Très bonne suggestion de l'éditeur du magazine Goalies World, Gilles Moffet, qui rappelle que Allaire a non seulement transformé le métier de gardien de but, mais aussi créé un poste qui n'existait pas lorsqu'il a fait son entrée dans le hockey professionnel à la demande de l'entraîneur Pierre Creamer.

Voici ce que j'écrivais sur lui en 2006.

La Presse

Sports, samedi 11 novembre 2006, p. S3

Rondelle libre

Roy et Allaire, la "révolution"

Brunet, Mathias

Le premier était un peu marginal parce qu'il était le seul à occuper le poste d'entraîneur des gardiens de but pour une équipe professionnelle. Le second était un oiseau rare lui aussi parce qu'il était l'un, sinon le seul gardien de but à se jeter systématiquement sur les genoux devants les tirs pour bloquer les rondelles. Ensemble, ils ont révolutionné le hockey...

François Allaire se souvient très bien de sa première rencontre avec ce grand gamin appelé Patrick Roy, déjà frondeur à 18 ans. Roy, repêché huit mois plus tôt par le Tricolore en juin 1984, n'avait pas su mener les Bisons de Granby en séries éliminatoires et le club-école du Canadien à Sherbrooke l'avait rappelé pour terminer la saison chez les pros en ce printemps 1985.

" Dès les premiers jours, j'ai dit à Pierre Creamer que l'organisation venait de changer complètement de dimension devant le filet, raconte Allaire au bout du fil. Il arrêtait tellement plus de rondelles que les autres à l'entraînement, c'était assez incroyable. Il n'avait pas vraiment de style, mais il était différent. Je savais que grâce à lui, le Canadien allait sauter quelques étapes. "

Allaire était surtout emballé parce qu'il voyait enfin un gardien ne pas hésiter à s'agenouiller pour arrêter les rondelles. " C'est ce que j'essayais d'enseigner depuis des années mais à l'époque, les gardiens de partout dans le monde avaient appris qu'il fallait rester debout et avancer devant le tireur. En plus, je n'avais pas encore rencontré avant lui un gardien qui avait le gabarit, la flexibilité et les qualités athlétiques pour mettre ma technique en application. Les gardiens de notre organisation, Greg Moffett, Paul Pageau, étaient petits, pas très flexibles et pas très bons patineurs. "

Malgré toutes les belles qualités du jeune Roy, Creamer n'est pas prêt à confier le filet en séries éliminatoires à cette recrue qui a disputé seulement un match en saison régulière. " On a commencé avec Moffett, se souvient Allaire. Quelques victoires plus tard, on apprend que son auxiliaire Paul Pageau doit rater la prochaine rencontre pour ne pas manquer l'accouchement de sa femme et Patrick se retrouve sur le banc. Le match commence et alors qu'on tire de l'arrière 2-0, Moffett doit quitter à cause d'un bris d'équipement. Rapidement, Patrick fait des arrêts qui fouettent l'équipe et c'est 2-2 quand j'entends la voix de Pierre Creamer dans les écouteurs alors que je me trouve sur la passerelle. Pierre me dit que Moffett est prêt à revenir et il me demande quoi faire. Je lui ai répondu de garder le kid dans le filet. Il n'a jamais quitté le filet par la suite et nous avons gagné la Coupe Calder... "

En septembre suivant, Roy s'installe à Montréal. Mais sans Allaire, du moins pas à temps plein. " Le poste d'entraîneur des gardiens n'existait pratiquement pas dans la Ligue nationale, de dire Allaire. J'étais le premier à temps plein dans la Ligue américaine parce que Pierre Creamer y croyait. J'allais faire des tours à Montréal à l'occasion parce que Jean Perron me l'avait demandé. "

Deux semaines avant la fin de la saison régulière, alors que Roy partage le travail avec Steve Penney et Doug Soetaert, Allaire reçoit un coup de fil inattendu de Perron. Il m'a dit: Tu montes en haut et tu finis la saison et les séries avec nous. Puis à mon arrivée, il m'a dit de travailler uniquement avec Patrick, pas avec les autres. Dans ma tête, il n'y avait plus de doute. Patrick allait commencer les séries, mais personne ne le savait dans les médias. "

Roy et Allaire continuent pendant ces deux semaines à travailler sur ce qu'ils tentaient de mettre en pratique lors de ses visites occasionnelles. " On a beaucoup travaillé son patin. Il pratiquait le papillon avec tellement de facilité qu'il nous fallait améliorer ses déplacements pour qu'il puisse faire face au tireur encore plus rapidement. On a alors commencé à faire aiguiser ses patins parce que ça lui permettait d'avoir une meilleure poussée et un freinage plus efficace. À un moment donné, il avait le même affutage que les patineurs artistiques, avec des lames concaves. Et il ne se faisait plus battre sur les passes. Il recevait souvent les tirs directement sur lui."

" Et ça, c'était une révolution, d'ajouter Allaire. Parce qu'à l'époque, les gardiens ne se déplaçaient pas. Les arrêts, c'était toujours le grand écart, l'arrêt du patin, de la mitaine, les gardiens se fiaient à leur instinct et ils étaient toujours en extension. Patrick n'a jamais eu peur du changement, même quelques jours avant les matchs importants. On essayait des choses et il était en mesure de les mettre en application le lendemain. Sa capacité d'apprentissage était phénoménale. J'ai toujours dit que Patrick avait une intelligence sportive supérieure à la moyenne des joueurs. "

Deux mois après l'arrivée d'Allaire à Montréal, Patrick Roy soulevait la Coupe Stanley à bout de bras. La première de quatre. Vingt ans plus tard, tous les gardiens de la LNH pratiquent désormais son style. " Les deux grands gardiens de l'époque, Mike Vernon et Patrick, avaient deux styles complètement différents. Vernon, c'était le prototype des années 1970, 1980. Patrick, lui, était déjà un gardien des années 2000. "

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