Tout en haut de la tour ou sur le bout du tremplin, elle était le plus souvent seule, tout en contrôle. Mais le plongeon, à ce niveau, est aussi un sport d'équipe. Derrière la plongeuse, il y a l'entraîneuse, le préparateur physique, la psychologue, la famille.

En pensant à ces gens, Émilie Heymans n'a pu contenir son émotion, hier matin, en annonçant sa retraite du sport auquel elle a consacré 20 ans de sa vie.

Ce n'est pas un hasard si l'événement, sans prétention, s'est déroulé au complexe sportif Claude-Robillard, à Montréal, là où tout a commencé. D'abord comme gymnaste, au club Gymnix. Puis comme plongeuse, au club CAMO, un sport qui semblait mieux adapté à sa grande taille.

Dès 2000, Heymans y a aussi connu l'un des deux plus beaux moments de sa carrière: sa qualification pour les Jeux olympiques de Sydney, après un duel ultraserré avec Myriam Boileau. Son rêve se concrétisait, mais ce n'était qu'un début. Elle a participé à quatre JO, montant chaque fois sur le podium, un exploit inédit en plongeon. «J'ai été très chanceuse d'avoir pu réaliser mon rêve à quatre reprises», a dit la retraitée de 31 ans.

C'est là que sa voix s'est étranglée, quand elle a voulu remercier les personnes «exceptionnelles» qui l'avaient accompagnée dans la dernière ligne droite: son entraîneuse Yihua Li, qui lui a remis les clés de sa maison de Pointe-Claire pour qu'elle puisse aller se reposer entre deux entraînements; son préparateur physique Alain Delorme, qui lui a donné la rapidité d'exécution nécessaire pour rivaliser avec les minuscules Chinoises; sa psychologue Penny Werthner, qui a fait d'elle une «championne de la concentration». Sans oublier ses parents Marie-Paule et Éric, eux-mêmes athlètes accomplis, qui ont accompagné leur fille du début à la fin, et les fédérations québécoise et canadienne, facilitateurs incontournables.

Médaillée d'argent à Sydney au 10 m synchro, Heymans s'est véritablement révélée quand elle a décroché le titre mondial à la tour aux Mondiaux de Barcelone, en 2003. Cette grande timide devenait soudainement un centre d'intérêt pour les médias, un rôle avec lequel elle a longtemps eu du mal à composer, à l'opposé d'Alexandre Despatie, son pendant masculin. Hier, elle semblait tout aise en passant d'un microphone à l'autre. «À la limite, j'aime presque ça donner des entrevues!» a-t-elle noté, amusée.

Un style unique

Cette attention accrue l'a desservie aux JO d'Athènes. Inscrite aux quatre épreuves, sa seule médaille de bronze au 10 m synchro avait représenté une déception. «J'ai choké!» a-t-elle crûment lâché, une déclaration qui lui a longtemps collé à la peau. Ce fut encore plus difficile l'été suivant aux Mondiaux de Montréal alors qu'elle s'est brouillée avec Michel Larouche, son entraîneur de l'époque.

Présent à l'annonce d'hier, Larouche a souligné la «discipline» et la «persévérance» de cette athlète dont il a bâti les fondations techniques. «Elle s'est prise en main et a fait ce qu'il faut pour atteindre ses objectifs, a-t-il souligné. C'est ce que je souhaite à tous les jeunes plongeurs.»

Accueillie par Li à Pointe-Claire, Heymans a patiemment construit ce qui allait devenir l'autre grand moment de sa carrière: sa médaille d'argent à la tour aux JO de Pékin, entre les deux Chinoises. Le directeur technique de Plongeon Canada, Mitch Geller, conserve un «souvenir indélébile» de son trois et demi renversé au Cube d'eau pékinois. «Ce sera difficile de ne plus voir ses plongeons, a-t-il dit. Elle avait ce style unique, spécial: grande, élégante, spectaculaire, précise. Aucun autre plongeur dans le monde ne possède ces attributs.»

Après ce triomphe, Heymans s'est reconvertie au tremplin de 3 mètres, un pari réussi qui lui a valu l'argent mondial, l'année suivante, et le bronze olympique en synchro, l'été dernier. «Émilie a tout vécu: les hauts, les bas et les bas plus profonds encore, a relevé Jennifer Abel, sa partenaire à Londres. Mais elle est toujours remontée pour revenir encore plus forte.»

À 31 ans, Heymans sentait qu'elle avait fait le tour du jardin et maximisé son potentiel. Elle compte dorénavant se réaliser dans son autre passion, la couture et la mode. Elle a déjà lancé sa propre ligne de maillots de bain, que le grand public pourra découvrir dans la nouvelle émission Le grand saut (V, fin février).

La famille du plongeon lui manquera, mais elle ne s'ennuiera pas une seconde d'«être mouillée et entrer à l'eau». «Surtout l'hiver, quand il fait froid...»

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Émilie Heymans en bref

Naissance : 14 décembre 1981 à Bruxelles

Son premier sport : la gymnastique

Ses débuts dans le plongeon : à 11 ans

Titres nationaux : 38

Médailles internationales : 84

Les principales :

- Or à la tour aux Mondiaux juniors de 1997

- Argent au 10 m synchro aux JO de Sydney en 2000 (avec Anne Montminy)

- Or à la tour aux Mondiaux de 2003

- Bronze au 10 m synchro aux JO d'Athènes en 2004 (avec Blythe Hartley)

- Argent au 10 m aux JO de Pékin en 2008

- Argent au 3 m aux Mondiaux de 2009

- Bronze au 3 m synchro aux JO de Londres en 2012 (avec Jennifer Abel)

- Seule plongeuse médaillée à quatre JO

- Seule athlète canadienne médaillée à quatre JO d'été consécutifs