«Pouvez-vous écrire "meilleure équipe 1994" sur le chandail, et signer votre nom juste à côté?»

Darrin Fletcher s'est exécuté avec plaisir. Il voyait la centaine de partisans des Expos qui faisaient la file devant lui à l'ExposFest pour lui serrer la main, prendre une photo, recevoir un autographe. Les membres de l'édition 1994 des Expos attirent toujours autant les foules.

C'était la cohue également quelques mètres plus loin devant John Wetteland. Le lanceur étoile répondait à ses admirateurs en français, autant qu'il le pouvait. Il signait ses autographes à l'envers, technique assez inutile qu'il a pourtant maîtrisée avec les années.

Pour quelle raison?

«J'ai appris plusieurs choses», dit-il, sourire aux lèvres.

La relation entre Wetteland et Fletcher remonte à loin. Le lanceur et son receveur se sont connus à Vero Beach en 1987, dans la filiale de niveau A des Dodgers de Los Angeles. Fletcher croit bien que Wetteland a été son premier cochambreur.

La vie est ainsi faite que 31 ans plus tard, les deux hommes étaient côte à côté encore, réunis par le logo des Expos, mais surtout, par cette année magique de 1994. Avec 74 victoires et 40 défaites, les Expos avaient le meilleur dossier des majeures. Devant les Yankees de New York.

Puis, le 14 septembre, c'est l'impasse dans les négociations pour le renouvellement de la convention collective, la saison est annulée. Il n'y aura pas de Série mondiale. En avril 1995 commençait la «vente de feu», Ken Hill, Marquis Grissom et John Wetteland étaient échangés, Larry Walker partait pour le Colorado. Vous connaissez la suite.

«Nous étions probablement la meilleure équipe de l'histoire du baseball, dit Wetteland. Et je n'ai pas peur de le dire. Nous étions jeunes, mais nous battions tout le monde, sans vraiment savoir pourquoi! On a fini par comprendre à quel point nous étions bons.

«On me demande souvent qui aurait gagné la Série mondiale cette année-là, Yankees ou Expos? Chaque fois que je me retrouve dans un événement des Yankees et qu'on me pose la question, je réponds toujours: "Les Expos vous auraient botté le derrière, c'est sûr."»

Fletcher est moins catégorique. Il reconnaît toutefois que cette année était exceptionnelle à Montréal. D'autant plus que les Expos avaient envoyé cinq joueurs au match des Étoiles : Fletcher, Hill, Grissom, Moisés Alou et Wil Cordero.

«C'est mon plus beau souvenir des Expos. C'était un beau moment pour moi, mais aussi pour la ville. On était le premier sujet de discussion à Montréal et dans toute la ligue. Tout le monde disait à quel point on était bons, à quel point on était peut-être la meilleure équipe du baseball majeur. J'y repense souvent.»

Wetteland a été libéré de Montréal, il est devenu champion avec les Yankees en 1996, en plus d'être choisi joueur par excellence de la Série mondiale. Fletcher, lui, a vu la lente agonie de l'équipe, avant de se joindre aux Blue Jays de Toronto en 1997 comme joueur autonome.

«Il y a eu beaucoup de changements après la grève, explique le receveur. Les partisans étaient frustrés, on le sentait partout dans la ligue, on le sentait à Montréal. Le départ des Expos était inévitable. Le train quittait les rails. C'est dommage parce que si on avait pu garder l'équipe, aujourd'hui elle serait en santé. La situation économique du baseball majeur permettrait de faire vivre une équipe à Montréal. Ça aurait pu fonctionner même au Stade olympique.»

Le plus difficile à attraper?

En 2015, dans un quotidien de l'Illinois, Fletcher avait répondu ceci à la question «Qui est celui dont le lancer est le plus difficile à attraper?»: «Vous vous souvenez de John Wetteland?»

Son explication: «C'était difficile parce que quand il était plus jeune, sa courbe pouvait bondir au sol et c'était difficile de la bloquer. Il fallait se tenir prêt, mais c'était un plaisir d'être son receveur.»

Wetteland feint l'indignation. «Plusieurs frappeurs avaient de la difficulté à lire mes lancers. Je lui répondrai que s'il avait de la difficulté à attraper ma balle courbe, et il l'a attrapée pendant une bonne partie de ma vie, il ne me l'a jamais dit. Il ne me l'a jamais fait sentir. Son travail était de susciter la stabilité en moi.»

Wetteland avait encore des centaines d'autographes à distribuer, Fletcher aussi. Ils auront tout de même l'occasion de ressasser leurs vieux souvenirs de Montréal. D'autant plus que les deux joueurs, avec Larry Parrish, Ellis Valentine, Chris Speier, Ken Hill et José Vidro, seront honorés ce soir avant le match préparatoire entre les Cardinals de St. Louis  et les Blue Jays.

«Chaque fois qu'on se retrouve, c'est comme si on s'était vus la veille», lance Wetteland.

Photo Olivier Jean, La Presse

Darrin Fletcher