On pensait pourtant qu'on aurait droit à un peu de répit après deux années de pandémie souvent pénibles. Mais non, Vladimir Poutine avait d'autres idées.

À peine sortis — croit-on, espère-t-on — de la pandémie, voilà que la Russie envahit l'Ukraine. Et comme si ce n'était pas assez, M. Poutine nous annonce clairement qu'il a un doigt fermement appuyé sur le bouton nucléaire.

Et comme si ce n'était pas (encore) assez, le plus récent rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies (GIEC) prévenait lundi que le climat se dégradera de 127 façons dans les années à venir, dont certaines seront «potentiellement irréversibles», si le réchauffement climatique d'origine humaine n'est pas limité à quelques dixièmes de degré supplémentaires.

Cette accumulation de gouttes qui donnent l'impression que tout va mal en même temps pourrait finir par faire déborder le vase de certains.

«Le système de stress est fait pour être activé de façon aiguë et ponctuelle face à des situations bien précises, a rappelé la professeure Marie-France Marin, du département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal. Il n'est pas fait pour maintenir un rythme effréné pendant des mois, voire des années.»

Et depuis le début de la pandémie il y a deux ans, le système de stress a été sollicité plus souvent qu'à son tour.

Travail à distance, école à la maison, confinement, couvre-feu, masques, passeports vaccinaux, déconfinement, réouverture partielle, retour en classe, reconfinement, retour à la maison, refermeture... Le cycle bien connu de mesures sanitaires dont on avait parfois l'impression qu'elles changeaient chaque semaine, et toute l'imprévisibilité et toute l'incertitude qu'elles généraient, a miné la santé mentale de millions de gens, à un niveau ou à un autre.

C'est donc avec des défenses psychologiques grandement affaiblies que certains entendent maintenant que la pire guerre depuis la Deuxième Guerre mondiale fait rage en Europe; que le maître du Kremlin menace de nous renvoyer à l'âge de pierre; et que la Terre est de toute manière en très, très mauvaise santé.

«Il y en a qui sortent un petit peu plus amochés que d'autres (de la pandémie), donc il y en a qui ont la santé plus fragile au plan de la santé mentale, a dit Mme Marin. Certains ont déjà deux prises au bâton contre eux, si on veut.»

Les hormones de stress qui circulent dans l'organisme teintent notre perception du monde et des événements autour de nous, «donc on a un peu nos lunettes où on ne voit pas la vie en rose», ajoute-t-elle. Même une situation relativement neutre pourra être perçue de manière passablement négative sous l'effet de ces hormones.

S'enclenche alors une sorte de cercle vicieux: plus le stress est élevé, plus l'environnement nous semble stressant et menaçant, et plus le stress grimpe.

Une guerre est bien évidemment stressante en elle-même, mais au moins, tant qu'il s'agit d'une guerre conventionnelle, on peut croire qu'elle ne menace pas vraiment notre vie, surtout si elle se déroule loin de chez nous — mais uniquement s'il s'agit d'une guerre conventionnelle.

«Avec les armes nucléaires et tout, il y a énormément d'imprévisibilité là-dedans, a dit Mme Marin. La nouveauté, c'est qu'ils vont nous menacer, nous qui sommes loin. Et puis dans le fond, la pandémie, tout ce que ça fait, c'est que ça vient nous rendre plus fragiles.»

L'imprévisibilité et le manque de contrôle sont des facteurs de stress très importants; après en avoir reçu de triples doses pendant la pandémie, voilà que le conflit en Ukraine en rajoute.

«Certains, ça fait deux ans qu'ils sont sur un gros stress, a poursuivi Mme Marin. Donc clairement il commence à y avoir des effets qui se font sentir, puis ces effets-là ça peut se manifester par exemple par plus de symptômes dépressifs, plus d'anxiété. Ça ne veut pas dire qu'on souffre de dépression ou d'un trouble anxieux, ça peut seulement être une exacerbation, certaines manifestations liées aux troubles anxieux ou liées aux troubles dépressifs par exemple.»

C'est d'ailleurs le stress chronique, bien plus que le stress ponctuel, qui est associé à de multiples problèmes de santé, rappelle-t-elle. Si le cerveau est en mesure de s'habituer à la majorité des éléments stressants (pensons, par exemple, au stress d'une première journée de travail qui finit par s'estomper), il ne s'accoutumera jamais à d'autres, comme l'intimidation vécue par les jeunes.

Des études démontrent aussi que les gens sont de très mauvais juges du stress qu'ils ressentent, possiblement parce que l'image qu'on associe au stress est celle de l'individu déprimé, abattu, incapable de fonctionner, qui a «frappé un mur», alors que la réalité est bien différente.

«On se dit, 'tant que je n'ai pas l'air de ça, je ne suis pas stressé', a dit Mme Marin. Mais avant de taper dans le mur, il y a bien des signes qui sont là, et si on ne les écoute pas, on s'en va droit dans le mur, donc c'est important d'être à l'affût des signes qui sont là avant d'être en épuisement total.»

Le stress puise dans les réserves d'énergie de l'organisme, mais ces réserves «ne sont pas un puits sans fond», a-t-elle ajouté, et «c'est clair qu'à un moment donné, on va en manquer, alors c'est important d'être à l'écoute des signes, autant physiques que psychologiques».

«On commence à être plus irritables, on commence à oublier des petites choses, on a des colères spontanées, des choses comme ça, a-t-elle dit. Ce sont des signes psychologiques (...) qui nous parlent puis qui nous disent clairement que le stress est en train d'agir, puis qu'il faudrait prendre action avant d'escalader jusqu'au stress chronique.»