Une seule raison m'a conduit au Nid d'oiseau, hier soir, et ce n'était pas la finale du lancer du marteau féminin.

Je suis allé aux épreuves d'athlétisme dans l'espoir de voir Usain Bolt réussir le premier doublé 100-200 depuis Carl Lewis en 1984. En rêvant tout haut qu'il batte le record de 19,32 de Michael Johnson, vieux de 12 ans et longtemps jugé inaccessible.

Mes souhaits ont été exaucés. Alors, je serais bien malvenu de cracher dans la soupe en soulevant l'hypothèse du dopage. Dopé, Bolt? Je n'en sais rien. Ce que je sais, par contre, c'est que j'ai ressenti la décharge d'électricité qui a traversé le stade quand le géant jamaïcain a projeté son torse vers l'avant au moment de franchir la ligne d'arrivée. J'ai partagé la stupeur des dizaines de milliers de spectateurs quand son chrono dément est apparu au tableau indicateur: 19,30. J'étais là et j'avais l'impression de vivre quelque chose d'historique quand Bolt, à quelques dizaines de mètres de moi, s'est laissé choir sur la piste, les bras en croix. Sacré spectacle.

On parle de sport, pas de showbiz, dites-vous? D'accord. Faut-il s'étonner de ce 19,30? Pas vraiment. Pas si - c'est un gros si, j'en conviens - on accepte que Bolt ait pu fracasser sa propre marque mondiale sur 100 mètres tout en commençant à célébrer 20 mètres avant l'arrivée.

Hier, Bolt avait de toute évidence décidé que le moment était venu de frapper un grand coup sur sa distance favorite. À sa huitième course à Pékin (en incluant les rondes préliminaires du 100 et du 200), il a finalement mis la pédale au plancher. Il ne faut pas se surprendre que le résultat soit venu.

Je repense au commentaire de l'ancien champion de natation canadien Mark Tewksbury au sujet de Michael Phelps. «Un freak», disait-il la semaine dernière. Une aberration. Avec ses foulées interminables, Usain Bolt aussi est une aberration. «Pendant qu'il fait un pas, j'en fais deux et demi!» a lancé en riant, incrédule, l'ancien champion du monde du 100 m, Kim Collins.

C'est Shawn Crawford, médaillé d'argent de ce 200 m chaotique marqué par la disqualification de Churandy Martina et Wallace Spearmon, qui a le mieux résumé la situation. «Usain a fait pour l'athlétisme ce que Michael Phelps a fait pour la natation: il a haussé la barre pour nous tous.» Et il l'a fait dans une joie et une bonne humeur qui nous réconcilient presque avec les sprinters.

Des Usain Bolt, il s'en présente un par siècle, disait hier le Dr Herb Elliott, haut gradé de la Fédération jamaïcaine d'athlétisme. Espérons qu'il se trompe.