Chaque semaine, les journalistes des sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence.

Participez à notre Mauvaise conduite de la semaine et envoyez-nous vos suggestions

Guillaume Lefrançois

Le 24 juillet 2004, un classique Red Sox-Yankees au Fenway Park. Bronson Arroyo atteint Alex Rodriguez sur une balle à effet dont il perd visiblement la maîtrise. A-Rod ne l’accepte pas et se met à haranguer le lanceur des Red Sox. Jason Varitek, le receveur, se lève. « Hey mec, on ne vise pas les frappeurs de ,260. » Rodriguez est sans doute blessé dans son amour-propre, et Varitek lui passe sa mitaine en plein visage. C’est ça, le « jeu » que j’aurais voulu réussir. Varitek est un des meilleurs receveurs de l’histoire pour diriger les lanceurs, mais il était aussi le cœur et l’âme des Red Sox des années 2000. Ici, il tient tête à une des grandes vedettes des ennemis jurés, dans un match haut en émotion, disputé neuf mois après l’élimination crève-cœur des Sox aux mains des Yankees. Varitek se fait expulser pour son geste.

« C’était une période critique pour nous. On avait besoin d’une étincelle et ç’a été Jason », explique Gabe Kapler, porte-couleurs des Red Sox à l’époque, dans un fascinant dossier de The Athletic. Les Red Sox accusent alors un retard de 8,5 matchs sur les Yankees, et de 3-0 dans ce duel. Ils finissent par l’emporter 11-10. Ils concluront la saison à trois matchs des Yankees, mais se reprendront en séries en les battant grâce à une fabuleuse remontée. Je ne suis pas un apôtre de la violence, je préfère mon hockey sans bagarres, mais il y a une différence entre un combat planifié et une pure démonstration d’émotion et de leadership.

Mathias Brunet

PHOTO JAMIE SABAU, ARCHIVES GETTY IMAGES

Maxime Talbot (# 25), des Penguins de Pittsburgh, marque un but à la deuxième période contre les Red Wings de Detroit lors du septième match de la finale de la Coupe Stanley, le 12 juin 2009.

Qui ne s’est pas surpris, gamin, à s’imaginer, lors d’un match épique de hockey bottine, marquer le but vainqueur lors d’un septième match de la finale de la Coupe Stanley ? Maxime Talbot symbolise parfaitement ce p’tit Québécois ordinaire dont le rêve consiste à changer la donne un soir de conquête. Et sa grande humilité et sa simplicité nous ont toujours permis de bien nous identifier à lui. En dépit d’une carrière prolifique dans les rangs juniors, il est entré dans la LNH par la petite porte. Modeste choix de 8e tour, au 234e rang, en 2002, Talbot a mis quelques années à s’établir chez les Penguins, après deux saisons dans la Ligue américaine. Talbot était un joueur de soutien à Pittsburgh, perdu parmi Crosby, Malkin, Letang, Staal, Gonchar, Guerin, Fleury et compagnie. Puis, en 2009, les Penguins et les puissants Red Wings de Detroit se retrouvent pour la deuxième année d’affilée en finale. Il y a un septième match. En état de grâce, Talbot marque les deux seuls buts des Penguins dans une victoire in extremis de 2-1. Il s’agira de la première Coupe Stanley de l’ère Crosby. J’aurais voulu être Maxime Talbot ce soir-là.

Miguel Bujold

PHOTO ANDY LYONS, ARCHIVES GETTY IMAGES

David Tyree (# 85), des Giants de New York, attrape le ballon lors du 42Super Bowl dans une manœuvre surnommée le helmet catch, le 3 février 2008.

David Tyree a joué 83 matchs en 7 saisons dans la NFL. Il a capté un total de 54 passes pour 650 verges de gains et a marqué 4 touchés. Mais les amateurs de football ayant un minimum de culture pour leur sport connaissent très bien cet ancien receveur. C’est bien sûr grâce à son incroyable attrapé lors du 42Super Bowl, surnommé le helmet catch. C’était le 3 février 2008. Il ne restait que quelques minutes à jouer au quatrième quart et les Giants de New York tentaient de revenir de l’arrière contre Tom Brady et les puissants Patriots de la Nouvelle-Angleterre, qui menaient 14-10. Après s’être défait d’un adversaire, Eli Manning a lancé une passe vers Tyree en désespoir de cause. L’ailier espacé a réussi à coincer le ballon contre son casque et on connait la suite. Que Tyree soit parvenu à empêcher le ballon de toucher au sol lorsqu’il est atterri sur son dos a fait de ce jeu l’un des plus improbables de l’histoire du sport. Plaxico Burress allait marquer un touché de 13 verges alors qu’il ne restait que 39 secondes au cadran et, pouf ! La saison parfaite des Patriots venait de s’envoler. C’était l’année du spygate et les dieux du ballon ovale venaient de parler.

Simon Drouin

PHOTO CARL YARBROUGH, ARCHIVES SPORTS ILLUSTRATED

Hermann Maier fait un vol plané à la descente des Jeux olympiques de Nagano, en février 1998.

Spontanément, l’un des innombrables buts d’anthologie de Mario Lemieux quand il « battait le gardien comme une mule de location », dixit le descripteur des matchs des Penguins Mike Lange. Tiens, un classique, celui en finale de la Coupe Stanley contre les North Stars où il déculotte Jon Casey. Comme je n’ai pas le talent de Mario, seulement son dos, je choisirai le vol plané d’Hermann Maier à la descente des Jeux olympiques de Nagano. Seulement le vol plané, pas l’atterrissage. Le ciel bleu, l’impression de voler, un moment capté par un seul photographe, celui de Sports Illustrated, installé dans une échelle. Après une interminable culbute à travers les filets, l’Herminator s’est relevé, de la neige plein la bouche, mais pas trop magané. Trois jours plus tard, il a gagné le super-G, avant de s’imposer encore en slalom géant. À part les Français, personne ne se souvient que Jean-Luc Crétier a remporté la descente à ces Jeux-là.

Katherine Harvey-Pinard

PHOTO FRANCK FIFE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le sprinteur canadien Andre De Grasse talonne Usain Bolt en demi-finale du 200 m aux Jeux olympiques de Rio, le 17 août 2016.

J’aurais aimé avoir le talent et le courage pour faire ce que le sprinteur canadien Andre De Grasse a fait en demi-finale du 200 m aux Jeux olympiques de Rio, en 2016 : défier Usain Bolt. Tout le monde se souvient de la remontée de De Grasse, qui est passé tout près de dépasser Bolt juste avant de traverser la ligne d’arrivée. Le Jamaïcain a tourné la tête et lancé un sourire au Canadien, l’air de dire « mon petit tannant, toi ! » (ou quelque chose du genre, vous voyez). De Grasse, lui, avait l’air de vivre le plus beau moment de sa vie. Imaginez être la personne qui défie l’homme le plus rapide au monde. Bon, d’accord, ce n’était pas la grande finale. Et ce n’était pas « nécessaire » – comme l’a dit Bolt à De Grasse après la course –, mais quand même, faut le faire ! Si ç’avait été moi, j’en parlerais encore chaque jour, même cinq ans plus tard.

Richard Labbé

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Guy Lafleur, du Canadien de Montréal, se prépare à marquer un important but au septième match de la demi-finale contre les Bruins de Boston, en mai 1979.

Le jeu que j’aurais aimé réussir est aussi l’un de mes premiers souvenirs sportifs, réussi par ma première idole sportive. Coïncidence ? Je ne pense pas. Tout ça pour dire que j’aurais aimé être Guy Lafleur sur la glace du Forum en mai 1979, tignasse au vent et tout, avec un retard de seulement un but en fin de ce septième match de la demi-finale contre les Bruins de Boston. Quand on revoit les images de ce célèbre match, on voit bien que c’est Guy qui veut la rondelle, parce qu’il a la profonde conviction qu’il va aller compter le gros but, un sentiment qui m’habite encore à ce jour quand je dispute un autre match important de hockey cosom. Ces images, je les connais par cœur. Et je crois même avoir copié mon élan de bâton sur celui de Guy. Avec un peu moins de succès, probablement.

Simon-Olivier Lorange

PHOTO ADRIAN DENNIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Équipe Canada célèbre un but à la première période d’un match contre les États-Unis aux Jeux olympiques de Salt Lake City, le 24 février 2002. Mario Lemieux (C) se prépare à enlacer Paul Kariya (# 9).

Jusqu’à quel point ne rien faire peut-il être élevé au rang de coup de génie ? Il n’y avait que Mario Lemieux pour nous plonger dans la confusion à ce sujet. Aux Jeux olympiques de Salt Lake City, le Canada affronte les États-Unis dans une finale fort attendue. Alors que les Américains sont en avance 1-0, le défenseur Chris Pronger envoie une rondelle vers le filet. Lemieux est la cible évidente. Or, le 66, dans un geste d’une fluidité indescriptible, fait mine d’étendre son bâton, mais se désiste et ouvre légèrement les jambes en se laissant glisser vers le filet. Le défenseur Aaron Miller, complètement hypnotisé par Lemieux, ne voit jamais Paul Kariya foncer sur l’aile gauche pour s’emparer du disque et l’envoyer derrière le gardien Mike Richter. Je me rappelle que, dans les heures et jours suivants, on se demandait ici et là si le jeu était fortuit ou délibéré. La réponse ne pourrait être plus claire pour moi. Si Mario Lemieux laisse passer la rondelle, c’est qu’il l’a décidé. Pour moi qui adore être récompensé à ne rien faire, c’est tout simplement prodigieux.

Alexandre Pratt

PHOTO FRANK LENNON, ARCHIVES GETTY IMAGES

Paul Henderson marque le but victorieux de la Série du siècle, face à l’URSS, en 1972.

Le but de Paul Henderson qui a procuré la victoire au Canada dans le huitième et dernier match de la Série du siècle, face à l’URSS, en 1972. Les Canadiens n’étaient qu’à 34 secondes de devoir partager les honneurs de la série avec les Soviétiques, qui étaient « venus pour apprendre ». Le but de Henderson fut le clou d’un affrontement qui a captivé deux nations pendant... 26 jours !

Jean-François Téotonio

Je dois avouer mon parti pris, ici. Je suis portugais d’origine. Je ne peux donc faire autrement que de vouloir me mettre dans les espadrilles d’Éder, à la 109minute de la finale de l’Euro 2016 contre la France. C’était 0-0, en prolongation. Éder, qui n’avait marqué que quatre fois pour sa sélection, a obtenu le ballon à 10 m de la surface de réparation. Il était entouré de cinq Français, qui le regardaient aller. Ils ne se doutaient de rien, venant de lui. Son tir, bas et éloigné, s’est frayé un chemin jusqu’au fond du filet. C’était 1-0, et le Portugal allait remporter le premier championnat majeur de son histoire. Éder, qui n’avait joué que 11 minutes durant tout le tournoi avant la finale, devenait le plus grand héros du pays. Oui, oui, même devant Cristiano Ronaldo, sorti blessé à la 25minute. Ce dernier a éclaté en sanglots – de joie – sur les lignes de côté. Imaginez provoquer cette réaction au plus grand joueur de tous les temps, en plus de délivrer toute une nation de la tension intenable d’une finale de compétition majeure. Le rêve de tout athlète, de la ligue de garage la plus amateur au sommet le plus haut de son sport.