Dans une grande salle rococo, sous un lustre offert au Canada par la Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale, un homme pleurait la mort de sa fille.

C'était hier à Rideau Hall, résidence du gouverneur général. La journée était consacrée au fléau des commotions cérébrales dans le sport et aux manières de protéger les jeunes athlètes au pays.

L'homme, Gordon Stringer, a perdu sa fille Rowan en 2013. Elle avait 17 ans. L'ado de la région d'Ottawa jouait au rugby. Elle a subi trois commotions en l'espace d'une semaine. Avant la dernière, celle qui lui a été fatale, elle avait écrit à une amie qu'elle allait participer au match même si elle avait mal à la tête.

«Rien ne m'arrêtera tant que je ne serai pas morte», avait-elle affirmé dans un message texte.

Elle est finalement décédée quatre jours après son dernier match. «Des décisions auraient pu être prises, des symptômes reconnus, mais il y a eu des lacunes», a lancé son père, hier.

L'homme a retenu ses sanglots. La grande pièce est restée silencieuse une dizaine de secondes. Il y avait là le gouverneur général, David Johnston, organisateur de la journée, il y avait la ministre fédérale du Sport, Carla Qualtrough, il y avait Eric Lindros, Rosie MacLennan, Étienne Boulay...

Tout au long de la conférence, athlètes et spécialistes ont discuté des pistes de solution pour enrayer ce fléau. Un fléau qui pourrait entacher notre époque comme l'ont fait à d'autres moments la cigarette, ou même l'esclavage, a fait valoir l'ancien gardien du Canadien Ken Dryden.

Au banc des accusés hier, une certaine culture macho du sport. Cette idée qu'il faut être plus fort que tout - plus fort même que les blessures à la tête.

«Très jeune, on nous apprend que le sport, c'est l'adversité. On nous apprend qu'il ne faut pas lâcher même si on a mal, même si on est blessé, a dit Étienne Boulay, ancien joueur des Alouettes qui estime avoir subi plus de 100 commotions. On apprend par le sport à parfois ne pas s'écouter. Parfois, c'est correct. Mais dans le cas des coups à la tête, ce n'est pas correct.»



Changer les mentalités

Boulay a participé à un panel avec Eric Lindros et l'ancien joueur de la Ligue canadienne de football (LCF) Matt Dunigan. Les trois athlètes à la retraite vivent encore avec les conséquences des commotions cérébrales.

«J'ai menti aux médecins pour pouvoir continuer à jouer. Je me suis mis à prendre des médicaments pour la douleur, j'ai développé une dépendance, raconte Boulay, 33 ans. Ç'a été un combat qui a duré plusieurs années. Il y a deux ans, j'ai essayé de me tuer. Maintenant ça va mieux. Mais ç'a été difficile.»

Que faire pour changer les mentalités, pour convaincre les jeunes que lorsqu'on subit une commotion, sortir du jeu est la chose à faire?

«C'est une mentalité qui nous est inculquée et qui dit: tu vas te battre, explique Matt Dunigan. Pour moi, un jeune qui lève la main pour dire "je suis blessé à la tête" n'est pas faible. Il est fort.» 

«Ça commence chez les parents, les entraîneurs, les coéquipiers qui rappellent aux jeunes l'importance de dire qu'ils sont blessés, que les choses ne tournent pas rond.»

Dunigan est peut-être le meilleur exemple de cette culture qui évolue. L'homme de 56 ans a grandi dans l'Ohio en admirant les Cowboys de Dallas. Il a eu une carrière de plus de 13 ans dans la LCF.

Il estime avoir subi des centaines de commotions cérébrales non diagnostiquées. «J'ai joué dans 166 matchs professionnels. Je peux vous dire qu'au minimum deux ou trois fois par match je voyais des étoiles, je voyais le terrain de travers ou je n'étais pas capable de bien entendre.»

Depuis sa retraite en 1996, il estime que les commotions l'ont changé. «C'est un combat intérieur», dit-il.

Quand son fils Dolan a eu 14 ans, il a subi sa troisième commotion cérébrale. Matt Dunigan a alors pris la plus dure décision de sa vie : il lui a interdit de jouer au football.

«Ça m'a brisé le coeur, parce que je n'avais pas été élevé comme ça. Je lui ai toujours dit qu'il pouvait faire tout ce qu'il voulait dans la vie. Mais là, ce n'était plus vrai.»



Photo François Roy, archives La Presse

Étienne Boulay estime avoir subi plus de 100 commotions cérébrales.

Des mesures qui se font attendre

Changer les mentalités est un long processus. Pour Eric Lindros, il s'agit d'une bataille à mener chez les enfants d'abord. Lindros n'a pas voulu critiquer la Ligue nationale de hockey, hier; celle-ci avait d'ailleurs dépêché deux représentants sur place pour la conférence.

«La culture doit changer. Moi, je ne m'attends pas à de grands changements dans le sport professionnel. Commençons avec les enfants et montons. Instruisons-les sur les dangers des commotions», a lancé Lindros, dont la carrière a été écourtée par les commotions cérébrales.

La journée d'hier ne manquait pas de bonnes intentions. Les solutions optimales, elles, se font toujours attendre. Tous s'entendent pour dire que les entraîneurs et les athlètes eux-mêmes ne sont pas les mieux placés pour appliquer un protocole de retour au jeu. Mais les organisations de sport mineur au pays n'ont bien souvent pas les moyens d'engager une personne neutre chargée de le faire.

Eric Lindros a appelé hier à la création d'un protocole pancanadien. Un groupe de travail fédéral et provincial sur les commotions cérébrales dans le sport devrait publier son rapport dans les prochaines semaines.

Au Québec, un groupe de travail avait été mandaté en janvier 2014 pour créer un plan d'action sur les commotions cérébrales. Le plan finalement adopté par le gouvernement libéral il y a un an avait déçu l'Association québécoise des neuropsychologues tant il manquait de fermeté.

Hier, le Dr Dave Ellemberg trouvait aussi que les moyens manquaient pour réussir à informer la population des dangers des commotions. «Il faudrait une véritable campagne de sensibilisation», a dit celui qui a pourtant travaillé de concert avec le gouvernement sur le plan d'action.

Mais même si les politiciens avancent à pas de tortue, les athlètes, eux, constatent que les mentalités évoluent bel et bien, qu'une certaine culture macho du sport s'effrite.

«La mentalité du dur à cuire dans le football, c'est une construction sociale qui a été introduite. Ça peut changer», a fait valoir la patineuse Kristina Groves.

«Regardez la ceinture de sécurité, ça a pris une génération pour l'adopter. Quand je fais des conférences dans les écoles, les jeunes me demandent pourquoi on ne porte pas de casque en longue piste, dit-elle. C'est une bonne question. Je ne me la posais pas avant. Mais les choses changent et les jeunes se posent ces questions.»

Photo Fred Chartrand, La Presse canadienne

Eric Lindros (hockey) et Rosie MacLennan (trampoline)