Leur quotidien peut parfois sembler tout droit sorti d’un scénario de film ou de série télé. Mais qu’elles évoquent Da-Xia Bernard ou Dexter Morgan, les affaires sur lesquelles elles enquêtent sont bien réelles. Portraits de trois femmes qui exercent un métier hors du commun au sein de la police.
Un dossier de Laila Maalouf

Celle qui traquait les preuves

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La caporale Geneviève Reid, dans le laboratoire de l’identité judiciaire de la Gendarme royale du Canada, à Westmount

La moindre découverte, pour la caporale Geneviève Reid, est une petite victoire. Penchée sur sa table de travail, dans le laboratoire de l’identité judiciaire de la Gendarmerie royale du Canada, à Westmount, l’experte nous montre comment elle procède à l’analyse des objets recueillis sur une scène de crime.

« C’est le fun d’être capable de dire : “Ah, ah ! Je l’ai pincé !” », dit-elle avec un sourire espiègle. La policière se rappelle sa fierté lorsqu’elle a réussi à découvrir les empreintes digitales d’un faussaire qui fabriquait des billets de 100 $ dans son appartement de Montréal. « Il n’y en avait pas beaucoup sur les papiers, mais il n’avait pas pensé à mettre des gants pour allumer son scanneur et pour brancher l’imprimante. Alors, tu te dis : “Je suis plus futée que toi !” », raconte-t-elle.

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La caporale Geneviève Reid

Quand elle n’est pas au laboratoire en train de procéder à des analyses, Geneviève Reid peut être appelée sur le terrain, où elle se rend munie d’un appareil photo à la fine pointe de la technologie, de ses pinceaux et de ses poudres dactyloscopiques. C’est cet aspect du métier qu’elle préfère. La recherche de preuves physiques, à la base de son travail : détecter, prélever, préserver. Empreintes digitales, traces de souliers, traces d’outils, traces de pneus… Le défi est de trouver l’indice ou « le morceau du casse-tête qui va permettre de mettre quelqu’un à cet endroit ». « Moi, je trouve ça très intéressant parce qu’après ça, on peut dire à l’enquêteur : “Celui qui vous a dit qu’il avait un alibi et qu’il n’était pas là, vérifiez parce qu’il a touché à la porte. Je ne peux pas dire quand, mais il l’a touchée, donc vous pouvez lui poser des questions !” »

Après avoir entamé sa carrière au sein de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) comme patrouilleuse à Moncton, au Nouveau-Brunswick, Geneviève Reid a travaillé aux enquêtes générales et aux crimes majeurs. Puis c’est au détour d’un croisement inattendu que la vocation s’est présentée il y a sept ans.

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La caporale Geneviève Reid

« J’ai eu la chance de travailler avec des gens de l’identité judiciaire sur une grande variété de scènes – des véhicules volés qui sont récupérés, des entrées par effraction, des homicides… J’aimais l’approche systématique, le décorticage de la scène qui nous rend capables de dire : “Il est entré par là, il a touché à ça, il est sorti par là…” Et en même temps, durant cette période-là, je travaillais beaucoup sur des dossiers de fraude et d’agressions où il y a deux versions de l’histoire et pas de preuves. »

L’identité judiciaire, c’est noir ou blanc. Il y a de la preuve physiqueou il n’y en a pas. Et quand il y en a, on l’analyse, on peut déterminerla source. Et moi, ça m’attirait parce que c’était dans le concretet que c’était une façon de contribuer au dossier en identifiant peut-être ou en éliminant un suspect. C’était quelque chose que je trouvais très intéressant du travail policier.

Geneviève Reid, caporale de la Gendarmerie royale du Canada

Une formation complexe

Cette passion est essentielle pour parvenir à traverser toutes les étapes d’une formation exigeante, offerte uniquement à des policiers d’expérience, qui requiert de suivre continuellement les avancées scientifiques dans le domaine et de renouveler sa certification tous les trois ans. Le cours de huit semaines se donne au Collège canadien de police, à Ottawa, et couvre tant la photographie que la biologie – notamment tout ce qui a trait aux empreintes digitales. Il s’accompagne aussi d’une évaluation de près de six mois sur le terrain. Puis le volet pratique peut durer jusqu’à deux ans et se conclut par une journée d’examen pour le moins intensive où le candidat doit répondre à 150 questions orales posées par trois spécialistes et participer à la simulation d’un procès où il devrait défendre ses conclusions en cour.

Il ne faudrait pourtant pas croire que toutes les journées de travail à l’identité judiciaire sont trépidantes. Il y a aussi « tout le côté administratif – celui qu’on ne voit pas dans la brochure de recrutement ! », dit Geneviève Reid, c’est-à-dire l’archivage de toutes les notes d’analyse et des photos, un travail à l’ordinateur qui occupe bien des heures.

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La caporale Geneviève Reid

« Ça ne ferait pas de la bonne télé de montrer cet aspect de notre travail », ironise la caporale, qui a plutôt tendance à éviter les séries policières quand elle veut décrocher. « C’est sûr que quand je regarde une série et il y en a un dans son bunny suit, tout protégé, et l’autre, à côté, pas du tout, ça accroche. Mais il y a des choses qui sont vraies aussi. Des fois, ils nomment des vrais produits chimiques. Dexter, par exemple, [le personnage de la série du même nom], utilisait du luminol pour faire apparaître des traces de sang. C’est un vrai produit qu’on utilise, mais il faut qu’il fasse noir. Il ne peut pas juste asperger ça sur son bateau ! Mais c’est comme tout, il ne faut pas regarder une émission médicale avec un médecin ou une infirmière », dit-elle en riant.

Elle prend quand même plaisir à répondre aux questions de ses parents qui, eux, se montrent toujours curieux par rapport à son métier. Par contre, quand on lui demande si elle n’aurait pas des histoires intéressantes à raconter… « Alors, je vais fouiller dans les archives ! »

Faire parler la vérité

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Largement exploité dans la fiction, le test du polygraphe est beaucoup plus complexe dans la vraie vie.

Ses débuts dans la police, Mylène Lamirande s’en souvient comme si c’était hier. « Il y avait de l’action, sur le Plateau Mont-Royal », dit celle qui a fait ses premières armes au poste de quartier du parc La Fontaine.

Le moins qu’elle puisse dire, c’est que son intégration au sein du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) s’est faite rapidement. Elle avait à peine deux mois de service à la ceinture lorsqu’elle s’est retrouvée au centre-ville de Montréal, ce fameux soir de juin 1993 qui a vu le Canadien remporter la Coupe Stanley. « J’ai encore la cicatrice qui en témoigne. J’avais été blessée à la cuisse, au grand dam de ma mère qui m’a dit : “Je le savais qu’il fallait pas que tu sois policière !” »

Cette nuit de petite bruine où « on ne se voyait même pas les bottines de police », où elle est restée plus de deux heures debout sans savoir qu’elle avait été blessée par un projectile, probablement une bouteille de bière, et qu’elle aurait besoin de 12 points de suture, est restée gravée dans sa mémoire. « Ils disent qu’une foule, dans une émeute, a un âge mental d’à peu près 5 ans, et je l’ai vécu live. Donc, le Canadien, je suis bien contente s’ils font les séries, mais qu’ils gagnent… »

L’évènement ne l’a assurément pas découragée de poursuivre sa carrière dans la police, même si, 28 ans plus tard, elle n’aime toujours pas les foules, confie celle qui est aujourd’hui polygraphiste au SPVM.

« Une chasse gardée »

Pour Mylène Lamirande, le travail de terrain appartient désormais au passé. Depuis près de 10 ans, son partenaire principal est un polygraphe – ou ce qu’on appelle communément un détecteur de mensonges. C’est la première fois qu’elle accepte de parler de son métier si peu commun, et elle préfère demeurer en partie dans l’ombre. Parce que la polygraphie, « c’est un peu une chasse gardée » ; « pour protéger le travail », dit-elle.

Largement exploité dans la fiction, le test du polygraphe est beaucoup plus complexe en réalité que ce qu’on représente dans les films ou les séries. La policière rappelle avec un sourire cette scène avec Robert De Niro, dans Meet the Parents, où il fait passer un tel test à son futur gendre, qui dure à peine cinq minutes – alors qu’en réalité, il faut de trois à quatre heures pour en faire un. Même dans District 31, ajoute-t-elle, les tests ne sont pas tout à fait conformes à la réalité, puisque les personnes interrogées bougent et ne suivent pas les consignes.

Suivre son intuition

Mylène Lamirande travaillait à la division des agressions sexuelles, aux côtés d’enquêteurs chevronnés, lorsqu’elle s’est fait remarquer pour ses qualités d’intervieweuse et qu’on lui a suggéré la polygraphie – un métier rare qui n’est pas donné à tous.

Au SPVM, ils ne sont que deux à se partager les dossiers. Après une formation de trois mois au Collège canadien de police, à Ottawa, il faut réussir une batterie de tests – 25 en tout – pour obtenir son certificat. Mais il faut aussi arriver avec un bagage d’expérience assez costaud, à l’image de celui que Mylène Lamirande a acquis au fil des ans en travaillant d’abord comme patrouilleuse, notamment dans les quartiers centraux puis dans l’ouest de l’île. Après seulement sept ans de service dans la police à « faire les bars dans le West Island » et à travailler sur des dossiers d’agences d’escortes, de prostitution dans des salons de massage et des maisons de débauche où il y avait de l’exploitation de femmes et de personnes mineures, elle réussissait déjà ses examens de promotion et devenait sergente-détective.

J’ai déjà entendu dire qu’il y avait des femmes qui étaient plus frileuses, des fois, qui ne sortaient pas des véhicules de police parce qu’il y avait une bagarre, mais moi, je me suis toujours dit : “Mylène, t’es là pour faire la job.” Oui, on a des limites [en tant que femme], mais je dirais que la parole calme souvent les esprits ; c’est ce qui m’a beaucoup aidée au cours de ma carrière.

Mylène Lamirande, polygraphiste au SPVM

Pour réussir dans cette spécialité, il faut être « perspicace ». « Il faut que tu pousses un peu pour essayer de connaître la vérité, chercher pourquoi l’évènement s’est passé et qu’est-ce qui l’a amené… », dit-elle. Et aussi, savoir suivre son intuition, faire preuve d’empathie, sans laisser poindre le moindre jugement, afin de tout mettre en œuvre pour que la personne qui est branchée à l’appareil et interrogée se sente à l’aise pour se confier – car n’importe qui serait nerveux dans cette chaise, souligne-t-elle.

« Ce n’est pas une statistique arrêtée, mais, par expérience, à peu près les trois quarts des gens n’ont rien à se reprocher. Si je peux prouver que la personne ne l’a pas fait et l’aider, tant mieux. Il y a beaucoup de dossiers intrafamiliaux, d’aliénation parentale, de dossiers avec la DPJ he said, she said où on n’a pas nécessairement de preuves physiques, d’ADN », précise-t-elle en notant qu’environ 60 % des dossiers sur lesquels elle travaille sont « en matière sexuelle ».

Si Mylène Lamirande est entrée dans la police, c’est avant tout pour aider les victimes d’injustices. « Je n’ai jamais été une fervente de donner des billets, au contraire ; quand j’étais sur la patrouille et que je voyais une prostituée, je me disais : “Elle va dormir où, ce soir ?” »

En permettant à des gens qui sont accusés de prouver, avec un test polygraphique, qu’ils n’ont rien à se reprocher, elle sent qu’encore une fois, elle peut poursuivre sa mission.

« Je n’avais pas les nerfs assez solides pour être policière »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Stéphanie Desjardins est analyste en renseignement criminel à la Sûreté du Québec.

Stéphanie Desjardins est analyste en renseignement criminel à la Sûreté du Québec ; elle est en quelque sorte l’incarnation bien réelle de Da-Xia Bernard, le personnage de District 31 qui a plus d’une fois soufflé les téléspectateurs par son regard affûté sur des dossiers complexes.

Si elle ne rougit plus désormais de la comparaison qu’on accole à son rôle, elle convient que celui de son pendant fictionnel est largement romancé. « Dans l’émission, il y a comme une espèce d’autorité qu’on lui accorde que nous, on n’a pas. Ce n’est pas vrai qu’on va dire à un enquêteur : “Sors-moi ton mandat et je vais te donner tes réponses.” Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne », dit-elle en riant. Ce serait plutôt l’inverse, en effet : « L’enquêteur va faire ses démarches, va recueillir les informations, et une fois qu’on a reçu tout le nécessaire, on va faire l’analyse de toutes sortes de données. »

Tout comme Da-Xia Bernard, Stéphanie Desjardins est une civile. Et c’est un peu par hasard qu’elle a découvert son métier. Elle étudiait en psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières, sans être certaine de vouloir suivre cette voie, lorsqu’un cours complémentaire à l’Université de Montréal – Analyse criminologique en enquête policière – lui a « donné la piqûre ». « La chargée de cours était analyste pour un corps de police et elle nous a raconté son métier avec tellement de passion », se souvient la jeune femme, qui a dès lors redirigé ses études en criminologie en visant cet objectif précis. Elle est entrée à la Sûreté du Québec en 2014 et occupe toujours la même chaise – même si celle-ci n’est plus du tout à la même place.

Au-delà de la place de la femme dans la police, il y a aussi la place de la civile dans la police, notamment au niveau des enquêtes. Entre le moment où j’ai été embauchée et aujourd’hui, on voit que notre rôle a encore plus de crédibilité.

Stéphanie Desjardins, analyste en renseignement criminel à la Sûreté du Québec

Les analystes ne sont effectivement plus installés dans un petit bureau à l’écart comme à ses débuts, à recevoir leurs mandats par courriel ; ils sont désormais assis au cœur de l’unité d’enquête. « On partage avec les enquêteurs, ils sont ouverts à nos recommandations, on est inclus dans les meetings… On a pris une place plus importante à travers les années », dit celle qui fait déjà figure de vétérane.

Étant donné qu’elle se concentre sur l’analyse tactique, elle répond aux demandes de dossiers d’enquêtes en cours – dont elle ne peut évidemment rien divulguer. Les journées se suivent, mais ne se ressemblent pas, dit-elle, même si elles se passent essentiellement devant l’écran de son ordinateur.

La passion

La Sûreté du Québec emploie actuellement une quarantaine d’analystes divers à travers le Québec, et de ce nombre, environ 70 % sont des femmes. « Je savais que je n’avais pas les nerfs assez solides pour être policière – je suis une anxieuse, une peureuse dans l’âme –, mais j’avais quand même envie de travailler au niveau de la sécurité publique, de la justice pour les victimes. »

Elle précise que des études en criminologie ne sont pas un prérequis, puisqu’une grande partie du métier s’apprend sur place, mais que son travail est néanmoins très « collé » à la recherche universitaire.

À la manière d’un casse-tête, elle travaille à partir des données recueillies pour les trier, trouver des similarités ou des contradictions. Il y a quelques années, elle s’est penchée sur une série de crimes contre la propriété. Les enquêteurs avaient une dizaine de dossiers qui étaient semblables en apparence, mais ils ne disposaient pas de preuves directes pour chacun des évènements. Elle a réuni l’ensemble des dossiers et tous les éléments qui avaient été récoltés par les enquêteurs, puis entrepris de les classer par catégories pour faire ressortir les ressemblances – descriptions vestimentaires, modus operandi… – de manière très visuelle, à l’aide d’un tableau, ce qui a permis de mener à l’arrestation et à l’accusation des suspects « par actes similaires » dans une grande majorité des dossiers.

« C’est un volet que j’adore ; c’est de l’analyse criminologique à l’état pur. C’est dire : on va se reculer du dossier et on va aller chercher tout ce dont on a besoin. Ça m’avait pris un mois faire ça, mais c’était nécessaire dans ce dossier. »

Ce métier qui la passionne, elle n’est pas près de le quitter. Il serait même responsable du fait qu’elle est captivée aujourd’hui par les séries de profil criminel comme Mindhunter, Unabomber, La preuve ou encore Coroner, pour lesquelles elle n’aurait probablement eu aucun intérêt avant son entrée à la Sûreté du Québec, note-t-elle. « Aujourd’hui, avec ce que je sais, mon bagage, mon quotidien, c’est le genre de séries qui m’interpelle. »

À mesure que les crimes – et les enquêtes – se complexifient, l’analyse des renseignements se développe. « Notre créneau s’élargit », dit-elle, ouvrant la voie à de nouveaux défis. Et les ouvertures, elles, se font de plus en plus nombreuses, ajoute-t-elle, faisant un clin d’œil au besoin grandissant de relève.