent disponible va au mérite et au résultat bien plus qu'à l'effort et au dépassement de soi. Comme si les uns étaient plus importants que les autres. 

*** 

Blessé, je ne suis pas à PyeongChang, comme vous le savez déjà. 

C'est donc de chez moi, à Mont-Tremblant, que je regarde les compétitions. Et je regarde presque tout... même les nombreuses publicités diffusées entre les différentes épreuves présentées. 

Des publicités produites par de grandes entreprises canadiennes, pétrolières, téléphoniques ou autres, et qui profitent de l'engouement entourant les Jeux pour vendre leurs produits et services. 

On voit donc, dans ces pubs, des skieurs, des patineurs, des planchistes ou encore des bobeurs pratiquer leur sport avec détermination et passion. 

Mais... qui sont ces athlètes au juste ? J'ai beau regarder attentivement, je ne les reconnais pas toujours. Et la raison est simple : de nombreuses publicités - heureusement, il y a des exceptions - mettent en scène des athlètes dits « génériques ». 

Des entreprises d'ici profitent donc des Jeux pour tourner des messages publicitaires à saveur olympique, mais n'y présentent pas le visage de vrais athlètes, des Canadiens qui s'investissent depuis des années dans leur sport et qui, en très grande majorité, aimeraient bien obtenir une visibilité additionnelle. 

J'ai donc un message pour vous, chers responsables publicitaires : si, dans quatre ans, vous avez encore l'intention de profiter des Jeux olympiques pour tourner une pub où l'on voit des images de bobsleigh ou de luge, par exemple, pouvez-vous vous assurer d'y inclure de vrais bobeurs ou lugeurs canadiens ? Même chose si votre publicité inclut des skieurs, des patineurs ou des planchistes. 

Ce faisant, vous donnerez un coup de pouce à des gars et des filles d'ici qui ont besoin d'un apport financier additionnel et vous démontrerez une belle sensibilité devant les sacrifices et les efforts qu'ils font, avant, pendant et après les Jeux. 

Je vous remercie à l'avance.

- Propos recueillis par Philippe Beauchemin, La Presse