Difficile d’intégrer l’enseignement de l’empathie au programme déjà chargé des enseignants ? À Rimouski, l’apprentissage des compétences socioémotionnelles est au cœur du programme éducatif de l’école du Rocher–D’Auteuil. La Presse s’est entretenue avec Marie-Claire Roy, enseignante de 6e année et instigatrice du projet.

Le programme « Une école branchée-cœur » est né d’un projet de recherche-action que vous avez lancé dans le cadre de vos études de maîtrise. Comment cela se traduit-il concrètement ?

Nous nous basons sur le modèle du Collaborative for Academic, Social, and Emotional Learning (CASEL) pour qui l’empathie est un aspect parmi d’autres dans les compétences socioémotionnelles. Avant même d’être empathique, il faut apprendre à se connaître, à se maîtriser, à se motiver, à communiquer et à prendre des décisions responsables. C’est l’enseignement de ces compétences-là, liées au savoir-être, qui est intégré à notre pratique dans l’école. Ce n’est pas un cours. On a une activité obligatoire par mois, c’est dans notre projet éducatif, mais l’approche est intégrée au quotidien dans notre façon d’accompagner les élèves. On a cinq cœurs de différentes couleurs dans toutes les classes, au service de garde, pour faire appel à ces compétences du savoir-être qu’on veut développer. On a un code de connexion qui est enseigné aux enfants pour les aider à s’exprimer, à se réguler, à comprendre leurs besoins.

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-CLAIRE ROY

L’enseignante de 6e année Marie-Claire Roy, en compagnie d’élèves de l’école du Rocher–D’Auteuil

De quelle façon les pratiques enseignantes doivent-elles évoluer pour s’adapter à votre proposition ? Avez-vous rencontré de la résistance ?

C’est beaucoup la communication non violente de Marshall Rosenberg [un psychologue américain] qui a lancé mes travaux. Nos comportements, nos actions, nos paroles sont une tentative de répondre à un besoin. Parfois, on le fait très maladroitement parce qu’on n’a pas compris quel était notre besoin. Si je suis une enseignante qui a toujours été dans l’application de conséquences et de privilèges, je ne chercherai pas à savoir quelle est la fonction du comportement. C’est là où je vois un peu de résistance. C’est une zone de confort d’appliquer les privilèges ou les conséquences. Je le fais moi aussi. On parle d’anxiété beaucoup chez les jeunes, mais peut-être qu’ils ont besoin de comprendre comment ça fonctionne quand ils sont face à un stresseur et qu’est-ce qu’ils peuvent faire ? Certains profs aimeraient que ce soit donné à un spécialiste en éthique et culture religieuse. Mais, si on fait ça juste une heure par semaine, on n’y arrivera pas.

Est-ce que tous les enseignants de l’école ont embarqué dans le projet ?

Dans les premières années, je me faisais regarder comme un extraterrestre, mais quand la directrice a embarqué, qu’elle a compris l’approche, beaucoup de profs ont suivi. Il y a des défis avec le changement de personnel. Sur 14 profs, on est rendus à au moins 8 capables d’influencer et d’accueillir les petits pas que les autres font.

La surcharge de travail des enseignants est-elle un frein ?

Au départ, tout le monde disait : « Bon, une autre affaire. » Aujourd’hui, huit profs disent que ça allège leur tâche parce que les élèves ont un cadre clair et des outils visuels. Ça nous aide énormément pour la gestion de classe parce que les élèves deviennent autonomes sur le plan affectif.

Concrètement, quels sont les effets que vous avez pu constater sur les enfants et le climat dans l’école ?

C’est fou comment les jeunes sont plus conscients des autres. Ça se répercute aussi dans leur façon de communiquer. Ils vont être capables de nommer leurs besoins de façon plus adroite. Il y a un respect des règles. Ils savent que derrière la règle du silence, il y a un besoin de calme. On les voit aussi être capables de mieux gérer leurs conflits ou des émergences de conflit. Ce n’est pas magique. Ça dépend des cohortes et de l’adhérence des profs.

Avez-vous constaté un impact sur le harcèlement ?

On va traiter l’intimidation comme un besoin non comblé. Pas comme le méchant et le gentil, comme bien des profs font. Je ne dis pas qu’on fait les choses très différemment, mais on va au fond de la fonction du comportement. Ça fait qu’on n’a pas beaucoup d’intimidation, voire pas du tout.

Souhaiteriez-vous que d’autres écoles adoptent ce projet ?

C’est un rêve. Qu’on comprenne à quel point au Québec, on est assez intelligents, on a assez d’outils, d’ouverture et de créativité pour que ce soit inclus ministériellement, qu’on ait des gens pour former afin que le personnel soit autoportant. Les élèves en ont besoin, les parents aussi. Les gens du service de garde sont en survie. Alors oui, c’est un souhait pour les humains du système scolaire.

Les propos de cette entrevue ont été abrégés par souci de concision.