Depuis les tours de magie de Nadia Comaneci aux Jeux olympiques de Montréal, la note de «10» n'a plus la même résonance en gymnastique. D'autant que la note «parfaite» a disparu de la scène internationale depuis la mise en place d'un nouveau code de pointage à partir de 2006.

L'ancien système est cependant resté en vigueur dans le circuit universitaire américain (NCAA), qui sait en exploiter la valeur symbolique. Les juges sont moins exigeants qu'au niveau international, mais l'attribution d'un «10» reste un moment spectaculaire.

La Montréalaise Nansy Damianova en sait quelque chose. À sa dernière compétition à domicile pour l'Université de l'Utah, le 16 mars, la gymnaste de 23 ans a reçu un «10» pour sa prestation au sol. Ils étaient 15224 spectateurs pour l'ovationner au Huntsman Center de Salt Lake City, à l'occasion de cette soirée spéciale destinée à honorer les athlètes de quatrième et dernière année comme elle.

Sa mère et sa cousine étaient dans la foule, de même que deux de ses entraîneurs au club Gymnix de Montréal, Katerine Dussault et Pierre Privé, venus la surprendre. Ils ont tous été présentés à l'écran géant, l'Université de l'Utah ne lésinant pas sur le cérémonial pour un sport suivi avec grand intérêt par la population locale. «Imaginez le Centre Bell, mais pour la gymnastique», fait Katerine Dussault, directrice technique du haut niveau au Gymnix, encore soufflée par l'ampleur de l'événement.

D'un naturel réservé, la vedette de cette «Senior Night» n'a pas raté ce qui était sans doute sa dernière occasion de décrocher la fameuse note parfaite. «Je ne suis pas très émotionnelle et je ne vais pas me mettre à pleurer, mais c'était vraiment spécial», a avoué Damianova lors d'une entrevue téléphonique depuis Salt Lake City, la semaine dernière. «Ça faisait longtemps que je voulais un 10 et j'étais très contente de finalement l'avoir à ma quatrième année.»

Au-delà de l'exploit personnel, Damianova était surtout heureuse de contribuer aux succès collectifs des «Utes», le véritable enjeu dans la NCAA. Après le titre régional remporté le 4 avril, l'Université de l'Utah, classée cinquième au pays, tentera de gagner les championnats nationaux de la NCAA, de vendredi à dimanche, à Birmingham en Alabama.

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Née à Paris, Nansy était encore bébé quand ses parents, des Bulgares, ont émigré à Montréal. Anciens athlètes - sa mère était dans l'équipe nationale d'aviron; son père, dans celle de taekwondo -, ils ont inscrit cette enfant très active au Gymnix quand elle avait deux ans et demi.

Grande travailleuse, Damianova avait un objectif en tête: les Jeux olympiques. Elle y est parvenue en 2008, non sans avoir surmonté les obstacles pour obtenir l'un des deux seuls postes disponibles pour le Canada. Troisième au début du processus, elle a, contre toute attente, terminé au premier rang.

«C'est ce genre d'athlète: toujours à monter la barre quand ça compte vraiment», souligne Dussault, son ancienne entraîneuse.

Après cette expérience à Pékin - elle a fini 38e des qualifications du concours général individuel -, Damianova a connu une sorte de blues post-olympique. Épuisée, elle a tenté de replonger pour 2012, mais n'arrivait pas à retrouver le niveau souhaité: «Les choses allaient plus ou moins bien, se rappelle-t-elle. J'avais pris du poids. Je n'étais plus aussi performante. Je n'étais pas très contente, mais je n'étais pas prête à arrêter la gymnastique.»

En 2010, encouragée par ses entraîneurs, elle a pris contact avec l'Université de l'Utah, qui l'avait déjà repérée cinq ou six ans plus tôt. Une porte était toujours ouverte, mais ce n'est pas sans une certaine appréhension que la jeune athlète s'est lancée. «J'avais un peu peur, explique-t-elle. J'allais être loin de mes parents, qui ne pourraient pas venir me voir très souvent, mais j'étais excitée de commencer quelque chose de neuf.»

Sur le plan sportif, elle faisait pratiquement une croix sur une carrière internationale. Les règlements de la NCAA limitent à 20 le nombre d'heures d'entraînement par semaine alors qu'elle avait l'habitude de passer de 32 à 35 heures au centre Claude-Robillard. En revanche, elle partait à la découverte d'une nouvelle langue et d'une autre façon d'aborder son sport, dans un riche programme considéré comme la Mecque de la gymnastique artistique dans la NCAA.

Elle s'offrait également une éducation universitaire tous frais payés. «C'est exceptionnel, ça représente quelque chose comme 30 000 à 40 000$ par année», calcule Katerine Dussault.

«Ç'a a vraiment été une belle expérience», constate Damianova, qui terminera l'an prochain un baccalauréat en communication avec mineure en affaires. «Si j'étais restée chez nous, je ne pense pas que j'aurais été aussi heureuse.»

Après 20 ans en gymnastique, les championnats de la NCAA représenteront sa toute dernière compétition. «C'est sûr que je serai très triste après, mais je n'y pense pas vraiment, affirme Damianova. Ça ne vaut pas la peine. J'ai des routines à faire et à préparer.» Perfectionniste jusqu'au bout.

Avant le Cirque...

Le Cirque du Soleil a longtemps été l'après-carrière par excellence pour les gymnastes québécoises. Dans un contexte où l'embauche est plus rare et les jeunes athlètes de plus en plus bilingues, l'option du circuit universitaire américain gagne en popularité.

En plus de Nansy Damianova, au moins trois gymnastes québécoises ont évolué dans la NCAA cette saison: Éliane Kulczyk (Brigham Young University), Camille Santerre-Gervais (Iowa State University) et Catherine Dion (University of Illinois at Chicago). «D'autres y sont allées auparavant et c'est de plus en plus commun», indique Marie-Hélène Claveau, directrice administrative et communications à la Fédération de gymnastique du Québec, elle-même une ancienne de Brigham Young.

Au Gymnix, la voie universitaire est privilégiée avant de tenter une carrière en cirque. «On pousse beaucoup là-dessus, dit la directrice technique Katerine Dussault. À partir de 15-16 ans, elles magasinent pour les universités. C'est un débouché très intéressant.»