Malgré le déconfinement et les campagnes de vaccination menées tambour battant qui laissent poindre la venue de jours meilleurs pour les auberges de jeunesse, l’industrie « se porte assez mal »

Si la pandémie a porté un coup de massue à toute l’industrie touristique, les auberges de jeunesse ont subi un sort particulièrement rude. Des établissements se sont reconvertis, certains ont à peine pu garder la tête hors de l’eau, tandis que de nombreux autres ont fermé. Retour sur une année d’épreuves et de leçons.

L’Auberge du Plateau Mont-Royal, rue Sherbrooke, n’est pas qu’un endroit où passer la nuit lors d’une visite à Montréal. Depuis peu, on y trouve également la terrasse Teranga, sur son toit. Un endroit où se rassembler, profiter d’un repas, organiser des évènements. Bientôt, ce sera aussi un café et une résidence pour artistes. Coumba Ngom, copropriétaire de l’établissement, pense même y ouvrir une épicerie fine. Se contenter de la vocation d’auberge n’est plus une option pour que l’établissement survive, affirme-t-elle.

Le retour à la normale n’est pas partout pareil pour les auberges de jeunesse. Alors que l’Auberge du Plateau est en pleine reconversion, l’Auberge des Balcons de Baie-Saint-Paul atteint presque son taux d’occupation maximum ces derniers temps. À l’auberge Magog-Orford, « ça commence plus tranquillement », comme un peu partout dans les Cantons-de-l’Est, nous explique la directrice générale, Romy Quenneville-Girard.

On note aussi un « retour graduel » dans les auberges de Hostelling International (HI) Canada, dont les sept établissements du Québec ont rouvert. « Les perspectives sont bonnes, avec l’assouplissement des mesures combiné à la vaccination, affirme Kathleen Murphy, directrice marketing chez HI Canada. Les auberges en régions ont manifestement la cote ! Il y a une hausse de la demande pour les chambres privées, mais toutes nos auberges peuvent y répondre. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Kathleen Murphy, directrice marketing chez Hostelling International (HI) Canada, et Nicolas Lemaire, directeur de HI Montréal

Dans un sondage mené en mai et en juin par l’entreprise, 70 % de la clientèle des auberges de jeunesse ont déclaré « probable » ou « très probable » qu’ils voyagent cette année. Quelque 66 % des répondants prévoyaient se loger dans une auberge de jeunesse au pays. « Il y a un sentiment de confort avec les auberges de jeunesse, remarque Kathleen Murphy. On remarque aussi que beaucoup de Canadiens veulent découvrir leur cour arrière. »

Une vision erronée de l’auberge moderne

« La dernière année a été vraiment particulière, inhabituelle, inédite… On s’est retrouvés devant un néant du jour au lendemain. » L’Auberge du Plateau, gérée par Coumba Ngom et son conjoint, grouillait d’employés prêts à se lancer dans la saison estivale lorsque la pandémie a frappé.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Coumba Ngom

On est devenus un lieu de quarantaine pour notre dizaine d’employés et pour les clients. On allait faire les courses pour tout le monde. Chaque fois que quelqu’un toussait, il fallait l’enfermer dans sa chambre. On est devenus une vraie auberge espagnole !

Coumba Ngom, copropriétaire de l’Auberge du Plateau Mont-Royal

Mais « le couperet final » est arrivé à l’automne. Le faible achalandage a forcé plusieurs hôtels à interrompre momentanément leurs activités, mais pour les auberges de jeunesse, ce n’était pas un choix : la Santé publique a ordonné leur fermeture. Cette décision a laissé les gestionnaires pantois. « Je pense qu’il y avait une incompréhension de ce qu’est une auberge de jeunesse en 2021. Leur vision était plus celle d’une auberge des années 1970 », note Hugo Leblanc-Dufour, copropriétaire de l’Auberge des Balcons de Baie-Saint-Paul.

« On pense encore que les auberges sont des places de partys, mais ce n’est pas ça, affirme Romy Quenneville-Girard, de l’auberge Magog-Orford. Nous, on a 16 chambres, dont 14 privées, on a beaucoup de familles, de couples, de gens seuls, on a un couvre-feu. »

Les auberges ont fait pression auprès des autorités en début d’année pour que soit annulé le décret qui les forçait à rester fermées.

Tout le monde se renvoyait la balle et ce n’était la faute de personne. Personne ne trouvait de sens et personne ne pouvait nous expliquer les raisons de la décision.

Hugo Leblanc-Dufour, copropriétaire de l’Auberge des Balcons de Baie-Saint-Paul

« [Au printemps] on a pu parler avec quelqu’un de pertinent [au ministère du Tourisme] et passer notre message, explique M. Leblanc-Dufour. On a rectifié la façon dont ils voyaient les auberges et le Ministère a mené notre dossier sur la table avec la Santé publique. Ça a pris du temps, mais dans le plan de déconfinement, on nous a finalement exclus des restrictions. »

S’adresser aux gens du coin

Cette victoire a été l’impulsion nécessaire pour commencer à remonter la pente. Mais les propriétaires ne sont pas au bout de leurs peines pour autant. « Je pense à me reconvertir, au cas où », confie Coumba Ngom, de l’Auberge du Plateau. « Si l’hécatombe arrive, ce ne sera pas maintenant, mais dans un an », dit-elle, avouant que la crainte de devoir fermer ne disparaîtra pas avant « des années ».

Située en plein cœur de la ville, l’Auberge du Plateau, comme les autres établissements des centres urbains, a vu une baisse de fréquentation encore plus draconienne puisqu’elle dépend de la clientèle internationale. « On sait que ça ne peut pas continuer comme ça, dit Coumba Ngom. Il a fallu une pandémie pour voir que ce n’est pas une stratégie gagnante. On n’est pas connus des Montréalais. »

C’est donc sur cela qu’elle compte désormais miser : le local. Avec son café, ses lieux de résidence pour artistes et (éventuellement) son épicerie, l’Auberge du Plateau pourrait devenir un lieu où même les Montréalais se rendent, « quelque chose de territorial ».

Malgré « l’injustice » du décret de l’automne, le soutien financier des deux ordres gouvernementaux a été un radeau de sauvetage vital, dit Romy Queneville-Girard. Tous les gestionnaires interrogés par La Presse en conviennent, même si on soulève tout de même qu’aucune aide n’était destinée expressément à leurs établissements.

Au ministère du Tourisme, on estime que « parmi les différents secteurs de l’hébergement touristique, les auberges de jeunesse ont été dans les plus soutenus », puisque divers programmes leur étaient accessibles depuis le début de la pandémie.

Une industrie « qui se porte assez mal »

Difficile d’évaluer combien d’auberges de jeunesse au Québec n’ont pas survécu à la pandémie. En plein cœur de la crise, Coumba Ngom a contacté tous les gestionnaires d’auberge de son calepin. Pour prendre le pouls du secteur, pour créer un réseau de soutien et pour trouver des solutions.

« Ce qu’on a vécu, d’autres l’ont vécu, dit-elle. Certains ont changé de domaine. J’en connais un sur le bord de vendre. Deux autres ont déjà fermé. J’en ai appelé un hier qui est sur le bord de la dépression. C’est une industrie qui n’est pas en voie de disparition, mais qui se porte assez mal. »

Ceux qui s’en sont sortis doivent continuer de ramer, mais Coumba Ngom reste optimiste malgré tout. « Ç’a été une année très difficile, mais aussi une année extraordinaire, qui a forcé un vrai voyage intérieur, dit-elle. Cette année m’a montré que si la COVID-19 ne nous a pas tués, qui le peut ? »

Rectificatif
Une version précédente de ce texte indiquait qu’il y a neuf auberges HI au Québec, mais il en existe plutôt sept. Nos excuses.